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La thèse des transferts localisés de connaissances et sa remise en question

Chapitre 3. Dynamique collaborative et dynamiques de proximités au sein des pôles de compétitivité

3.2. La thèse des transferts localisés de connaissances et sa remise en question

Les STP et les STI ont pour point commun de réunir des organisations proches sur un plan géographique et sectoriel. De nombreux travaux menés sur les clusters soulignent ainsi les forces centripètes qui les caractérisent et qui rendraient une localisation dans le cluster rentable (Depret et Hamdouch, 2009, p.31). Deux courants théoriques ont permis de mieux comprendre, par la réalisation de travaux économétriques, les déterminants de la localisation des organisations et des phénomènes d'agglomération : la Nouvelle Économie Géographique (NEG) et la Géographie de l'Innovation. Nous nous intéresserons au deuxième courant, qui consacre ses travaux aux transferts localisés de connaissances (3.2.1). Cette thèse plaide pour la concentration géographique des organisations, mais est débattue dans la littérature académique (Aguilera et Lethiais, 2011, p.270), d'autant plus que les pôles de compétitivité sont des structures davantage polycentriques que géocentrées (Depret et Hamdouch, 2009, p.32). Ces observations poussent à ne plus considérer la proximité géographique permanente comme une condition suffisante à la coordination des activités de R&D (elle peut parfois même être source d'externalités négatives) (3.2.2).

3.2.1. Les transferts localisés de connaissances : plus une présomption qu'une hypothèse avérée

Les premières études du courant de la Géographie de l'Innovation ont révélé que les activités de brevetage des entreprises seraient influencées par les dépenses de la recherche universitaire à l'échelle de l'Etat (Jaffe, 1989, p.957). De manière semblable, une étude compare la localisation des brevets d'origine avec la localisation des brevets qui les citent (à la fois dans les entreprises et les universités). Les résultats, de manière assez significative statistiquement, démontrent que les brevets citent davantage d'autres brevets localisés à proximité plutôt que des brevets éloignés géographiquement (Jaffe et al., 1993, p.595). Des résultats similaires sont obtenus dans l'industrie des semi-conducteurs aux Etats-Unis (Almeida et Kogut, 1999, p.908), sur des données européennes (le système européen d'innovation est considéré comme une polarisation de plusieurs centres dans lesquels ont lieu les citations de brevet) (Maurseth et Verspagen, 1999, p.168) et au niveau international (aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et au Japon) (Jaffe and Trajtenberg, 2002, p.207). En prenant en compte la mobilité des individus, en particulier des stars scientists détenteurs de brevets, des études montrent que ces individus se déplacent entre des organisations qui sont co-localisées, comme cela est le cas dans la Silicon Valley (Almeida et Kogut, 1999, p.916). La citation de brevet doit toutefois être relativisée, car des citations de brevets n'aboutissent pas toujours à une augmentation des transferts de technologies, ni à des transferts de connaissances. Aussi, certains dépôts correspondent à une volonté de détenir des droits de propriété pour bloquer les concurrents (Jaffe, 2000, p.555). Aussi, toutes les inventions n'aboutissent pas à des dépôts de brevets et le coût d'un brevet peut varier considérablement d'une industrie à une autre (Acset al., 1992, p.366). Enfin, à partir des citations de brevets déposés à l'office américain des brevets, des études plus récentes démontrent que « la proximité géographique n'influe pas sur les liens entre brevets cités et brevets citant » (Gay et Picard, 2007, p.127), les brevets français ont notamment tendance à s'étendre au niveau international.

John Katz mène une approche similaire sur des données bibliométriques pour évaluer les collaborations infranationales entre les universités au Royaume-Uni, au

Canada et en Australie. Il montre que la fréquence de collaboration diminue avec la distance qui sépare des partenaires. Il en conclut que la communication en face-à-face est un élément important pour échanger des connaissances tacites puisque plus des partenaires sont éloignés géographiquement, moins ils ont tendance à coopérer pour la rédaction d'un article scientifique (Katz, 1994, p.40).

Une troisième approche calcule le coefficient de Gini pour la concentration géographique des activités d'innovation. En comparant la concentration des activités de production et la concentration des industries intensives en connaissances (mesurées à partir des investissements dans la R&D, la recherche universitaire et les qualifications des ressources humaines…), elle conclut que les secondes sont plus concentrées géographiquement que les premières. Ces éléments la conduisent à penser que la localisation compte dans l'exploitation d'externalités de connaissances (Audretsch et Feldman, 2004, p.13).

Une quatrième approche compare la capacité à innover d'une organisation et sa localisation par rapport à des sources de création de connaissances. Les premiers travaux montrent qu'un Etat qui améliore son système de recherche universitaire, accroît l'innovation locale (Jaffe, 1989, p.968), bien que cela dépende parfois des secteurs concernés (Acs et al., 1992, p.366 ; Massard et Torre, 2004, p.166). Ces études permettent de souligner que les connaissances créées dans des laboratoires universitaires contribuent à générer des innovations commerciales d'entreprises privées (Audretsch et Feldman, 2004, p.19 ; Cohenet al., 2002, p.21). La R&D d'une université a un impact significatif sur l'emploi dans les secteurs de hautes technologies ; elle rejaillit sur l'innovation de l'entreprise voisine, bien que les relations entre les organisations ne soient pas explicitées.

Une cinquième approche compare la capacité à innover d'une organisation et des données compilées sur l'emploi dans la R&D des laboratoires voisins (les effectifs de recherche et les dépenses de R&D). Cette étude est réalisée pour 43 États et 125 aires métropolitaines (Anselinet al., 1997, p.424). Les auteurs tentent de mesurer les externalités dans les aires métropolitaines par une modélisation en cercles concentriques.

Cette étude prouve que les externalités issues de la recherche universitaire s'étendent dans un rayon supérieur à 50 miles (Anselin et al., 1997, p.440 ; Massard et Torre, 2004, p.167). Cette étude économétrique a pour défaut de postuler le local et de ne pas être en

capacité de mesurer l'existence d'externalités à un autre niveau d'analyse.

Au total, ces approches apportent des arguments en faveur de la concentration géographique des organisations qui mènent des activités de R&D. Elles constituent un socle qui plaide pour la constitution des pôles de compétitivité. Elles sont toutefois soumises à des critiques méthodologiques importantes, tant sur le plan de leurs mesures que des biais dont elles sont porteuses.

3.2.2. Les critiques méthodologiques de ces approches

Ces études impliquent incontestablement des flux de connaissances, mais ne parviennent pas à les mesurer précisément (Howells, 2002, p.876), ce qui justifie l'existence de critiques méthodologiques importantes (Breschi et Lissoni, 2001, p.985). De nombreux auteurs étaient conscients des limites de leurs travaux puisque Jaffe conclut, au sujet du lien entre recherche universitaire et activité de brevetage des industriels, que

« établir des causalités avec des statistiques est une affaire risquée » (Jaffe, 1989, p.968) et souligne que le mécanisme d'externalité n'a pas été modélisé. De son côté, Maryann Feldman écrit que « l'estimation géographique de la fonction de production de connaissances, toutefois, est limitée parce qu'il n'y a pas de compréhension de la manière dont les externalités se déroulent et sont réalisées à l'échelle géographique » (Audretsch et Feldman, 2004, p.13). Malgré la co-localisation des activités, le lien de causalité entre les organisations reste difficile à établir. Aussi, l'importance des transferts localisés de connaissances dépendent des secteurs concernés. Par exemple, la proximité spatiale joue un rôle important pour la R&D de l'industrie chimique, alors qu'elle a peu d'effets sur la R&D de l'industrie pharmaceutique. En effet, la R&D dans l'industrie pharmaceutique repose beaucoup sur la transmission de connaissances codifiées. Enfin Feldman considère que certaines zones d'ombre restent à explorer, telles que les transferts de connaissances dans le cycle de vie des clusters : comment ils se forment, ils évoluent, se renforcent et déclinent (Audretsch et Feldman, 2004, p.32).

Les études réalisées à la suite des travaux de Feldman sont aussi porteuses de nombreux biais (Massard et Torre, 2004, p.13). Tout d'abord un biais institutionnel puisque seuls les Etats-Unis sont pris en considération dans ces études. Or il est possible que les transferts de connaissances soient liés à un certain contexte institutionnel et que des

résultats différents soient obtenus dans d'autres pays (Howells, 2002, p.881).

Deuxièmement ces études sont réalisées à un seul niveau géographique prédéfini (État ou une aire américaine). Or la réalisation d'approches sur plusieurs niveaux géographiques montre que la dimension locale existe mais n'est pas exclusive. Une organisation peut être influencée par des flux de connaissances locaux, mais également par des flux de connaissances globaux. Troisièmement, ces études sont menées dans les années 1990, sur la base de données des années 1980. Or le développement des TIC au cours des années 1990 a peut-être joué un rôle de facilitateur pour les transferts de connaissances et a renforcé la possibilité d'échanger des connaissances entre deux organisations qui ne sont pas co-localisées. Ces deux derniers points permettent d'ailleurs à d'autres auteurs de formuler l'existence d'une proximité géographique temporaire plutôt que d'une proximité géographique permanente entre les organisations qui innovent (par la mobilité des individus et par l'utilisation des TIC). Cette notion leur permet de penser des coopérations entre des organisations sans que ces dernières soient co-localisées.

De plus, si la concentration géographique est observée comme un atout pour les activités économiques, un débat théorique oppose la spécialisation régionale à la diversification régionale. Les externalités marshalliennes suggèrent que la concentration d'organisation appartenant à une certaine industrie facilite les transferts de connaissances, car les coûts de transaction et de communication sont minimisés (Audretsch et Feldman, 2004, p.14). Les organisations peuvent ainsi obtenir des connaissances qui vont accroître leur propre stock. La conception de Jacobs considère que la source la plus importante d'externalités de connaissances est externe aux industries dans lesquels les organisations sont parties prenantes (Audretsch et Feldman, 2004, p.14). La variété d'industries dans une région géographique conduit à des transferts de connaissances, à stimuler l'activité d'innovation et la croissance économique.

Toutefois, certains s'interrogent sur ce qu'un « éleveur de cochon pourrait apprendre d'une compagnie d'acier, si ce n'est le fait qu'ils sont voisins » (Asheimet al., 2011, p.4).

Certains travaux montrent que la diversification compte davantage que la spécialisation pour l'obtention d'un avantage concurrentiel (Feldman and Audretsch, 1999, p.427 ; Wuyts et al., 2005, p.2) tandis que d'autres études montrent que « les économies de diversité à la Jacobs de tout type, n'existe pas, pour n'importe quelle industrie » (Henderson, 2003, p.24). Le débat qui oppose spécialisation marshallienne à diversification jacobsienne n'est

pas tranché par les études menées à ce sujet.

D'autres critiques plus radicales, dénoncent le lien entre la concentration géographique des activités d'innovation et les transferts localisés de connaissances. En réalité les organisations ne se localisent pas pour bénéficier des transferts de connaissances puisque les centres de R&D ne font que suivre le site de production de l'entreprise d'appartenance (dans plus de 60 % des cas) plutôt que les clients ou les sous-traitants (13 à 14 % des cas) (Bergouignanet al., 2004, p.140). La présence d'activités de R&D ne constitue pas le premier facteur de localisation des activités de R&D des entreprises en France. Le premier facteur est la présence d'unités de production, parce que les technologies ou produits développés sont destinés à une unité de production proche. Cela rejoint les propos de Breschi et Lissoni, à savoir que ce que nous comprenons comme des externalités de connaissances sont en réalité des externalités pécuniaires tirés par les mécanismes de marché (marché du travail, marché des technologies, etc.) (Breschi et Lissoni, 2001, p.1000). Pour l'analyse des pôles de compétitivité, nous en tirons que l'argument de la proximité géographique n'est pas suffisant pour conclure à l'existence de transferts localisés de connaissances. D'autres formes de proximité doivent être mobilisées pour conduire des organisations à rassembler les ressources qu'elles détiennent afin de rechercher des solutions à des verrous techniques.

3.3. Les dimensions de la proximité autre que géographique au sein des pôles

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