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De la proximité géographique permanente à la proximité géographique temporaire

Chapitre 3. Dynamique collaborative et dynamiques de proximités au sein des pôles de compétitivité

3.3. Les dimensions de la proximité autre que géographique au sein des pôles de compétitivité

3.3.1. De la proximité géographique permanente à la proximité géographique temporaire

également que la proximité géographique doit être complétée par des formes de proximités non spatiales (institutionnelle, organisationnelle, cognitive et sociale) (3.3.2).

Enfin les travaux les plus récents inscrivent le jeu des proximités dans une perspective dynamique de création des connaissances (3.3.3). Ce dernier point conduit à un état de l’art sur les travaux réalisés sur le sujet de l'économie des proximités, afin de produire une compréhension des dynamiques collaboratives dans les projets des pôles de compétitivité.

3.3.1. De la proximité géographique permanente à la proximité géographique temporaire

La proximité géographique est généralement désignée comme une distance physique entre deux organisations « pondérée par le coût monétaire et temporel de son franchissement » (Torre, 2006, p.9 ; Boschma, 2005, p.69). Il semble toutefois difficile de déterminer le kilométrage maximal pour qualifier une distance entre deux organisations

« proches géographiquement ». De plus, la notion est relative puisqu'elle dépend de plusieurs facteurs tels que la disponibilité des moyens de transport et du ressenti des individus sur la distance qui les sépare (il est plus difficile de se déplacer lorsqu'un massif montagneux sépare deux organisations séparées pourtant à quelques kilomètres de distance à vol d'oiseau) (Torre, 2010, p.413). Les conditions météorologiques, les ressources engagées dans les déplacements (financières et temporelles) et la vitesse de déplacement révèlent le caractère variable de la notion. La proximité géographique peut être source d'effets positifs, mais également d'effets négatifs. Une entreprise qui s'installe à proximité d'une autre entreprise spécialisée dans le même domaine pourrait bénéficier de transferts de connaissances, d'une meilleure compréhension, d'une confiance partagée, etc. (Maskell, 2001, p.926). Ceci étant, une proximité géographique trop forte peut être une source d'effets négatifs, tels que l'espionnage industriel ou le lock-in spatial (c'est-à-dire l'absence d'ouverture des membres vers l'extérieur). A contrario, une proximité géographique trop faible conduit à ne pas pouvoir nouer des relations de

confiance, à ne pas pouvoir résoudre des incompréhensions, etc. (Boschma, 2005, p.71).

La proximité géographique peut être subie (lorsqu'une organisation s'installe à proximité d'une autre organisation sans que cette dernière l'ait voulu) et dans ce cas, elle désigne le

« cas où les acteurs sont en conflits sur les fonctions à attribuer à une faible distance physique » (Talbot, 2010, p.137). Elle peut aussi être recherchée par les organisations (Torre, 2010, p.414).

L'apport principal de l'Ecole française de la proximité, repose sur la distinction établie entre la proximité géographique permanente (PGP) et la proximité géographique temporaire (PGT) (Torre, 2010, p.421) (tableau 6). La PGP n'est pas une nécessité pour coordonner les activités dans les projets collaboratifs (Bathelt et al., 2004, p.45 ; Boschma, 2004, p.20). La proximité géographique permanente désigne des organisations qui sont co-localisées. Certains contestent la vision selon laquelle « la géographie serait morte » avec la rapide diffusion des TIC et selon laquelle « les relations espace-temps ont été si radicalement compressées qu'il serait possible d’annihiler l'espace avec le temps » (Morgan, 2004, p.4). Le local continue de jouer un rôle important (Porter, 1998, p.90), car ce qui peut être accompli à distance n'offrirait pas les mêmes opportunités en matière de

« réciprocité, sérendipité, et de confiance que ce qui est permis par un contact soutenu en face-à-face » (Morgan, 2004, p.12). Dans la Silicon Valley, la proximité aide à anticiper d e s tendances avant même qu'elles n'émergent, grâce à des échanges répétés, une meilleure coopération et confiance entre les parties prenantes (Porter, 1998, p.80).

La proximité géographique temporaire repose sur deux dimensions : d'une part, la mobilité des acteurs et des biens, selon une durée qui peut être variable et le niveau de développement des infrastructures de transport (Torre, 2010, p.414) ; d'autre part, les situations d'ubiquité liées à l'utilisation des TIC, qui permettent aux acteurs d'être dans plusieurs endroits à la fois. La proximité géographique temporaire permet de ne pas supposer la concentration géographique des organisations comme un a priori pour la coopération (Boschma, 2005, p.71). Les connaissances tacites ne sont pas des ressources immobiles confinées à l'échelle locale, mais sont incarnées par des individus dont la mobilité les rend accessible à travers les interactions sociales (Morgan, 2004, p.12). Les interactions entre les organisations peuvent ainsi se manifester dans une multitude de lieux qui ne correspondent pas à leurs lieux de localisation, tels que « les foires, colloques et expositions » (Torre, 2010, p.422), etc.

Tableau 6 – Les différentes formes de proximité géographique

Proximité géographique (subie ou recherchée)

Permanente Temporaire

– colocalisation des organisations – mobilité des individus – situations d'ubiquité (TIC) Source : élaboration par l’auteur

Les notions de la PGT, mobilité et ubiquité, permettent aussi de penser la fréquence des interactions, ainsi que leurs modalités (face-à-face ou interactions à distance). Tout d'abord, concernant la fréquence des interactions, Bernela et Levy ont envoyé une enquête en ligne à plusieurs centaines de membres d'un pôle de compétitivité français. À partir de 754 liens inter-organisationnels, ils ont observé une hétérogénéité de l'existence et de la fréquence de ces interactions. Par exemple 20 % des liens dans les projets collaboratifs européens sont caractérisés par une absence d'interaction entre les membres. De manière générale, 5 % du total des liens ne sont accompagnés d'aucune interaction (Bernela et Levy, 2016, p.319). Cette étude révèle également que les projets financés par le Fonds Unique Interministériel (FUI) sont le théâtre d'interactions plus fréquentes que pour les projets financés par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR).

De plus, les interactions sont plus fréquentes dans les projets qui comprennent des membres strictement localisés dans le pôle de compétitivité, par rapport aux projets co-labellisés par plusieurs pôles de compétitivité (Bernela et Levy, 2016, p.305).

L'arbitrage entre le recours au face-à-face et l'utilisation des TIC dépend d'une multitude de facteurs tels que la géographie, la complexité des connaissances transférées, la pression temporelle, la maîtrise limitée des TIC (Aguiléra et al., 2007, p.6) et également de la connaissance antérieure des partenaires (Bernela et Levy, 2016, p.308). La distance géographique qui sépare deux individus reste toutefois un critère important. Les organisations co-localisées utiliseraient davantage le recours au face-à-face pour transférer des connaissances, contrairement aux organisations qui sont éloignées géographiquement. Plus la distance est faible, plus les individus communiquent en face-à-face (Aguilera et Lethiais, 2011, p.271). En revanche, il ne semble pas y avoir de différences au sujet de l'utilisation des TIC (Bernela et Levy, 2016, p.320). Les

organisations proches géographiquement n'utilisent pas moins les TIC que les organisations éloignées géographiquement. Cela signifie aussi que les organisations éloignées ont tendance à utiliser davantage les TIC, par rapport au face-à-face. Des travaux montrent que les salariés de Volvo en Suède communiquent plus fréquemment avec les TIC (en particulier avec la vidéoconférence) lorsqu'ils s'adressent à leurs homologues australiens, et se déplacent lorsqu'il s'agit d'homologues situés entre Göteborg et Skövde (Lorentzon, 2003, p.97). D'autres études réalisées sur 850 établissements bretons montrent que les PME bretonnes communiquent davantage grâce aux TIC lorsqu'elles s'adressent à des partenaires situés hors de la région Bretagne (Le Goff-Pronost et Lethiais, 2008, p.70). La complexité des connaissances échangées est également un facteur qui conduit des individus à organiser des face-à-face, plutôt que de transférer des connaissances via les TIC. Ils exprimeraient alors des « besoins de proximité » liés à cette complexité (Bergouignan et al., 2004, p.144). Deux formes de complexité se distinguent : la complexité combinatoire, définie comme les « difficultés de mise en cohérence des objets développés », et la complexité technologique définie par

« la fréquence de renouvellement de la base de connaissances » (Bergouignanet al., 2004, p.145). Le choix des outils utilisés serait lié à ces formes de complexité : par exemple la visioconférence permet de transférer des connaissances plus complexes que par mail, mais néanmoins moins complexe que par le face-à-face (Aguilera et Lethiais, 2011, p.274). Le face-à-face permet effectivement de transmettre davantage de connaissances tacites et d'accroître la compréhension des connaissances complexes transmises, par la possibilité d'interagir en temps réel : « les avantages de la proximité géographique sont encore plus manifestes lorsque les connaissances sont tacites, non encore documentées et difficiles à codifier (…) » (Matteaccioli, 2005, p.298). Aussi, des multinationales implantent parfois leurs filiales afin d'accéder à une base de connaissances tacites locales (Jacquier-Roux et al., 2012, p.76), bien que cela soit parfois considéré comme un échec (Boschma, 2005, p.70). Enfin, la pression temporelle est également un facteur qui conduit les individus à un choix entre le face-à-face et l'utilisation des TIC (Gomez et al., 2011, p.14). L'utilisation des TIC permet effectivement à des individus d'interagir simultanément en étant situés dans plusieurs localités différentes, ce qui représente un gain de temps important puisque les individus n'ont pas à se déplacer pour communiquer (Torre, 2010, p.420). Toutefois, la mauvaise qualité de l'image, les

difficultés de compréhension liées aux TIC, ainsi qu'une maîtrise incomplète des technologies disponibles peut conduire des individus à choisir de communiquer en face-à-face. À titre d'exemple, la visioconférence est parfois peu utilisée dans les entreprises qui en bénéficient (Aguiléra et al., 2007, p.12) car elle demande un apprentissage qui peut être long.

Ces éléments laissent penser que les interactions en face-à-face et par les TIC se retrouveraient dans une relation de substitution. Or certaines études montrent que ce n'est pas toujours le cas, en particulier pour les projets transnationaux (Adenfelt et Lagerström, 2006, p.196). D'autres considèrent que les interactions en face-à-face seraient même complémentaires avec certaines technologies (par exemple le téléphone), alors qu'elles seraient substituables avec d'autres technologies (par exemple le mail) (Charlot et Duranton, 2006, p.11). Enfin des auteurs pensent que les technologies facilitent les transferts des connaissances, mais « créent aussi de l'incertitude, des questions de recherche (…) » (Storper et Venables, 2004, p.29). Les organisations ont effectivement parfois recours à des interactions à distance avec d'autres organisations, pour bénéficier de compétences complémentaires, sources d'enrichissement cognitif (Morgan, 2004, p.13). Par exemple dans le cluster des biotechnologies de Boston, les interactions à distance permettent aux organisations de bénéficier de connaissances externes, grâce à des pipelines (Owen-Smith et Powell, 2004, p.5). Ce sont des sources d'avantage concurrentiel pour les organisations (Ter Wal et Boschma, 2007, p.4) parce qu'elles combinent les ressources locales (acquises par le face-à-face) et les ressources distantes (acquises via les TIC), c'est-à-dire « le buzz local et les liens extra-territoriaux » (Boschma, 2005, p.71). Le recours au face-à-face serait ici un moyen de réduire l'incertitude liée à la relation à distance. Les relations entre les organisations peuvent alors être schématisées par une alternance de rencontres ponctuelles liées à la mobilité des individus, et d'interactions à distance grâce à l'utilisation des TIC (Torre, 2010, p.426).

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