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Chapitre 1. Institution et histoire des pôles de compétitivité

2.2. Les processus cognitifs dans les projets collaboratifs de R&D

2.2.3. De l'internalisation aux formes variées d'apprentissage

2.2.3.3. Des formes variées d'apprentissage

L'apprentissage est un processus qui prend des formes variées puisqu'il dépend

« de la nature des questions à résoudre et des types d'action/interactions dans lesquels les acteurs sont impliqués » (Bellon, 1997, p.95).

Originellement, Arrow (1962) et Rosenberg (1990) considèrent le processus d'innovation comme source d'apprentissages internes et d'apprentissages externes. Le premier cas se réfère à l'apprentissage par la pratique (''learning by doing'') et est lié au processus de production : à l'époque du fordisme, les travailleurs apprennent par la répétition des mêmes gestes et permettent d'améliorer la productivité de l'entreprise. Le

second cas se réfère à l'apprentissage par l'usage d'un produit par les utilisateurs (''learning by using''). Rosenberg donne l'exemple de produits composés de matériaux complexes et soumis à des environnements exigeants. La prédiction des interactions du produit avec son environnement est compliquée. Selon lui, le « learning by using est pertinent pour un pourcentage large et croissant d'équipements, en particulier de composants caractérisés par un haut degré de complexité systémique » (Rosenberg, 1990, p.140) (traduit de l'anglais). L'usage du produit par d'autres utilisateurs permet de lever des incertitudes et révéler certains problèmes insoupçonnés. Pour Rosenberg (1990), les secteurs industriels tels que l'aviation, l'énergie, la téléphonie ou l'informatique sont la preuve d'une croissance élevée de leur productivité au vingtième siècle parce qu'ils sont liés au learning by using (Rosenberg, 1990, p.140). L'apprentissage par l'interaction, aussi appelé ''learning by interacting'' est une troisième forme d’apprentissage mise en avant par Lundvall. Celle-ci n'est pas toujours produite à l'intérieur d'une organisation, mais est aussi liée aux interactions avec son environnement, dans la mesure où cet apprentissage contribue à renforcer « les liens historiques entre les producteurs et les utilisateurs » des produits (Lundvall, 1985, p.25). Les économies qui accordent une place importante aux apprentissages par l'interaction sont qualifiées d'économies apprenantes par Lundvall. Selon cet auteur, les ''learning by doing'', ''by using'' et ''by interacting'' peuvent être placées sur une échelle croissante d'interaction humaine. Le ''learning by interacting'' est très important puisqu'il s'agit du dénominateur commun de toutes les formes d'apprentissage (Carluer et Le Goff, 2002, p.140). La nature collaborative des projets de R&D dans les pôles conduirait assez naturellement à observer des formes d'apprentissage de type ''learning by interacting''. En revanche, les apprentissages ''by doing'' et ''by using'' relèveraient davantage des systèmes territoriaux de production dans lesquels les organisations se situeraient dans une routine de production. Dans les deux cas, ce sont les répétitions de tâches qui semblent être à l'origine de ces apprentissages.

Les projets des pôles de compétitivité relèvent, eux, de la création de nouvelles connaissances. Pour autant, nous ne souhaitons pas exclure ces formes d'apprentissage de notre analyse des dynamiques collaboratives dans les projets des pôles de compétitivité.

Au-delà de ces formes originelles, Johnson ajoute le ''learning by searching'', lié au fait que certaines organisations ont pour objectif explicite l'augmentation du niveau général

du stock des connaissances afin de générer des innovations (Lundvall, 1992, p.31).

Plusieurs apprentissages sont liés à la recherche : le ''learning by studying'', le ''learning by searching'' et le ''learning by experiencing''. Le premier concernerait plutôt une recherche fondamentale abstraite, le deuxième concernerait une recherche appliquée à un cas concret et le troisième correspondrait à une acquisition de savoir-faire (Carluer et Le Goff, 2002, p.139). De par leurs liens avec la recherche, ces apprentissages sont parfois considérés comme caractéristiques de l’économie de la connaissance. Il semble donc que nous pouvons légitimement nous poser la question des modalités de leurs apparitions dans le cadre des projets collaboratifs de R&D des pôles de compétitivité, puisque ces derniers combinent des aspects liés à la recherche fondamentale, à la recherche appliquée et aux expérimentations. Enfin le ''learning by monitoring'' correspond à un apprentissage lié à la gestion managériale (Carluer et Le Goff, 2002, p.139). Cet apprentissage est aussi susceptible d’apparaître dans des projets collaboratifs dans lesquels le responsable scientifique et technique joue un rôle structurant, en particulier quant à la définition de l’architecture du projet.

Enfin des formes plus récentes sont apparues, liées à des bases technologiques nouvelles. Ces formes d’apprentissage sont susceptibles de se retrouver dans les projets collaboratifs des pôles puisque l'apparition des NTIC offre la possibilité de transmettre des informations instantanément, entre des organisations éloignées, pour un coût quasiment nul. Les NTIC permettent de s'affranchir du temps et de l'espace. Ces nouveaux canaux de transmission de l'information suscitent de nouvelles modalités d'apprentissage par une mise en connexion multi-modale. Le ''learning by commuting'' (Carluer et Le Goff, 2002, p.141) est un « apprentissage par la connexion réticulaire multimodale qui permet à l’agent d’être là et dans plusieurs ‘ailleurs’ » (Le Goff, 2014, p.36). L'émergence de cette nouvelle modalité rend compte d'un nouveau système territorial de production : « l'espace serviciel » (Carluer et Le Goff, 2002, p.142). Ce dernier a la caractéristique de recouvrir plusieurs territoires et d'utiliser des outils de communication synchrone (pour le développement du télé-enseignement) et asynchrone (pour l'échange d'information via Internet).

Enfin d'autres travaux proposent de distinguer l'apprentissage par expérience directe et l'apprentissage par expérience indirecte (Azoulay et Weinstein, 2000, p.138).

L'apprentissage par expérience directe est fait d'essais, de réussites et d'erreurs. Il est

effectivement possible d'apprendre des réussites, mais également des échecs (même si la littérature est partagée quant à l'influence de l'échec sur l'apprentissage : il peut le stimuler, mais également l’annihiler) (Charreire Petit et al., 2013, p.106). L'apprentissage par expérience indirecte permet de faire évoluer la base de connaissances de l'organisation « en s'appuyant sur l'expérience des autres » (Azoulay et Weinstein, 2000, p.140). D'autres auteurs distinguent deux types d'apprentissage dans le cadre des réseaux collaboratifs : l'apprentissage « strong focused », lorsque la division du travail est clairement établie et que les organisations acquièrent des connaissances de manière ciblée ; l'apprentissage « diffused focused » lorsque la division du travail n'est pas clairement établie et que les apprentissages peuvent être de différentes natures (Crevoisier et Jeannerat, 2009, p.83). Dans les projets collaboratifs des pôles de compétitivité, nous pensons que ces apprentissages sont liés à la division du projet en différents lots de livrables. Le découpage des workpackages et la répartition des organisations au sein des lots pourrait conduire à influer la manière dont les organisations apprennent (apprentissage direct ou apprentissage indirect ; strong focused ou diffused focused). Par exemple une organisation présente dans un lot de livrable dont l’objet est l’expérimentation, avec une division claire des tâches, va avoir tendance à apprendre de manière directe et ciblée.

Conclusion du chapitre 2

L'objectif de ce chapitre était de produire une compréhension des questions et des enjeux que soulèvent la mise en œuvre de projets collaboratifs de R&D dans le contexte bien particulier des pôles de compétitivité. Pour ce faire, nous avons considéré la notion de projet collaboratif sous trois dimensions distinctes mais complémentaires les unes des autres : la dimension coopérative ; la dimension cognitive, et la variété des apprentissages sous-jacents.

L'approche transactionnelle de la firme met en évidence le risque de comportements opportunistes lors de transactions entre des organisations. Nous pensons que les pôles de compétitivité constituent des solutions à ces risques, en particulier celui de sélection adverse, grâce à des missions de veille, de détection des opportunités et d'expertise des projets collaboratifs. Les permanents des pôles ont une connaissance des appels à projets, des organisations présentes dans l’écosystème et des ressources qu’elles détiennent. L’inscription des coopérations inter-organisationnelles dans des contrats de long terme joue également le rôle de réducteurs d'incertitude pour les partenaires.

Les pôles de compétitivité, par leur structuration, contribuent également à donner de la visibilité à des thématiques particulières. Ils fédèrent des organisations aux problématiques similaires (automobile, télécoms, etc.), ce qui les aide à valoriser les ressources complémentaires qu’elles détiennent. Les groupes thématiques facilitent la fertilisation croisée des préférences, ressources, routines, etc. et l’expression de solutions originales à des verrous scientifiques et techniques. Ces solutions sont inscrites dans le cadre d’accords de consortium, exigés par les financeurs, qui contribuent à abaisser les risques d’opportunisme en détaillant les lots de livrables, les tâches que doivent réaliser les partenaires, les droits d’utilisation, de tirer un revenu ou de céder un actif à un tiers pendant la durée d’un projet.

Au sujet de la dimension cognitive des projets collaboratifs des pôles de compétitivité, la coordination des activités de R&D repose sur des transferts de connaissances, des créations de connaissances et des phénomènes d’apprentissage.

Dans les pôles de compétitivité, la connaissance a le statut de bien public pur et son

transfert ne donne pas nécessairement lieu à des compensations financières. En revanche, les droits de propriété contraignent les partenaires à faire un usage limité des connaissances transférées dans le temps et dans l'espace, selon les règles fixées dans l’accord de consortium. Les partenaires transfèrent des connaissances tacites, facilités par la dimension territorialisée des projets souhaitée par les pouvoirs publics. Ils transfèrent également des connaissances codifiées, sous l’influence des pôles de compétitivité et des financeurs qui effectuent une sélection des projets sur la base de leur contenu. La codification des connaissances permet de transférer des documents à distance, de conserver des traces des documents envoyés et d’assurer le suivi et l’évaluation des projets collaboratifs de R&D. La complémentarité entre les connaissances tacites et les connaissances codifiées se manifeste lors des oraux qui permettent aux membres des jurys de bénéficier de multiples précisions sur les connaissances qui ont été codifiées. Ces étapes montrent l’irréductibilité des connaissances tacites. Aussi, dans les projets collaboratifs des pôles, les transferts peuvent prendre la forme d’une simple communication (dans le cas du transfert des meilleures pratiques), tout comme ils peuvent participer au processus dynamique de co-construction des connaissances, au niveau inter-organisationnel et intra-organisationnel. Ils s’inscrivent ainsi dans un processus complexe et interactif, composé de boucles de rétroaction entre les segments de la chaîne de valeur du processus d’innovation, ainsi que des flux de connaissances entre les individus afin d’élaborer collectivement des solutions.

Enfin, ce qui différencie les pôles de compétitivité par rapport aux systèmes territoriaux de production, réside dans le fait que les organisations ne cherchent pas uniquement à transférer des connaissances, elles visent aussi à en créer. Nous considérons que les catégories de Nonaka et Takeuchi (1997), qui composent la spirale de création des connaissances, sont pertinentes pour analyser les dynamiques collaboratives des pôles de compétitivité, car elles créent des jalons dans la vie d’un projet. En revanche, nous pensons que l’internalisation ne constitue pas une étape de fin de processus, mais est un élément qui se manifeste sporadiquement au cours d’un projet.

Les transferts et les créations de connaissances génèrent des apprentissages, limités par les capacités cognitives des individus, qui prennent probablement la forme de learning by studying, by searching e tby experiencing dans les projets des pôles, puisque ces apprentissages sont symptomatiques de l’économie de la connaissance. Ils sont

également de type learning by interacting, par la nature collaborative des projets ; et de type learning by commuting via l’utilisation importante des NTIC dans les projets.

Les approches transactionnelles, cognitivistes et contractualistes mobilisées permettent d’appréhender la coordination des activités dans les projets collaboratifs des pôles de compétitivité, mais sont toutefois limitées parce qu’elles ignorent la dimension spatiale. Le chapitre suivant propose d’aborder cette dimension en resituant les pôles de compétitivité parmi les autres systèmes territoriaux existants, ainsi qu’en procédant à la description des outils de l’économie des proximités qui permettent d’appréhender le territoire dans sa conception la plus large.

Chapitre 3. Dynamique collaborative et dynamiques de proximités

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