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Section I- L’affectation des biens à l’utilité publique : une notion finaliste

A- Un acte de fait

La notion d’affectation va s’imposer en doctrine et en jurisprudence. Elle prend une place considérable dans la définition du domaine public des personnes publiques. Elle se révèle comme une notion autonome, engendrant un certain nombre de conséquences. Elle joue un rôle essentiel qui s’étend progressivement. L’affectation est le baromètre qui indique la volonté réelle des personnes publiques d’octroyer un but d’utilité publique à un bien.

114Voir le chapitre suivant pour des précisions sur ce point.

115Cf. supranote n°111.

116Voir sur ce point le chapitre suivant et le chapitre 2, du titre II, de la Partie I.

La notion a donc des implications très concrètes. D’une notion initialement très théorique, elle est devenue le critère matériel à part entière du domaine public. Elle permet de mesurer concrètement quels sont les biens d’utilité publique afin de leur octroyer une protection efficace.

Aux prémices de l’apparition du domaine public et de la domanialité publique, la notion de destination des biens apparait notamment sous la plume de J. B. Proudhon117. Puis, rapidement, celle d’affectation s’y substitue et est finalement consacrée par la Commission de réforme du Code civil118 et par la doctrine contemporaine. La notion d’affectation se différencie de la destination en cela qu’elle marque une volonté, un mouvement actif de la part des personnes publiques, exceptions faites des dépendances du domaine public naturel.

La décision d’affecter un bien à une utilité publique est sans aucun doute un acte de puissance publique pris par les personnes publiques. Pourquoi cette qualification d’acte de puissance publique ? Parce que les personnes publiques sont les seules à pouvoir soustraire un bien aux règles du droit commun pour le soumettre à un régime dérogatoire, à savoir celui de la domanialité publique119. Aussi, les personnes publiques en vertu de leur prérogative de puissance publique120, peuvent intégrer les biens qu’elles souhaitent au sein du domaine public. Par leur pouvoir d’affectation, elles décident unilatéralement de ce qui est nécessaire ou non d’affecter en vertu de l’utilité publique. Elles peuvent également unilatéralement décider de modifier l’affectation du bien en cours ou la faire cesser si l’utilité publique a disparu. La particularité est que non seulement, les personnes publiques peuvent imposer un régime juridique dérogatoire au droit commun aux biens affectés, mais en plus, elles créent des obligations envers les personnes privées. En effet, les administrés, pour qui les biens ont été affectés afin de satisfaire leurs besoins, se trouvent contraints envers ces biens. Contraints à la fois de les respecter et de ne pas les dégrader. Ainsi le fait d’affecter le bien à l’utilité publique oblige non seulement la personne publique mais aussi les personnes privées qui vont jouir de ce bien. C’est ce qui a fait dire à une partie de la doctrine que l’affectation des biens s’apparente à une servitude.

117J-B. Proudhon, Traité du domaine public, 1833, T. 1, p. 240.

118Travaux de la Commission de réforme du Code civil, Paris, Sirey, 1947-1957.

119Voir dans la Partie II les détails sur ce régime dérogatoire de la domanialité publique.

120Jurisprudences administratives fondatrices de la puissance publique et de leurs conséquences : TC, 8 février 1873, Blanco, D.1873, 3, p. 20, conclusions David ; CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, Rec. Conseil d’Etat, p. 909, conclusions L. Blum ; D.1916, 3, p. 35.

Sous les conclusions de l’arrêt Marécar en 1935, R. Latournerie pose la question ouvertement : « Qu’est-ce, en effet, que l’affectation? C’est la détermination du but assigné à un bien ou à une institution juridique et qui donne, à la fois, aux pouvoirs impartis aux autorités publiques qui ont à atteindre ce but, leur fondement et leur mesure. »121. Le commissaire du gouvernement en déduit plus loin que sans affectation, il n’y a pas de domaine public. La même idée est reprise par M. Long122 ou encore A. de Laubadère123, quand ils énoncent que l’affectation est un but déterminé par l’administration à un bien. Ce qui est fondamental dans cet acte d’affectation, c’est davantage l’aspect factuel que l’acte formel en lui-même. La destination du bien à l’utilité publique concerne davantage les biens immobiliers du domaine public artificiel. En effet, si les biens du domaine public naturel sont affectés à un usage public de part leur exposition naturelle, il n’est pas certain que cette destination corresponde à l’affectation comme nous l’entendons. Selon nous, cette dernière révèle une intention. A l’image de la matière pénale où l’intention de commettre un délit ou un crime est indispensable pour pouvoir condamner les personnes, l’affectation est aussi révélatrice d’une intention initiale de la personne publique de satisfaire un but. Or, en ce qui concerne le domaine public naturel, l’intervention de l’administration est inutile, sauf quand une intervention humaine est nécessaire, dans la mesure où ces dépendances appartiennent au domaine public. Il ne s’agit que de phénomènes physiques qui font que les dépendances naturelles doivent être intégrées au domaine public pour pouvoir les protéger.

L’affectation prend réellement tout son sens à propos des dépendances immobilières artificielles. En effet, c’est là que l’affectation se concrétise en une véritable intention de donner un sens à un bien. C’est la détermination d’une finalité particulière en vue de laquelle un bien sera utilisé. Cet acte d’affectation marque le devoir ou la volonté de satisfaire, par l’administration, un besoin public particulier. Parfois ces besoins sont juridiquement obligatoires comme certains services publics à l’image de l’éducation, de la justice ou encore de la police. Pour d’autres, comme dans le milieu sportif ou culturel, des besoins existent mais ils sont volontairement couverts par l’administration. Dans ces différents cas, les biens affectés à ces besoins sont mis à disposition intentionnellement par les propriétaires, en l’occurrence très souvent des personnes publiques.

121R. Latournerie, conclusions sur CE, 28 juin 1935, Marécar, RDP, 1935, p. 590 ; S. III, 1937, p. 43.

122Cf. supranote n°94.

123A. de Laubadère, « Domanialité publique, propriété administrative et affectation », RDP, 1950, tome 70, p. 5 et s.

Cet élément intentionnel est fondamental même s’il ne suffit pas, à lui seul, à faire entrer un bien au sein du domaine public, ni à lui à apporter toute la protection nécessaire. C’est sur cet élément que le juge se focalise quand il doit déterminer, en l’absence d’affectation législative ou d’acte de classement, si le bien en question est effectivement affecté à une utilité publique.

Au fil du temps, le juge accorde plus ou moins d’importance à cet élément même si ces dernières années, on observe une attention majeure accordée à cette intention124. En effet, la réalisation effective de l’affectation est un élément primordial. Il faut que l’affectation, quelle qu’elle soit, soit poursuivie de différentes opérations matérielles apportant la preuve de l’intention de l’administration. Ce sont alors les différents aménagements apportés au bien qui vont constituer cet état matériel de l’affectation125.

Au fil de ces développements transparaît l’idée que ce qu’il est important de protéger ce sont les biens indispensables pour satisfaire le besoin d’utilité publique auquel ils sont affectés.

Pour les biens appartenant au domaine public naturel ou artificiel et affecté à l’usage direct du public, cela ne pose pas véritablement de problèmes. En revanche, s’agissant des biens du domaine public artificiel affectés à un service public, la question est plus délicate. Il ne s’agit pas de faire entrer dans le domaine public tous les biens qui gravitent autour du service public mais uniquement ceux qui s’avèrent indispensables pour atteindre le but que doit satisfaire le service public. Aujourd’hui, avec le CGPPP, il y a un retour à cette conception car les biens affectés à un service public ne pourront faire partie du domaine public qu’à la condition qu’ils aient été aménagés. Or, ce critère n’est pas requis pour les biens affectés à l’usage direct du public. En cela, le CGPPP ne veut conserver sous le régime de la domanialité publique que les biens essentiels pour satisfaire la mission de service public en cause126. C’est aussi pour cette raison que de nombreux biens, encore affectés à un service public, sont désormais devenus la propriété de personnes privées. Ils ne sont plus soumis au régime contraignant de la domanialité publique car cette application n’est plus indispensable pour assurer une bonne exécution du service public127.

124 Voir le chapitre suivant pour les développements relatifs à cet élément intentionnel dans la jurisprudence administrative.

125Voir le chapitre suivant pour les développements sur ce point.

126Voir le chapitre 2 du Titre I, de la Partie II et le chapitre 1 du Titre II de la Partie II pour des précisions à ce sujet.

127Voir la Partie II pour les développements sur ces biens privées affectés à un service public.

En s’appuyant sur l’essentiel et sur la matérialité des faits, il est évident que l’on souhaite faire de l’affectation une notion la moins formelle possible.