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Une agence publique de notation internationale ?

Paragraphe I : L'utilisation politique des agences de notation et les moyens d'y remédier

B) Une agence publique de notation internationale ?

La création d'une agence de notation internationale comme évoqué parfois est-elle la meilleure solution pour éviter une utilisation politique des agences ? Cette agence internationale serait par définition apatride et se situerait par conséquent au-dessus des considérations politiques nationales. Son fonctionnement pourrait être similaire au fonctionnement des agences privées d’aujourd’hui mais sans considérer le profit comme seul objectif. Ainsi, les analystes de cette agence pourraient suivre deux ou trois fois moins de dossiers que dans les agences du secteur privé afin de les traiter au mieux et les budgets de formation et de recrutement seraient plus importants, pour assurer un haut degré de compétence. Deux types d’organisation sont possibles :

La première consisterait en la création d’une agence ayant la même action que celle des agences actuelles, c'est-à-dire la notation de l'ensemble des titres circulant sur les marchés financiers. La deuxième solution serait, à l'image d'une société mère avec des succursales partout dans le monde, d'établir des agences de notation publiques au niveau des États ou des régions et une agence internationale publique qui aurait pour mandat d'agréger les données et les notes données par les entités nationales ou régionales. Mais que ce soit l'une ou l'autre solution, leur mise en place

394 Ibid.

soulèverait un certain nombre de difficultés.

Créer une seule et unique agence internationale est quasiment impossible à mettre en œuvre. En effet, même si créer cette agence ex nihilo est possible en fournissant un travail considérable et en patientant plusieurs dizaines d'années pour que l'agence acquière une expérience suffisante afin de pouvoir évaluer correctement l'ensemble des marchés financiers de la planète, elle se heurterait tout de même à un certain nombre de problèmes, le premier étant celui de son financement. Il faudrait évaluer la participation de chaque État ou région en fonction du nombre de titres qu'il émet, de sociétés notées immatriculées en son sein, etc. Une telle répartition paraît très difficile à réaliser, d'autant que les États ayant de mauvaises notations accepteraient certainement difficilement de financer cette agence. De plus, il faudrait que l'ensemble des acteurs internationaux soient d'accord sur le processus de notation, sur les critères d'évaluation, sur les différents critères de fonctionnement de l'agence, etc. Surmonter ces contraintes n'est certes pas utopique, mais n'en est tout de même pas loin.

Quant à la création d’agences nationales ou régionales soumises à l'autorité d'une agence internationale, les obstacles sont également nombreux. Tout d’abord, il faudrait que le grand nombre d'agences créées respectent toutes les standards établis, notamment au niveau des méthodologies de notation, pour obtenir une notation égalitaire et de qualité. Ensuite, cette approche est exposée à la théorie du « passager clandestin »396. Effectivement, un État ou une région seraient enclins à ne pas créer d'agence locale ou créer une agence sans se préoccuper de la méthodologie utilisée et donc de la qualité des notations ; en effet, les notations de l'agence internationale étant des biens publics, chaque pays ou région pourrait y accéder. Se pose enfin le problème du financement, dans ce domaine le risque d’exposition à cette théorie du « passager clandestin » est également élevé et certains gouvernements pourraient ne pas payer ou retarder leur contribution au budget de l'organisme. « La solution au problème du freeriding serait d’aller contre l’esprit même de la notion de bien public, à savoir de ne pas divulguer les notations de l’agence internationale aux pays qui agiraient comme des passagers clandestins et d’interdire aux autres États membres de les rendre publiques (pour ne pas qu’il y ait de fuite et que les passagers clandestins puissent avoir accès aux notes malgré tout) »397.

Se pose également la problématique de la direction de cette agence publique internationale. Deux solutions sont possibles : soit l'agence est créée ex nihilo, dans ce cas il est possible d'envisager un

396 La théorie du « passager clandestin » ou « free-rider » a été formulée par l’économiste suédois Knut Wicksell et modélisé par le socio-économiste américain Mancur Olson. Elle désigne en économie le comportement d'une personne ou d'une entité qui obtient et /ou profite d'un avantage sans avoir fait autant d'effort que les autres membres du groupe ou sans s'acquitter de sa juste quote-part ou du droit d'usage prévu.

397LABRECQUE S., Les agences de notation dans la gouvernance financière internationale : quelle régulation ?, Université d’Ottawa, École supérieure d’affaires publiques et internationales, 20 juin 2014, p. 35.

partage des rôles entre les différents participants, mais des luttes de pouvoirs et d'influence apparaîtront entre pays plus ou moins puissants. Soit l'agence est rattachée à une organisation internationale déjà existante. « Susan Schroeder de l’Université de Sydney propose que ladite agence soit créée au sein du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies en raison notamment de l’expertise de l’organisme dans la « international community engagement, construction of international policy, and dissemination of research» »398. L'agence publique de notation internationale pourrait également faire partie de la BRI, s’agenceant ainsi aux accords de Bâle. Cependant, à l’instar de l'OICV, la BRI serait confrontée au manque éventuel de compétence de ses membres qui sont en premier lieu des régulateurs (ce qui nécessiterait donc l'embauche de salariés compétents, et donc une augmentation de son budget) ainsi qu'à l’absence de ressources nécessaires pour élaborer et gérer une agence de notation internationale. Une telle agence pourrait, de même, potentiellement se développer au sein du CSF mais le budget et les ressources de cette organisation nécessiteraient une augmentation conséquente pour rendre le projet possible399.

L'agence publique devant être supranationale, ou détenue par des capitaux publics supranationaux, il semble donc que la Banque mondiale, à travers la Société Financière Internationale, soit la solution la plus pertinente. Cette organisation, même si sa priorité est aujourd'hui l'aide au développement, possède les compétences techniques et, éventuellement, les ressources financières pour mener à bien ce projet.

Cependant, une fois ces problèmes résolus, il n’existe aucune certitude quant au rôle que peuvent jouer les politiques de chaque État. Ainsi, il faudrait d'une part que les participants à cette agence se mettent d'accord sur les méthodologies et les indicateurs à utiliser pour définir les notations. Dans ce domaine, comme vu précédemment, les points de vue entre pays développés et pays en développement risquent d'être difficiles à concilier. D'autre part, dans le cas d'une mauvaise note et de ses conséquences, aucun dirigeant politique ne prendra le risque auprès de ses concitoyens de justifier une quelconque participation à une agence de notation préjudiciable.

La création d’une agence publique de notation internationale pourrait s’inscrire dans un processus positif. Mais dans la réalité des faits, sa mise en place semble très compliquée et soulève bon nombre de problèmes. Ainsi, pour Anouar Hassoune et Alexandre Medvedowsky, « Seul un acteur public n'a pas d'exigence excessive au regard de la rémunération des fonds propres. Pour autant, les États sont des entités trop marquées idéologiquement »400. Etienne De Callatay explique également que « […], Quis custodiet ipsos custodes, à comprendre comme « qui surveillera les surveillants ? ».

398 Ibid. 399 Ibid., p. 36.

Il est alors préférable que l'autorité régule les agences de notation plutôt que de substituer à elles. »401.

La politisation des agences de notation financière paraît donc évidente. Même si les agences ne semblent pas jouer un réel rôle politique, la récupération politique, par les États ou les politiciens, est un phénomène récurrent. La mise en place d'une régulation internationale dans ce cadre est donc difficilement envisageable, et la solution la plus adaptée à ce projet apparaît être la création d'une agence publique internationale. Cependant, cette solution présente également un inconvénient, celui de la difficulté de répondre à la fois aux exigences des pays développés et des pays en développement.

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