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Chapitre 3. Dynamique collaborative et dynamiques de proximités au sein des pôles de compétitivité

3.1. Des systèmes territoriaux de production aux systèmes territoriaux d'innovation

3.1.1.2. Les milieux innovateurs face aux incertitudes de l'environnement

La principale limite des études de Marshall et Becattini au sujet des caractéristiques des districts industriels, demeure dans leur caractère statique. Ces études ne permettent pas de comprendre pourquoi certains territoires voient leur industrie devenir compétitive alors qu'elle ne l'a pas été pendant un certain temps, alors que d'autres territoires

longtemps industrialisés voient leur industrie s'effriter. Aydalot permet au Groupe de Recherche Européen sur les Milieux Innovateurs (GREMI) de devenir une association en 1986 afin de mener des travaux sur ces questions relatives à l'évolution des territoires. Les milieux innovateurs reposent sur trois éléments développés ci-après : la confiance partagée des organisations du milieu, leur adaptation face aux incertitudes de l'environnement et les phénomènes d'apprentissage qui en résultent.

Pour les chercheurs du GREMI, le succès des districts industriels repose sur l'existence d'un milieu. Le milieu fait écho au patrimoine socio-culturel de Becattini, puisqu'il désigne l'espace de la synergie, un ensemble de relations informelles entre des individus. Au sein de cet espace, les individus partagent des valeurs communes qui créent des relations fondées sur la confiance. Selon Aydalot, « l'entreprise (et l'entreprise innovante) ne préexiste pas aux milieux locaux, mais elle est sécrétée par eux. Les milieux sont considérés comme des « pouponnières » d'innovations et d'entreprises innovantes » (Aydalot, 2005, p.22). Pour Maillat, le milieu est « (…) un ingrédient de confiance et de convergence des points de vue qui compte beaucoup dans ce que l'on pourrait appeler la « chimie » de la coopération (…) » (Maillat, 2005a, p.12). La confiance partagée entre les individus est essentielle pour fonder l'action collective puisqu'elle permet aux organisations de dépasser les barrières de la concurrence, de coordonner leurs activités afin de transférer des ressources, de réaliser un produit et d'apprendre les unes des autres. Il s'agit d'un lubrifiant des coopérations inter-organisationnelles particulièrement important, puisque lorsque la confiance est absente, alors les liens ne se forment pas : « (…) les PMI catalanes nourrissent une méfiance très grande les unes à l'égard des autres, ce qui ne favorise pas la constitution de liens entre elles » (Matteaccioli, 2005, p.295). La confiance entre les individus facilite la coopération parce qu'elle constitue une réponse aux incertitudes de l'environnement (incertitudes statiques et dynamiques) : « Il est évident que la notion de confiance ne présente plus d'intérêt si l'avenir est certain » (Dupuy et Torre, 2004, p.67).

Les milieux innovateurs sont des systèmes qui savent adapter les processus productifs face aux perturbations de leur environnement. Les chercheurs du GREMI observent que les territoires très marqués par le savoir-faire des grandes entreprises tombent en crise alors que des territoires peu marqués par le savoir-faire des grandes

entreprises ont tendance à offrir des opportunités pour les petites entreprises (Matteaccioli et Tabariés, 2005, p.4). Dans un contexte de concurrence internationale qui s’accroît, les petites entreprises détiennent un avantage parce qu'elles sont plus flexibles et dynamiques que les grandes entreprises. Les petites entreprises développent davantage d'innovations de rupture (Aydalot, 2005, p.25) alors que les grandes entreprises souhaitent éviter tout changement radical qui modifierait leur position sur le marché. Ces dernières souhaitent plutôt amortir l'investissement initial qui porte sur des équipements anciens et réaliser des améliorations progressives d'une technologie qu'elles maîtrisent (Aydalot, 2005, p.26). Plusieurs conditions doivent être réunies pour qu'un milieu devienne innovateur puisqu'il « (…) ne suffit pas qu'un homme ou que quelques hommes décident que le territoire sera innovateur pour qu'il le devienne vraiment » (Matteaccioli, 2005, p.307). Les petites entreprises que nous avons évoquées précédemment doivent coopérer dans le cadre d'un réseau d'innovation formalisé. Ce dernier désigne, selon Robert Camagni, un « ensemble fermé de liens sélectionnés et explicites avec des partenaires préférentiels (…) » (Camagni, 2005, p.91). La concentration géographique d’organisations n'amène pas toujours à une relation de coopération. Selon Decoster et Tabariés, « (…) jusqu'à une date récente en Ile-de-France sud (la Cité Scientifique) (…) de grandes entreprises, de grandes écoles, des PMI innovatrices se sont installées sans établir de liens privilégiés entre elles » (Matteaccioli, 2005, p.294). À partir du moment où elles coopèrent, un milieu innovateur se révèle lorsque les organisations qui le composent sont confrontées à un changement dans leur environnement et adaptent le processus de production en conséquence. Par exemple « (…) dans le Jura suisse, une minorité d'entreprises acceptent d'introduire chez elle un changement technologique majeur » (Matteaccioli, 2005, p.303) pour mieux affronter la concurrence japonaise. Dans le district industriel de la chaussure sportive dans la région de Trévise, plusieurs adaptations révèlent la prise en compte du contexte : les Jeux Olympiques de 1956 poussent certaines organisations à se spécialiser avec succès dans la production de chaussures de ski ; dans les années 1970, lorsque le nombre d'acteurs est devenu trop important dans la production de chaussure de ski, des organisations se sont orientées vers la production de chaussures de sport en général (la marque Lotto est apparue à ce moment-là) ; dans les années 1980 les Moon Boots sont créées en s'inspirant des chaussures des astronautes ; dans les années 1990, le savoir-faire de la chaussure sportive est réutilisé pour la

production de chaussures de ville (des entreprises telles que Geox sont créées) et de nombreuses organisations acceptent d'externaliser une partie de la production vers des régions de Roumanie dans lesquelles les coûts de production sont plus faibles, afin de faire face à la concurrence internationale (Lanciano, 2014, p.44). D'ailleurs, « en 2005, ce sont 5323 firmes internationales dont 1638 entreprises italiennes de production de chaussures de sport, qui sont engagées sur le territoire de Timisoara » (Lanciano, 2014, p.47).

Dans le cas du district de la chaussure sportive, les transferts de connaissances et les apprentissages sont des éléments clefs de la transformation du milieu innovateur. En passant de la chaussure de ski à la chaussure sportive, l'innovation se révèle fortement dépendante du contexte dans lequel elle émerge : « le territoire est à la fois la résultante d’apprentissages passés et la condition des apprentissages futurs dans un processus dynamique inscrit dans le temps long » (Gaffard, 1986, p.17). D'autres auteurs parlent de rupture/filiation, car le territoire mobilise « des ressources constituées par le passé, adaptées aux nouvelles techniques et aux nouveaux marchés et incorporées dans de nouveaux produits (…) » (Crevoisier, 2001, p.158). Les changements qui s'opèrent dans l'environnement conduisent les organisations à adapter leurs structures et leurs objectifs dans une optique de renouvellement (Maillat et Kébir, 2005, p.383). Selon Aydalot, trois formes permettent de qualifier l'évolution des territoires (Matteaccioli et Tabariés, 2005, p.8) :

1. la ''rupture-filiation'' pour les régions qui disposent d'une tradition industrielle et qui doivent muter, comme cela est le cas du district de la chaussure sportive. Elle marque

« une dose de rupture avec le passé et une dose de filiation ; ce mélange est sans doute nécessaire à la réussite » (Aydalot, 2005, p.32). C'est aussi le cas de la montre Swatch qui a su se réinventer et se diversifier après avoir traversé une période de crise, tout en conservant son marché. Le milieu conserve des traces de son passé (Peyrache-Gadeau, 2005a, p.52) et cette dépendance au sentier permet partiellement d'expliquer pourquoi

« les comportements innovateurs ne sont pas nationaux, mais dépendent de variables définies au niveau local » (Maillat, 2005a, p.13). De plus, d'autres auteurs soulignent que

« tout acte de rationalité procède d'une réactivation de la mémoire » (Perrin, 2005, p.123).

2. ''l'attraction'' marque une modernisation « à l’initiative de grandes entreprises, extérieures à la zone, sans réemploi des savoir-faire locaux et sans liens avec les

spécialisations passées » (Aydalot, 2005, p.34). L'attraction permet le développement des régions sans tradition industrielle, qui sont dépourvues en capacité de création de connaissances nouvelles. Ce modèle est lié aux problématiques d'ouverture/fermeture, car le milieu a parfois besoin de s'appuyer sur des savoir-faire situés en dehors d'un espace donné pour éviter qu'il ne dépérisse. Pour Camagni, « A première vue, les relations de coopération et de réseautage entre entreprises sur une base trans-régionale ou transnationale semblent annuler l'espace dans sa dimension géographique aussi bien que relationnelle » (Camagni, 2005, p.92), mais en réalité le milieu local s'ouvre sur les compétences externes pour éviter le déclin de sa capacité à innover.

3. la ''polarisation'' dans les régions sans tradition industrielle, permet le développement de petites entreprises suite à l'impulsion d'une grande organisation. Par exemple l'université de Stanford a contribué à un essaimage de petites start-up, conduisant au développement de la Silicon Valley (Aydalot, 2005, p.36).

Si les districts industriels et les milieux innovateurs reposent sur des coopérations impulsées par les acteurs locaux, ce n'est pas le cas des systèmes productifs locaux (SPL) qui relèvent d'une construction par les pouvoirs publics.

3.1.2. Les systèmes productifs locaux (SPL), un territoire construit par les

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