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Chapitre 3. Dynamique collaborative et dynamiques de proximités au sein des pôles de compétitivité

3.3. Les dimensions de la proximité autre que géographique au sein des pôles de compétitivité

3.3.3. Vers une approche intégrée et dynamique des formes de proximité

Les proximités géographiques et organisées ne sont pas indépendantes, elles se combinent pour faciliter la transmission des connaissances et les phénomènes d'apprentissage (Torre, 2010, p.416). Des études récentes déclarent pourtant qu'il existerait un déficit de travaux empiriques sur l'articulation des différentes formes de proximité, alors même qu'elles représentent des outils qui permettent d'analyser les dynamiques territoriales (Ballandet al., 2015, p.2). Ces travaux permettraient de comprendre l'importance relative de chacune des proximités, de voir comment elles sont liées les unes aux autres, si elles se complètent ou se substituent et surtout, comment elles évoluent dans le temps (Boschma, 2005, p.72). Peu de travaux analysent les formes de proximité de manière dynamique, en particulier la manière dont elles co-évoluent avec le processus d'innovation (Torre, 2010, p.411 ; Balland, 2012, p.4).

Des travaux mentionnent l'existence d'un paradoxe de la proximité (Broekel et Boschma, 2012, p.7). Plus les niveaux des différentes formes de proximité sont élevés, plus les liens sont forts. Le paradoxe réside dans le fait que ces niveaux élevés de proximité aboutissent à une situation sous-optimale au cours de laquelle les acteurs ne profitent pas de ces liens forts en termes de coordination des activités.

Une proximité cognitive trop élevée aboutit par exemple à un enfermement cognitif et une proximité organisationnelle trop élevée, par le recours à une hiérarchie, bride la créativité des parties prenantes. Ces travaux sous-entendent, à la suite de ceux de Noteboom (2000), l'existence d'une proximité optimale pour faciliter les transferts de connaissances. Certains travaux conduisent aussi à démontrer l'importance des proximités cognitives, institutionnelles et sociales (Broekel et Boschma, 2012, p.28).

D'autres travaux concluent quant à eux que les proximités géographiques, institutionnelles et organisationnelles favorisent les coopérations, contrairement aux proximités cognitives

et sociales (Balland, 2012, p.4). Dans la littérature académique, il ne semble pas y avoir de consensus sur les formes de proximités les plus importantes.

La proximité sociale devrait contribuer à réduire la distance cognitive entre les partenaires. Plus des individus se font confiance, plus ils transfèrent des connaissances susceptibles de créer une base commune de connaissances tacites et codifiées. Cette proximité cognitive se retrouve au fondement de la capacité d'absorption des organisations. Mais paradoxalement, plus des organisations se retrouvent liées par une base commune de connaissances, moins elles apprennent puisque leurs bases de connaissances s'homogénéisent (Boschma, 2005, p.67). La proximité sociale a aussi des effets sur la proximité organisationnelle, dans la mesure où elle pousse les individus à accepter un certain niveau de relation hiérarchique pour atteindre certains objectifs (Boschma, 2005, p.67). Enfin elle a des conséquences sur la proximité institutionnelle, car elle conduit les organisations à accepter les règles du cadrage institutionnel unifié.

Les proximités peuvent également entretenir des relations de complémentarité ou de substitution. Par exemple la proximité géographique stimulerait la proximité sociale.

Les individus tendent à se voir en face-à-face lorsqu'ils n'ont pas confiance alors qu'ils utilisent davantage les TIC lorsqu'ils se font confiance. La confiance se construit par une socialisation prolongée et des face-à-face qui permettent de lever les doutes (Morgan, 2004, p.8). Certains considèrent que dans les clusters de hautes technologies, la proximité géographique permet aussi de surmonter certaines difficultés cognitives, en particulier les différences entre la sphère académique et la sphère industrielle.

La proximité géographique est plus pertinente pour les relations entre les universités et les entreprises, qu'elle ne l'est pour les relations entre universités (Ponds et al., 2007, p.441). Elle lève les incompréhensions liées aux différences entre les bases de connaissances. En définitive, la proximité géographique jouerait un rôle de renforcement des proximités cognitives et sociales (Boschma, 2005, p.70).

La proximité institutionnelle joue quant à elle un rôle d'encadrement de la proximité organisationnelle, car la fixation de règles du jeu conduisent les joueurs à mettre en place des modes de coordination des activités en conformité avec le cadre fixé par l'institution (Boschma, 2005, p.68).

Alors que la plupart des études sur les proximités les ont traitées de manière statique, quelques études récentes traitent le cadre des proximités de manière dynamique, en supposant que le temps joue un rôle important dans la coévolution du processus d'innovation et des proximités (Balland et al., 2015, p.3). Certaines études, réalisées au sujet des réseaux de co-inventeurs de biotechnologies en Allemagne, montrent que les organisations coopèrent avec des partenaires proches géographiquement, avant de sélectionner davantage les réseaux de leurs partenaires. En d'autres termes, la proximité géographique perdrait de l'influence au fil du temps (Ter Wal, 2013, p.16), alors que d'autres études montrent que dans l'industrie du jeu vidéo, la proximité géographique voit son rôle devenir plus important au fil du temps (lorsque les partenaires sont proches sur le plan cognitif) (Balland, 2013, p.741). Sur le court terme, la proximité géographique semble avoir une influence sur la formation des réseaux collaboratifs alors que sur le long terme, ce sont les réseaux des partenaires qui influent sur ces formations (Balland et al., 2015, p.10). Il y aurait donc une forme de dépendance au sentier dans l'évolution des réseaux collaboratifs (Boschma et Frenken, 2010, p.121). Sur le long terme, les organisations occupent des positions différentes dans les réseaux collaboratifs parce qu'elles sont dotées de ressources cognitives différentes : certaines vont constituer des hubs entre plusieurs réseaux collaboratifs de R&D parce qu'elles disposent de ressources cognitives qui leur permettent de participer à de nombreux projets collaboratifs, alors que d'autres se retrouvent à la périphérie des réseaux par la faute de l'insuffisance de leurs ressources cognitives qui ne leur permettent pas d'identifier et assimiler davantage de connaissances reçues (Boschma et Frenken, 2010, p.122).

Ces travaux sur la force des proximités, leurs complémentarités et la manière dont elles évoluent au fil du temps, sont encore à un stade exploratoire. Un des objectifs de notre étude est d'approfondir ces analyses à partir de la coévolution des proximités géographiques et organisées avec le processus d'innovation.

Conclusion du chapitre 3

Les projets collaboratifs des pôles de compétitivité se particularisent par une forte dimension territoriale. De nombreux travaux ont été consacrés aux systèmes territoriaux depuis la fin du XIXᵉ siècle. Les premiers sont dirigés vers l'observation des districts industriels en Angleterre, puis en Italie. Si les districts industriels et les milieux innovateurs reposent sur des coopérations impulsées par les acteurs locaux, ce n'est pas le cas des systèmes productifs locaux (SPL) qui relèvent d'une construction par les pouvoirs publics.

Par leur dimension territoriale, les pôles de compétitivité s'inscrivent dans la continuité des systèmes territoriaux précédemment cités. Ils s’en distinguent par l'importance accordée au processus de création des connaissances. Les pôles de compétitivité ne sont pas orientés vers les productions routinières, mais vers la création de connaissances, tout comme les clusters. Ces derniers se différencient toutefois des pôles de compétitivité, parce que les pôles bénéficient d’une importante action publique de soutien : les pôles ont été labellisés par les pouvoirs publics et fonctionnent essentiellement grâce à des subventions publiques.

De nombreux travaux, dans le sillon du courant de la Géographie de l’Innovation (Feldman, 1994), ont apporté des arguments en faveur de la concentration géographique des organisations qui mènent des activités de R&D. Ces travaux insistent sur l’existence d’externalités technologiques, dont les externalités de connaissances constituent un sous-ensemble. Ces arguments plaideraient pour la constitution des pôles de compétitivité.

Pourtant, de nombreuses critiques méthodologiques portent sur les mesures des flux de connaissances, sur les secteurs concernés, les biais institutionnels dont ces études sont porteuses, etc. Pour l'analyse des pôles de compétitivité, nous en tirons que l'argument de la proximité géographique n'est pas suffisant pour en conclure l'existence de transferts localisés de connaissances. D'autres formes de proximité doivent être mobilisées pour conduire des organisations à rassembler les ressources qu'elles détiennent afin de rechercher des solutions à des verrous techniques.

Les proximités institutionnelles, organisationnelles, cognitives et sociales constituent des outils qui nous permettent d’analyser les dynamiques internes aux pôles de compétitivité. Aussi, la littérature note un déficit de travaux empiriques sur l'articulation des différentes formes de proximité entre elles. Enfin, peu de travaux analysent les formes

de proximité de manière dynamique, en particulier la manière dont elles co-évoluent avec le processus d'innovation. Les projets collaboratifs de R&D des pôles de compétitivité constituent, de ce point de vue, un terrain inexploré susceptible d’enrichir les concepts de l’économie des proximités.

Dans un contexte de mondialisation, de raccourcissement du cycle de vie des produits et de complexification de ces derniers, les pôles de compétitivité ont été créés dans le but de faciliter l'émergence de projets collaboratifs de R&D, ces derniers devant générer plus facilement des innovations. Cette politique, structurée en trois phases, a conduit à soutenir plus de 5000 projets collaboratifs de R&D depuis 2005 et aboutit à des résultats positifs sur l'écosystème d'innovation.

Les projets collaboratifs de R&D peuvent être analysés à la fois sous l'angle de la coopération entre des activités de R&D et de la cognition. La dimension de coopération rappelle que les pôles de compétitivité et les financeurs permettent aux projets, fondés sur des contrats de plusieurs années, de réduire l’existence d’incertitudes statiques et dynamiques. Ils facilitent la mobilisation des ressources complémentaires des organisations, afin de valoriser les actifs spécifiques qu’elles détiennent, dans une optique de recherche de solutions. La dimension cognitive rappelle que la valorisation d'actifs repose sur des transferts de connaissances codifiées et tacites, au niveau inter et intra-organisationnel. Ces transferts aboutissent à des créations de connaissances nouvelles, ainsi qu'à des phénomènes d'apprentissage entre les organisations (bien que ces dernières soient limitées par les capacités cognitives des individus).

De ce point de vue, les pôles de compétitivité s'inscrivent dans la continuité des précédents systèmes territoriaux de production et d'innovation, parce qu'ils territorialisent les dynamiques collaboratives et facilitent ainsi la transmission de connaissances tacites.

Comme les clusters, ils visent aussi à créer de nouveaux ensembles de connaissances pour lever des verrous techniques. Ils s'en distinguent toutefois en raison du rôle important joué par les pouvoirs publics. L'agglomération des activités sur un territoire a longtemps été justifiée comme principal facteur de coordination des activités, grâce à l’existence des transferts localisés de connaissances. Cette approche est remise en question par les travaux les plus récents, qui insistent sur l’existence d’autres formes de proximité comme fondements de la transformation des ressources des organisations. Ces formes conduisent à approcher la notion du territoire par le biais du recouvrement des notions d’espace et de réseau. Ces dernières constituent une approche théorique originale pour appréhender les dynamiques collaboratives des pôles de compétitivité.

LES FRONTIERES DU PÔLE SYSTEMATIC

PARIS-REGION

Le pôle de compétitivité Systematic Paris-Région est un territoire aux frontières particulièrement floues. En effet, ses frontières peuvent se manifester sous une diversité de formes. Au plan géographique, le pôle est implanté sur le territoire du plateau de Saclay. Dans le même temps, ses frontières institutionnelles sont calquées sur le contour de la région Ile-de-France puisque les organisations membres du pôle doivent être franciliennes. Enfin, il est probable que les frontières des dynamiques collaboratives qui le constituent dépassent le territoire d’implantation et les frontières institutionnelles en raison notamment des projets collaboratifs menés à l’échelle européenne. Ce dernier point nous conduit à mobiliser les catégories théoriques évoquées au chapitre précédent, et qui nous paraissent pertinentes au regard de l'analyse des dynamiques collaboratives des pôles de compétitivité. En effet, la proximité géographique permanente entre les organisations ne paraît pas être la seule forme de proximité facilitatrice de la coordination des activités de R&D dans les projets collaboratifs des pôles de compétitivité.

Cette deuxième partie a pour objet d’étude les frontières du pôle Systematic Paris-Région, qui est le premier pôle français en termes de projets labellisés et financés. Nous présentons les sept principaux groupes thématiques qui le composent, sa cellule d'animation et les missions qu'il accomplies en faveur des membres de l'écosystème. Ce chapitre est également l'occasion de nous interroger sur la diversité des frontières du pôle de compétitivité (chapitre 4). Par la suite, notre analyse des dynamiques collaboratives de Systematic Paris-Région est portée à un double niveau : dans un premier temps à l'échelle du pôle de compétitivité, par un examen du rapport des acteurs à l'espace et de leur positionnement dans les réseaux collaboratifs de R&D (chapitre 5) ; dans un deuxième temps à l'échelle des projets collaboratifs de R&D, par une étude des diverses formes de proximité mobilisées, de leur articulation et de leur évolution au cours du déroulement des projets (chapitre 6).

Chapitre 4. Le pôle de compétitivité Systematic Paris-Région :

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