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Chapitre 3. Dynamique collaborative et dynamiques de proximités au sein des pôles de compétitivité

3.1. Des systèmes territoriaux de production aux systèmes territoriaux d'innovation

3.1.1.1. La redécouverte italienne des districts industriels

De prime abord, les systèmes territoriaux de production sont représentés par les districts industriels. Dès 1890, l'économiste britannique Alfred Marshall observe, à partir des villes de Birmingham et Sheffield, une forme de coordination entre plusieurs petites entreprises indépendantes et géographiquement proches. Chacune d'entre elles est spécialisée sur un segment particulier d'une même chaîne de production et l'efficacité de la production est ainsi liée à la division du travail. Dans le cas des districts industriels, l'efficacité de la production est liée à la division du travail entre plusieurs petites entreprises géographiquement proches. Selon Alfred Marshall, la coordination co-localisée permet de réaliser des économies externes par trois mécanismes :

- premièrement, certaines organisations produisent des biens intermédiaires et se rapprochent ainsi des firmes clientes. Selon Marshall, « bientôt des industries subsidiaires naissent dans le voisinage, fournissant à l'industrie principale les instruments et les matières premières, organisant son trafic, et lui permettant de faire bien des économies diverses » (Marshall, 1890, p.119). Ces économies désignent des économies de transport, des économies d'échelle, etc.

- Deuxièmement, une coordination entre les forces sociales et productives permet de donner aux organisations un accès à un marché du travail local spécialisé, ce qui contribue au dynamisme du district par l'augmentation de la productivité des organisations

(Champagne de Labriolle, 2008, p.3). Les firmes réduisent ainsi leurs coûts de transaction par la réduction du temps consacré à la recherche d'individus qualifiés.

- Troisièmement, Marshall avance le concept d'« atmosphère industrielle » pour rendre compte des transferts de connaissances et des phénomènes d'apprentissage entre les organisations : « Les secrets de l'industrie cessent d'être des secrets ; ils sont pour ainsi dire dans l'air, et les enfants apprennent inconsciemment [pour] beaucoup d'entre eux (…) Si quelqu'un trouve une idée nouvelle, elle est aussitôt reprise par d'autres, et combinée avec des idées de leur crû ; elle devient ainsi la source d'autres idées nouvelles » (Marshall, 1890, p.119). Cette atmosphère industrielle des districts est toutefois critiquée puisqu'elle serait davantage pressentie que démontrée par Marshall (Leducq et Lusso, 2011, p.3).

Ces travaux sont redécouverts et réactualisés par le sociologue italien Becattini et l'économiste italien Bagnasco qui notent la présence de districts industriels dans le nord-est et le centre de l'Italie. La notion nord-est définie comme étant « des systèmes productifs définis géographiquement, caractérisés par un large nombre de firmes qui sont engagés à différents stades et différentes manières, dans la production d'un produit homogène » (Pike et Sengenberger, 1990, p.2). Cette définition est calquée sur celle de Becattini qui définit les districts industriels comme « des entités socio-territoriales qui sont caractérisés par la présence active d'une communauté de personnes et d'une population de firmes dans une aire circonscrite historiquement » (Becattini, 1990, p.38). Les entreprises des districts sont de petite taille et composent la « Troisième Italie » (en opposition avec le nord de l'Italie marqué par la grande industrie et le sud de l'Italie caractérisé par le sous-développement industriel) (figure 13). À titre d'exemple, la région d'Emilie-Romagne comporte une entreprise pour dix habitants. Parmi les districts industriels reconnus dans cette région, les producteurs de céramique à Modème sont particulièrement cités dans la littérature (Champagne de Labriolle, 2008, p.4). D'autres auteurs citent également le district de la chaussure sportive dans la province de Trévise (de laquelle les marques Lotto et Geox ont émergé). La région de Trévise est riche en savoir-faire dans ce domaine et compte plus de 600 entreprises spécialisées dans la conception de la chaussure sportive, réparties sur 30 communes et représentant 9000 salariés (Lanciano, 2014, p.39).

Ces districts sont généralement composés d'unités de petite taille (5 à 10 personnes) concentrées géographiquement. Le nombre important d'organisations laisse

sous-entendre l'existence simultanée de relations de coopération et de relations de compétition entre ces petites unités : plusieurs d'entre elles fabriquent des semelles, ou des lacets, réalisent des découpes, etc.

Dans ces systèmes territoriaux de production, les organisations se situent sur différents segments de la même chaîne de production et coordonnent leurs activités pour réaliser un produit. Les districts industriels italiens ont des caractéristiques qui font écho aux éléments décrits par Alfred Marshall : ils permettent de réaliser les différentes sortes d'économies, par la proximité inter-organisationnelle (la co-localisation entre les organisations leur permet de réaliser des économies d'échelle et des économies de coût de transport) et par l'existence d'un marché du travail local spécialisé (Pike et Sengenberger, 1990, p.2). La flexibilité de ces systèmes s'oppose au système fordiste caractérisé par une rigidité liée à une production de masse. Aussi, les connaissances circulent d'une organisation à une autre et favorisent les phénomènes d'apprentissage entre les petites firmes. Elles peuvent circuler par l'intermédiaire de la mobilité des individus. Dans les districts, il est effectivement mal considéré de ne pas avoir de travail ou un travail en dessous de ses compétences réelles, contrairement aux changements d'activités qui sont plutôt bien perçus par la communauté (Becattini, 1990, p.41). Enfin les produits réalisés par ces processus sont orientés par la demande formulée par les marchés extérieurs. Pour Becattini, les produits ne peuvent pas uniquement s'écouler à l'intérieur du district, ils doivent pouvoir s'exporter sur les marchés internationaux (Maillat, 2005b, p.137).

Figure 13 – La localisation des districts industriels en Italie (en gris)

Source : Schmoll (2006)

Le concept de district industriel s'est enrichi sous l'influence de Becattini dans la mesure où il insiste également sur l'existence d'un patrimoine socio-culturel (Becattini, 1990, p.45) lié à « l'enracinement des valeurs traditionnelles associées à l'artisanat, la famille et la communauté locale religieuse et politique » (Champagne de Labriolle, 2008, p.5). Les individus partagent des liens informels parce qu'ils ont appartenu aux mêmes écoles, aux mêmes associations, à la même communauté religieuse, etc. Aussi, les institutions locales continuent de soutenir les coopérations entre les organisations, par la mise à disposition de certaines aides pour la formation professionnelle ou pour l'exportation des produits. Des banques locales, enracinées dans l'environnement local, permettent de financer les projets des petites entreprises (Becattini, 1990, p.47). Le fait que plusieurs individus partagent un même patrimoine socio-culturel conduit à susciter de la confiance, élément indispensable pour lubrifier les relations de coopération. Ce patrimoine joue un rôle structurant et stabilisateur sur le plan économique, parce que les organisations ont tendance à poursuivre leurs coopérations dans le temps. Par exemple pour le cas du district industriel italien de la chaussure dans la région Émilie-Romagne, un appel d'offre annuel permet de mettre en concurrence les entreprises de ce district.

Lorsque l'une d'entre elles est sélectionnée pour porter un projet, puisqu'elle ne bénéficie pas de l'intégralité des ressources indispensables pour porter le projet seule, alors elle coopère avec d'autres petites et moyennes entreprises du district. Cette coopération inter-organisationnelle est renouvelée l'année suivante par un nouvel appel à projets. Les porteurs de projet maintiennent des relations d'entraide et de solidarité en pratiquant des renvois d'ascenseur d'une année à l'autre (Assens et Abittan, 2012, p.22). Une organisation qui bénéficie d'une relation de coopération grâce à une autre organisation, a tendance à la remercier en l'intégrant à son tour à un consortium l'année suivante.

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