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Les pôles de compétitivité, lieux de création d'actifs spécifiques

Chapitre 3. Dynamique collaborative et dynamiques de proximités au sein des pôles de compétitivité

3.1. Des systèmes territoriaux de production aux systèmes territoriaux d'innovation

3.1.4. Les pôles de compétitivité, lieux de création d'actifs spécifiques

Le cahier des charges de l'appel à projet lancé par le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) définit un pôle de compétitivité comme étant « la combinaison, sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques ou privées, engagés dans une démarche partenariale destinée à engager des synergies autour de projets communs au caractère innovant. Ce partenariat s’organisera autour d’un marché et d’un domaine technologique et scientifique qui lui est attaché et devra rechercher la masse critique pour

atteindre une compétitivité mais aussi une visibilité internationale » (Grandclément, 2014, p.2). La définition donnée par le CIADT semble calquer le concept de pôle de compétitivité sur celui de cluster, tel que considéré par Michael Porter. D'ailleurs les pouvoirs publics font explicitement référence à la notion de cluster, à Michael Porter et aux exemples de success stories pour justifier le lancement de cette politique. Pour certains, le concept de pôle de compétitivité est parfois présenté comme la traduction française de la notion de cluster. Certains évoquent par exemple des « clusters à la française » (Berthinier-Poncet, 2013, p.122) ou « une version bâtarde des clusters » (Bouinot, 2007, p.5). D'autres auteurs, qui considèrent les deux termes comme équivalents, en viennent à regretter le changement de nom : « On peut regretter ce changement de dénomination et cette préférence du terme de pôle de compétitivité à celui de cluster » (Lachmann, 2010, p.111).

De nombreux auteurs reconnaissent aussi les SPL comme les « prémisses » de la politique des pôles de compétitivité (Duranton et al, 2008, p. 18). D'ailleurs certains d'entre eux ont servi de base au développement ultérieur des pôles de compétitivité, tel que le pôle (et ex-SPL) Cosmetic Valley pour le domaine du luxe français (Ansel, 2012, p.3).

Qu'est-ce qui caractérise les pôles par rapport aux précédents systèmes territoriaux ? Tout d'abord, en reposant sur une dimension territoriale, les pôles de compétitivité s'inscrivent dans la continuité des STP et STI précédemment cités. Les membres d'un pôle de compétitivité doivent obligatoirement se situer dans le périmètre de la région d'appartenance du pôle. Les pôles facilitent ainsi les transferts de connaissances tacites entre des organisations proches sur le plan géographique (Ter Wal et Boschma, 2007, p.3). Les relations de proximité entre les membres du pôle remplissent quatre fonctions : la communication technologique (l'avantage est de pouvoir le faire à haute fréquence et de bénéficier d'un feedback rapide, en particulier dans un contexte dans lequel la connaissance n'est pas codifiée) ; la confiance et les incitations dans les relations (l'avantage est de détecter le mensonge ou un comportement type « passagers clandestins » lors de meetings) ; la socialisation (l'avantage est de perdre son anonymat, de juger et être jugé) et la recherche de performances lors de présentations (pour tenter de faire mieux que les autres) (Storper et Venables, 2004, p.6). Les transferts de connaissances ne peuvent toutefois pas être quantifiés, ni être suivis de façon précise, bien que plusieurs travaux tentent de faire apparaître leur nature localisée (Massard et

Torre, 2004, p.166). La transmission des connaissances tacites permet de rechercher plus facilement des solutions à des verrous scientifiques et techniques. À ce titre, selon Colletis et Pecqueur, une rencontre productive est définie comme « la capacité d’un ensemble d’entreprises et d’institutions d’autres natures (recherche, formation,…), présentes sur un territoire, à apporter collectivement une solution pertinente à un problème productif, voire à formuler et à résoudre un problème productif inédit » (cité dans Zimmermann, 2002, p.519). Les territoires des pôles se révèlent grâce au jeu des acteurs, à la transformation des ressources des organisations lors de leur coordination (Colletis, 2010, p.247).

Les pôles de compétitivité se différencient des STP (districts industriels, systèmes productifs locaux) par l'importance accordée au processus de création des connaissances.

Le face-à-face est jugé plus important dans les STI que dans les STP, puisque « il ne s'agit pas de productions routinières, mais de créations. Le contact personnel, la discussion spontanée, la réaction commune à tel problème, voire la spontanéité des discussions (…) favorisent les synergies (…) » (Matteaccioli, 2005, p.297). Les STP sont effectivement caractérisés par la combinaison de biens intermédiaires pour réaliser des produits finis, en fonction d'une routine de production. Ils se situent dans une logique de spécialisation industrielle alors que les pôles de compétitivité s'inscrivent dans une logique de création de nouveaux ensembles de connaissances codifiées et tacites (par l'activation de ressources génériques, puis une métamorphose des actifs génériques en actifs spécifiques (Pecqueur, 2008, p.323)). Le passage de la ressource à l'actif se nomme

« activation » et le passage du générique au spécifique se nomme « spécification » (c'est-à-dire un actif utilisable dans un contexte particulier) (Colletis-Wahl et Perrat, 2004, p.118).

Selon Pecqueur et Colletis, l'activation et la spécification se retrouvent ainsi au fondement de la métamorphose des ressources mobilisées par les parties prenantes dans les projets collaboratifs des pôles de compétitivité.

Le processus de spécification, relatif à un verrou technique particulier, caractérise les clusters et les pôles de compétitivité. Ces derniers se distinguent toutefois par l'importance du rôle des pouvoirs publics. Les pôles de compétitivité bénéficient « d’une importante action publique de valorisation et de soutien » (Defélixet al., 2008, p.10). Les structures ont été labellisées par l'Etat, sont géographiquement et sectoriellement définies et les projets collaboratifs bénéficient de subventions par les pouvoirs publics lorsqu'ils obtiennent la labellisation des pôles. Les pôles relèvent d'un pouvoir instituant, c'est-à-dire

qu'il a pour objectif de créer le territoire avant même que la coopération ne soit engagée entre les organisations. Il s'agit de « rassembler des acteurs économiques autour d'un projet de territorialisation » (Taddei, 2009, p.17). A contrario, les clusters sont des systèmes territoriaux qui relèvent d'une limite instituée puisqu'elle a pour objectif la légitimation d'un territoire économique dont l'existence est reconnue par les pouvoirs publics. Ces derniers interviennent a posteriori dans le cas des clusters et a priori dans le cas des pôles de compétitivité. Dans l'approche bottom-up, celle des réseaux locaux spontanés, les liens ne sont pas forcément matérialisés par des contrats et les interactions reposent principalement sur des relations de confiance entre les partenaires. Dans l'approche top-down, celle des pôles de compétitivité, les pouvoirs publics créent des structures et soutiennent financièrement les projets collaboratifs de R&D présents sur un territoire particulier. Parmi les critères d'éligibilité aux subventions publiques, un projet doit être en adéquation par rapport à l'ensemble des projets labellisés dans un groupe thématique donné. De cette façon, les pôles de compétitivité accordent leur label à des projets collaboratifs qui ont des liens forts avec d'autres projets collaboratifs. Ils contribuent ainsi à la redéployabilité des actifs spécifiques détenus par les organisations et générés par les projets collaboratifs.

Les caractéristiques des pôles de compétitivité conduisent à les distinguer des autres formes de systèmes territoriaux (tableau 5).

Tableau 5 – Une typologie des systèmes territoriaux

Logique ''bottom-up'' Logique ''top-down'' SYSTÈMES TERRITORIAUX

DE PRODUCTION Districts Industriels Systèmes Productifs Locaux

(SPL) SYSTÈMES TERRITORIAUX

D'INNOVATION Clusters Pôles de compétitivité

Source : élaboration par l’auteur

Les travaux de la littérature académique établissent d'autres critères pour distinguer ces formes de systèmes territoriaux. L'élément fédérateur des districts industriels est la filière d'activité, l'identité territoriale pour les SPL et l'Etat et les pouvoirs publics pour les pôles de compétitivité (Assens et Abittan, 2012, p.158). D'autres estiment que la

distinction entre les clusters et les pôles de compétitivité est temporaire. Il s'agit de l'idée développée par Pierre Tambourin, vice-président du pôle de compétitivité Medicen Paris-Région : « Quand on va voir les gens de la Silicon Valley ou de Boston et qu’on leur demande « Qui gère tout ça ? », ils répondent « Personne et tout le monde ! ». Au fond, notre pôle aura atteint son but quand la structure Medicen n’aura plus de raison d’être » (Tambourin, 2008, p.23). Pour lui, les pôles de compétitivité auraient vocation à devenir des clusters sur le long terme, c'est-à-dire que la structure institutionnelle ainsi que le processus formalisé autour du principe de l'appel à projets disparaîtraient pour permettre à leurs acteurs de se coordonner de manière autonome. D'autres auteurs s’interrogent également sur la possibilité « d’institutionnaliser par des mesures administratives, une connivence sociale entre des entreprises locales, au sein d’un réseau découpé suivant des critères purement administratifs et de politique publique définie à l’échelle globale » (Assens et Abittan, 2010, p.159).

3.2. La thèse des transferts localisés de connaissances et sa remise en

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