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Chapitre 1. Institution et histoire des pôles de compétitivité

1.3. Un portrait des pratiques et des performances dans les pôles de compétitivité

1.3.3. Une capacité à accompagner l'émergence d'innovations

Les pôles de compétitivité sont considérés comme des « écosystèmes de croissance » (Froehlicher et Barès, 2014, p.57). Il semble toutefois difficile d'évaluer la performance des pôles de compétitivité : les indicateurs de résultats (nombre de brevets déposés, chiffre d'affaires, emplois créés, etc.) ne sont pas toujours perçus comme des mesures pertinentes par une majorité d'acteurs de terrain interrogés (Boquet et al., 2009, p.242). Aussi, d'autres études montrent que l'impact des missions des pôles sur les projets collaboratifs dépend des secteurs d'activité concernés, ainsi que du degré de maturité du pôle de compétitivité (Chalaye, 2011, p.104). Enfin certaines études avancent l'idée qu'une appréciation de l'influence du pôle sur l'écosystème passerait non pas par la mesure d'indicateurs de résultats, mais par la mesure du capital relationnel, c'est-à-dire

« le volume et l’intensité des liens existants entre les acteurs, leur capacité réciproque à

se connaître et à se réunir autour de projets » (Froehlicher et Barès, 2014, p.57). De ce point de vue, le pôle semble avoir une influence sur les coopérations puisque la structure des réseaux d'innovation tend à se modifier : « il est plus dense, plus cohésif dans certaines parties et moins fragmenté dans l’ensemble, ce qui semble intéressant pour stimuler l’innovation au niveau du territoire du pôle » (Hussler et Hamza-Sfaxi, 2013, p.157).

Plusieurs études se sont interrogées sur l'influence des subventions publiques.

Elles représentent des montants relativement importants : 1,5 milliards d'euros lors de la première phase de la politique des pôles de compétitivité et 2,5 milliards d'euros lors de la deuxième phase de la politique. De 2005 à 2015, 6,8 milliards d'euros de subventions publiques ont été injectés en soutien aux projets collaboratifs de R&D. La totalité des dépenses de R&D dans les pôles ne représentent toutefois que 4,5 % des dépenses de R&D à l'échelle du pays (Cordoba et Lucazeau, 2012, p.4). Les effets incitatifs des subventions publiques sont reconnus dans la littérature académique. Alors que certains travaux craignent que les subventions publiques ne conduisent les entreprises privées à réduire leur investissement en R&D par effet de substitution (Feldman et Kelley, 2006, p.1517), en réalité les études montrent que les subventions publiques ont eu un effet d'entraînement sur la dépense privée (France Stratégie, 2016). Un euro de dépense publique supplémentaire entraînerait un euro de dépense privée équivalente supplémentaire (Dortet-Bernadet, 2013, p.2). Pour les études les plus récentes, lorsqu'une entreprise reçoit « 103 000 euros d’aides publiques en 2012, elle accroît ses propres dépenses de recherche de 474 000 euros la même année » (France Stratégie, 2016). Au final, les PME et ETI membres des pôles de compétitivité ont réalisé en moyenne 116 000 euros de R&D supplémentaire par rapport aux entreprises qui ne sont pas entrées dans le dispositif (Bellégo et Dortet-Bernadet, 2014, p.65). Les études les plus récentes tablent sur un montant équivalent à 691 000 euros (France Stratégie, 2016). Il reste difficile d'évaluer précisément l'impact des pôles de compétitivité sur les performances des organisations parce que d'autres dispositifs fiscaux, tels que le Crédit d’impôt Recherche (CIR) et le statut Jeune Entreprise Innovante (JEI) interférent avec l'action des pôles de compétitivité en soutenant fiscalement les entreprises les plus petites : « en 2009, près de la moitié de l’augmentation des dépenses de R&D semble avoir été financée par une hausse des

aides indirectes reçues (CIR et JEI) » (Bellégo et DortetBernadet, 2014, p.81).

Aussi, les pôles de compétitivité ne produisent que 1,5 % des brevets français (Cordoba et Lucazeau, 2012, p.4). Certains travaux montrent que les pôles n'ont pas d'effet catalyseur sur le nombre de brevets déposés (Dortet-Bernadet, 2013, p.3 ; Bellégo et Dortet-Bernadet, 2014, p.81), tandis que d'autres travaux, plus récents, montrent le contraire puisque les entreprises membres déposeraient deux brevets supplémentaires par an par rapport aux entreprises non membres (France Stratégie, 2016). Les entreprises qui se situent à l'intérieur et à l'extérieur du dispositif ne semblent pas avoir la même propension à déposer des brevets.

Les pôles ne créent que 5 % des start up innovantes françaises en une année (Cordoba et Lucazeau, 2012, p.4). Les subventions publiques ont toutefois permis de créer des emplois qualifiés, car elles sont fléchées vers l'acquisition de ressources humaines consacrées aux activités de R&D : « Au total sur l’ensemble des entreprises du champ, cela représente 980 emplois à temps plein sur la période 2006 à 2009, dont 570 emplois à temps plein très qualifiés (ingénieurs et chercheurs) » (Bellégo et Dortet-Bernadet, 2014, p.81). Courlet et Pecqueur notent que « l'essentiel de ces effectifs (93 %) appartient à des établissements contrôlés par des groupes surtout français » (Courlet et Pecqueur, 2013, p.115). Deux tiers des entreprises déclarent avoir créé des emplois entre 2008 et 2011 et 84 % déclarent avoir maintenu des emplois (BearingPoint et al., 2012).

Cependant, les pôles de compétitivité n'ont pas eu d'effet sur la rémunération des salariés (Bellégo et Dortet-Bernadet, 2014, p.81). Les pôles ont en revanche contribué à renforcer l'attractivité territoriale, car ils constituent un facteur important de localisation pour les investisseurs étrangers qui les connaissent (BearingPoint, 2012, p.141). Ils permettent à des entreprises étrangères d'avoir accès à des réseaux de partenaires très performants.

Du point de vue des inventions générées, 75 % de ces innovations sont des innovations de produit ou de procédé alors que 25 % de ces innovations sont des innovations de service (BearingPoint et al., 2012, p.14). Des études montrent que 33 % des entreprises déclarent conquérir de nouvelles parts de marché grâce à l'adhésion au pôle de compétitivité (Ibid.). Toutefois, dans certains cas, la commercialisation peut

intervenir des années après la fin d'un projet collaboratif. La participation de certaines PME/ETI ne produit donc pas nécessairement d'impact immédiat sur leur chiffre d'affaires à la clôture d'un projet collaboratif (Bellégo et DortetBernadet, 2014, p.81).

Ces résultats dressent une vision synthétique du bilan des pôles de compétitivité, malgré la forte hétérogénéité des situations du point de vue de leurs performances (Hussleret al., 2013, p.130). Certains travaux conduisent à réaliser une typologie composée de cinq ensembles de pôles de compétitivité à partir de déterminants tels que le nombre de membres, le nombre de projets labellisés, la création d'emplois, les brevets déposés, les publications académiques, l'évolution du chiffre d'affaires, etc. (Hussler et al., 2013, p.130). Pour d'autres travaux, les subventions publiques ne doivent pas chercher à financer des projets collaboratifs qui ont les meilleurs débouchés commerciaux, mais davantage les projets susceptibles de générer le plus d'externalités de connaissances entre les partenaires. Les projets doivent donc être évalués au regard de leur potentiel en matière d'externalités technologiques, c'est-à-dire de leur capacité à générer un bénéfice social plus important que le bénéfice privé (Feldman et Kelley, 2006, p.1518).

Conclusion du chapitre 1

Ce premier chapitre avait pour objectif de retracer les principaux jalons de la chronologie de l'institutionnalisation des pôles de compétitivité. Des rapports fondateurs ont contribué à donner l'orientation initiale de la politique des pôles de compétitivité. Leur apport principal est le choix en faveur de la logique d'aménagement du territoire, plutôt qu'en faveur d'une logique élitiste qui consisterait à ne soutenir que les pôles considérés comme les plus importants. La politique des 71 pôles de compétitivité s'est développée en trois temps : une phase de structuration (2005-2008), une phase de consolidation (2009-2012) et une phase de maturation (2013-1018). Ces dernières ont pour trait saillant la signature d'un accord-cadre avec l'Etat, puis la signature d'un contrat d'objectifs et de performance avec l'Etat et les collectivités territoriales lors de la seconde phase. Ces accords montrent que les pôles de compétitivité sont des institutions, car ils jouent le rôle de médiateurs dans la mise en place de la politique publique.

Dans un deuxième temps, nous avons dressé un portrait des pratiques et des performances des pôles de compétitivité. Les situations sont fortement hétérogènes d'un pôle à l'autre, que ce soit du point de vue des caractéristiques de la structure de gouvernance ou alors des missions effectuées par la cellule d'animation. En effet, les pôles de compétitivité ne sont pas uniquement des institutions. Ce sont aussi des organisations qui conservent une marge d'autonomie dans l'animation de l'écosystème d'innovation. L'autonomie est rendue nécessaire par le potentiel de R&D qui diffère d'un pôle à l'autre. Les structures de gouvernance sont organisées autour de plusieurs collèges qui symbolisent les intérêts stratégiques différents entre les parties prenantes internes et les parties prenantes externes. Certaines organisations peuvent avoir intérêt à s’ouvrir à l’international, tandis que d’autres souhaiteraient développer des coopérations locales pour générer des créations d’emplois pour un bassin donné. La structure de gouvernance permet potentiellement de désamorcer les désaccords entre les organisations. De manière générale, si les pôles sont caractérisés par un poids croissant des petites structures parmi leurs membres, la composition des membres peut être très hétérogène en fonction des pôles et entraîner (ou nécessiter) des actions différenciées. En outre, les ressources financières qui alimentent les projets collaboratifs de R&D sont essentiellement publiques

(FUI, fonds issus de l'ANR…), bien qu'elles soient en baisse depuis la crise économique et financière. Elles révèlent les orientations différentes des pôles de compétitivité : certains sont davantage tournés vers la recherche fondamentale, tandis que d'autres sont tournés vers la recherche appliquée. Les indicateurs de résultats montrent globalement, quant à eux, des effets positifs sur l'écosystème d'innovation en matière de brevets déposés, d'emplois créés, d'effet d'entraînement sur la dépense privée, de création de start-up, etc.

bien qu’il soit difficile de lier ces résultats aux missions réalisées par les pôles de compétitivité. En revanche ces indicateurs ne donnent pas d’informations sur les impacts en termes de transferts de connaissances vers les autres projets ou de pérennisation des coopérations.

En résumé, les pôles de compétitivité fédèrent des organisations aux ressources complémentaires, afin de faciliter l’émergence de projets collaboratifs de R&D. Dans le chapitre suivant, nous proposons d’aborder plus spécifiquement le sujet des projets collaboratifs de R&D, sous les dimensions transactionnelles, cognitivistes et contractualistes.

Projets collaboratifs, coordination et coopération au sein des pôles de compétitivité

Chapitre 2. Projets collaboratifs, coordination et coopération au sein des pôles de compétitivité

Comme nous l’avons montré dans le chapitre précédent, les pôles de compétitivité sont des structures institutionnelles et organisationnelles, qui ont pour ambition de contribuer à l'émergence de projets collaboratifs de R&D. La coopération est un moyen de trouver des solutions lorsque des individus sont confrontés à des verrous scientifiques et techniques. Aussi, dans un contexte caractérisé par la complexification des technologies, les organisations sont de moins en moins capables d'innover en restant isolées parce que des compétences utiles peuvent être détenues par d'autres organisations. Les projets des pôles de compétitivité sont ainsi traversés par une double dimension, en termes de coopération et de cognition.

Dans un premier temps, l'approche transactionnelle de la firme met l'accent sur l'existence de coûts de transaction lorsque les organisations cherchent à recourir au marché (Coase, 1937). Elle préconise alors une internalisation des activités. Des développements ultérieurs montrent l'existence d'une forme hybride, entre la hiérarchie et le marché, qui possède sa propre stabilité (Richardson, 1972). Nous pensons retrouver cette forme dans le cas des pôles de compétitivité, ce dernier jouant notamment le rôle de réducteur d'incertitudes pour les coopérations inter-organisationnelles. Aussi, en fédérant des organisations aux compétences complémentaires par la structuration en groupes thématiques, le pôle de compétitivité est en mesure de faciliter l'expression de la créativité des organisations, à partir des préférences, des compétences, des routines et des capacités dynamiques qu'elles expriment (Coriat et Weinstein, 2010) (2.1).

Dans un deuxième temps, la complémentarité des ressources détenues par les organisations conduit la coordination des activités à reposer sur des transferts de connaissances, tacites et codifiées, à un niveau inter-organisationnel et intra-organisationnel. Les transferts aboutissent à des phases de création de connaissances (Nonaka et Takeuchi, 1997), tout au long du processus d'innovation (de la naissance du projet, en passant par l'émergence de l'idée, jusqu'à son développement interne). Ces éléments mènent à des phénomènes d'apprentissage (Llerena et Cohendet, 1999), qui

dépendent des capacités cognitives des individus et peuvent prendre des formes variées en fonction de l'objet de l'apprentissage. La présentation des catégories issues de l'économie de la connaissance permet d'introduire celles qui sont les plus pertinentes au regard de l'analyse des dynamiques au sein des projets collaboratifs des pôles de compétitivité (2.2).

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