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Chapitre 1. Institution et histoire des pôles de compétitivité

2.2. Les processus cognitifs dans les projets collaboratifs de R&D

2.2.1. Des transferts de connaissances pour valoriser les actifs détenus

2.2.1.1. La connaissance comme bien public pur, une notion discutée

La compréhension de la notion de connaissance demande de la distinguer de celle d'information (Arrow, 1962 ; Davenport et Prusak, 1998, p.1). L'information désigne « un

ensemble de données (…) inertes et inactives, ne pouvant par elles-mêmes conférer une capacité d'action à celui qui la détient » (Foray, 2009, p.10), alors que chez d'autres auteurs, elle est considérée comme un message entre un récepteur et un émetteur (document écrit, audio, vidéo), ce qui permet de la distinguer de la simple donnée (Davenport et Prusak, 1998, p.2). L'information est ainsi une donnée avec une signification, sans que celle-ci ne puisse permettre à celui qui la détient d'agir sur le monde qui l'entoure. La connaissance, quant à elle, est un « mélange d'expérience, de valeurs, d'information contextualisée et d'expertise » (Davenport et Prusak, 1998, p.4), issue d'un processus cognitif de transformation de l'information (Howells, 2002, p.871 ; Nonaka, 1994, p.16), qui permet à celui qui la détient de bénéficier d'une « capacité d'action intellectuelle ou physique » (Foray, 2009, p.10) sur le monde qui l'entoure. En définitive, la connaissance est issue de l'information et l'information est issue de la donnée (Davenport et Prusak, 1998, p.5). D'ailleurs le coût de reproduction de l'information ne représente que le coût de sa duplication alors que le coût de reproduction d'une connaissance est plus onéreux puisqu'il est lié à une activité cognitive. Ces notions peuvent toutefois être indépendantes puisque l'information peut laisser le stock de connaissances inchangé, tout comme la connaissance peut être modifiée sans qu'il n'y ait présence d'information (ce qui peut être le cas lors d'une introspection personnelle) (Llerena et Cohendet, 1999, p.215). Le fait que deux individus soumis à des informations similaires puissent générer des connaissances différentes démontre qu'une activité cognitive se situe à l'interface des notions d'information et de connaissance. Au cours d'un transfert de connaissances, l'information désigne un flux alors que la connaissance désigne un stock issu de ce flux au terme d'une activité cognitive. L'approche binaire information/connaissance est parfois jugée dépassée dans certains travaux, qui cherchent à élaborer un modèle plus graduel entre une information peu élaborée vers une connaissance fortement intégrée puisque « le potentiel des connaissances augmente avec leur degré d'intégration » (Cohendet et Diani, 2007, p.167).

En sciences économiques, depuis les travaux fondateurs de Arrow et Nelson, la connaissance est considérée comme un bien public pur, car elle est difficilement contrôlable et difficilement appropriable (Cohendet et al., 2006, p.3). Ce modèle s'est retrouvé dominant dans la littérature académique dans les années 1960/1970 (Antonelli,

2005, p.70). Il en résulte des externalités. Par exemple, dans les projets collaboratifs des pôles de compétitivité, une organisation est amenée à bénéficier de connaissances issues d'une autre organisation, sans avoir réalisé les investissements originels dans cette connaissance. Ces externalités demeurent toutefois rarement étudiées (Almeida et Kogut, 1999, p.916). En effet, une organisation peut conserver un secret, mais le fait de réaliser un produit à partir de ce secret est une source de transferts de connaissances qui peuvent éventuellement se traduire en apprentissage chez les organisations concurrentes. Les organisations concurrentes peuvent ainsi utiliser la connaissance sans nécessairement en payer les coûts en termes de recherche et développement. Elle est également considérée comme un bien non-rival dans l'usage (Antonelli, 2000, p.536). En effet, contrairement à un produit alimentaire, la consommation de la connaissance n'épuise pas la connaissance. Cela signifie qu'un individu peut utiliser la même connaissance un grand nombre de fois, sans en supporter de coûts additionnels, et également que plusieurs individus peuvent utiliser la même connaissance au même moment. Aussi, lorsque le nombre d'acteurs économiques qui l'utilisent s’accroît, la connaissance est susceptible de se combiner avec d'autres connaissances et créer de nouveaux ensembles de connaissances. Cette dimension révèle sa nature combinatoire et n'induit pas de coût additionnel, bien que cela dépende de la volonté des acteurs économiques de la partager, ainsi que de la capacité d'absorption des récepteurs (Grant, 1996, p.111). Il s'agit d'une

« forme extrême de coût marginal décroissant quand l'échelle d'usage augmente » (Foray, 2009, p.13), si bien que « le gain marginal privé net est inférieur au gain marginal social net car des services sont accidentellement offerts à des tiers, desquels il est techniquement difficile d'obtenir un paiement » (Cassier et Foray, 2001, p.108). Les propriétés économiques de la connaissance (difficulté de contrôle et d'appropriation, bien non rival dans l'usage, cumulativité) en font un fondement de la croissance, tandis que d'autres les analysent comme un cas de défaillance de marché (Brette, 2014, p.62). Dans les projets collaboratifs de R&D des pôles de compétitivité, les connaissances relèvent de ces dimensions, parce que les transferts ne font pas toujours l’objet de prestations financières entre les partenaires. Les individus apprennent au contact de leurs partenaires et combinent ainsi des connaissances qu’ils détiennent avec des connaissances détenues par leurs homologues.

Pour d'autres travaux, cette vision est naïve parce que les transmissions des connaissances dans les projets collaboratifs font aussi l'objet de droits de propriété intellectuelle ou de caractéristiques socio-culturelles telles que le langage, qui en limitent l'accès (Antonelli, 2005, p.55). Ce modèle, initié dans les années 1980/1990, complète celui du bien public pur. Alors que la notion de bien public pur laisse entendre que la connaissance pourrait librement circuler dans l'atmosphère, en réalité la connaissance reste parfois fortement liée à son détenteur par des droits de propriété. Le problème du bien public pur réside dans la possibilité de laisser des organisations s'approprier des connaissances sans en supporter les coûts de production. Face à ce problème, pour protéger sa position, une organisation peut alors lier ses connaissances à des droits de propriété. Le brevet constitue, par exemple, un titre de propriété industrielle qui permet d'interdire à un tiers d'exploiter l'invention qui en fait l'objet. Le brevet constitue à la fois une incitation à l'investissement dans les activités innovantes, et il contribue également à augmenter les coûts de transaction (Foray, 2009, p.63). L'organisation peut également, de manière stratégique, compter sur une imitation « complexe et coûteuse pour que la période d'appropriation par l'inventeur soit suffisamment longue » (Foray, 2009, p.64), tout comme elle peut libérer certaines connaissances pour imposer des standards aux autres acteurs du marché. Quelle que soit la stratégie des organisations, Attour et Barbaroux considèrent que le management des connaissances est indissociable du management des droits de propriété intellectuelle (Attour et Barbaroux, 2015, p.7). Ces droits permettent de distinguer trois types de connaissances qui peuvent être protégées : les connaissances background (antérieures), les connaissances foreground (postérieures) et les connaissances sideground (apparentées, c'est-à-dire qui émergent lors du processus d'innovation sans être le fruit d'une coopération) (Attour et Barbaroux, 2015, p.8).

Au final, dans les projets collaboratifs des pôles de compétitivité, la connaissance a le statut de bien public pur et son transfert ne donne pas toujours lieu à des compensations financières. En revanche, les droits de propriété peuvent contraindre les partenaires à en faire un usage limité dans le temps et dans l'espace, selon les règles fixées dans l’accord de consortium.

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