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Les difficultés que présente le contrôle des agences de notation

Paragraphe II : L'évolution difficile du contrôle des agences de notation financière

A) Les difficultés que présente le contrôle des agences de notation

Un certain nombre de difficultés entravent l’évolution du contrôle des agences de notation qui se heurte non seulement à l'absence de transparence des méthodologies employées par les agences pour définir leurs notes (1) mais également aux limites qu'un contrôle accru générerait (2).

1) Le défaut de transparence des méthodologies utilisées par les agences

Un des principaux obstacles à l'évolution du système des notations est le secret bien gardé du processus de notation. Chaque agence a sa propre « formule » et seuls les aspects méthodologiques les plus généraux sont rendus publics. La notation se distingue de l'activité dite de « scoring » car elle ne repose pas uniquement sur une analyse quantitative mais également qualitative. Ainsi, la notation « corporate », visant les entreprises ou les banques par exemple, repose « sur des critères tels que le flux de trésorerie ou le taux d’endettement, mais aussi sur le profil du secteur d’activité, le degré de concurrence qui caractérise ce secteur ou la stratégie de management adoptée par l’entreprise notée. De même, la notation souveraine, liée aux États, repose sur des indicateurs tels que le ratio dette/recettes budgétaires, l’inflation ou l’évolution du PIB par habitant, mais aussi sur d’autres tels que la stabilité institutionnelle et politique du pays concerné ou

sa compétitivité par rapport aux partenaires commerciaux »479. Pendant longtemps, la transparence et donc la publication des méthodes de notation utilisées par les agences prévalait sur toute obligation réglementaire. Cela s'explique notamment par le fait que chaque agence élabore sa propre méthodologie et qu'elle en fait un argument commercial car présentée comme gage de la qualité de sa notation. À l’inverse, elles estiment que si leur méthodologie était remise en cause, elles se verraient immédiatement sanctionnées par le marché, qui se détournerait de leurs services. Ce n'est qu'à la suite des nombreuses critiques sur leur manque de transparence que les agences ont décidé de faire quelques efforts. Ainsi, outre une refonte de leur site internet, les agences de notation ont décidé des modifications de méthodologie, en particulier pour les produits structurés. Ainsi par exemple, Moody's a publié près de 484 nouvelles méthodologies entre 2000 et 2012, dont 46% concernaient des produits structurés. Cependant, « la publication de milliers de pages au nom de la transparence engendre en contrepartie de la complexité et de la confusion »480. La tentation de s’en remettre dès lors à la seule notation, sans se soucier des procédures floues et complexes qui ont conduit les analystes à la déterminer reste donc très forte. De plus, même si au sein d'une même agence les échelles de notation sont uniformisées, comparer le travail des différentes agences est très difficile. « Comme l’explique l’économiste Norbert Gaillard, « Standard & Poor’s se montre “plus sévère” dès qu’elle juge excessif l’endettement d’un pays, tandis que ses deux concurrentes

Fitch et Moody’s prennent davantage en compte la puissance économique des États » »481. Le reproche du manque de transparence est un reproche persistant, ainsi Markus Krall482, qui pilotait le projet d'agence européenne du cabinet de conseil Roland Berger affirme qu’il « est aujourd'hui impossible pour une personne extérieure d'arriver aux mêmes conclusions que l'agence, même en ayant tous les éléments en main, car la notation repose sur un processus qualitatif qui est le fait d'experts »483. Il est nécessaire de préciser qu'une obligation de transparence a été mise en place depuis 2009 en Europe (et renforcée en 2013) et 2010 aux États-Unis et qu'elle est, de manière générale, efficace. Elle reste cependant critiquable en raison de la nature subjective des notes soumises à des critères à la fois quantitatifs car elles sont publiques mais aussi qualitatifs car déterminées au sein des agences de notation par un comité de notation dont les procès-verbaux des réunions ne sont eux pas publics ; c’est là la complexité d'une transparence réelle et effective. Aujourd'hui les publications des agences de notation sont considérables et les objectifs de

479

COLLARD F., op. cit., p. 19.

480ESPAGNAC F., DE MONTESQUIOU A., op. cit., p. 113. 481COLLARD F., op. cit., p. 20.

482 Markus Krall est un économiste allemand diplômé de l'Université de Nagoya et de la Albert-Ludwigs-Universität Freiburg im Breisgau

clarification et de compréhension loin d’être acquis. Bertrand Badré, Directeur financier du groupe Société générale et donc très souvent actif sur les marchés financiers affirme que « Leur méthodologie qui est un élément clé dans cette crise n'est pas stable. Trop souvent, et de plus en plus, parce [que les agences] sont soumises à diverses pressions, nous ne connaissons pas la manière dont s'opèrent les contrôles que nous subissons »484. Un autre exemple permet de s'apercevoir que malgré les nombreuses publications, la transparence reste un concept compliqué. Il porte sur une enquête réalisée par l'IFOP pour le Sénat français dans laquelle des investisseurs sont interrogés sur les qualificatifs qu'ils associent à l'image des agences de notation485. Cette étude révèle que 58% des investisseurs considèrent que la transparence des méthodes est un critère qui s’applique mal aux agences de notation. Ce pourcentage augmente d'ailleurs en fonction de l'importance des montants gérés, ils sont ainsi 67% des investisseurs gérant annuellement plus d'un milliard d'euros à considérer la transparence des méthodes insuffisante. Et même si 81% estiment que la publication des méthodologies de notations par les agences est très largement utile, ils restent 56% à considérer que les méthodologies publiées sont trop complexes pour être exploitables. Il est donc possible de considérer que la complexité des méthodes utilisées pour la notation mais aussi les difficultés à prévoir les modifications entraînent une déficience de la transparence, ce qui est somme toute compréhensible. Malgré de nouvelles réglementations en Europe et aux États-Unis, le contrôle des méthodes de notation continue d’être éludé car trop complexe et relevant du « secret industriel ». A travers la difficulté du contrôle des méthodologies utilisées par les agences, se pose également la question de la suite à donner au processus de régulation intervenu après la crise financière de 2007.

2) Le caractère aléatoire d'un contrôle renforcé des agences de notation financière

Même s’il est évident qu'un renforcement du contrôle des agences de notation est nécessaire, il faut néanmoins pendre en compte son caractère aléatoire. Ainsi, une mise en cause de leur responsabilité peut se heurter à certaines limites (a), mais il faut également faire attention à ne faire de la régulation à outrance, avec le risque de déresponsabiliser les autres acteurs du marché (b).

484 Ibid., p. 118.

485ESPAGNAC F., DE MONTESQUIOU A., op. cit., p. 118. Échantillon de 352 investisseurs professionnels, utilisant les agences de notation dans le cadre de leur activité, représentatif des entreprises du secteur financier et de l'assurance concernées par les notes des agences. Méthode des quotas.

a) Les limites de la mise en cause de la responsabilité des agences de notation financière

Lorsqu’est évoqué un renforcement de la régulation, la mise en cause de la responsabilité des agences de notation financière est souvent envisagée. Une responsabilité civile a bien été mise en place par le règlement européen de 2013486, mais elle soulève plusieurs questions. D'abord, il s'agit de s'interroger sur le capital des agences, suffisant ou non pour réparer d'éventuels dommages. La responsabilité des agences de notation reste en effet aujourd'hui limitée par leur capital. Les investisseurs pouvant obtenir gain de cause subissent bien souvent des préjudices extrêmement élevés et disproportionnés par rapport au capital de ces agences. Si une responsabilité est engagée en France par exemple, il faut savoir que le capital des filiales françaises des agences du Big Three est très réduit.

Tableau n°13 : capital social des filiales françaises de Fitch, Moody's et Standard and Poor's487

Capital social en euros

Fitch France SAS (1) 80 000

Moody's France SAS (1) 150 000

CMS France SAS (Standard and Poor's) (2) 17 354 000

(1) 2009 (2) fin 2010

Ce faible capital souligne d'ailleurs le climat d'irresponsabilité dans lequel vivent les agences de notation. Même la maison-mère de S&P en France, dont le capital est pourtant plus de deux cents fois supérieur à celui de Fitch France, serait incapable d'affronter les conséquences d'une condamnation dans un contentieux un tant soit peu important488. Dans l'affaire Parmalat, les dommages-intérêts correspondaient aux honoraires reçus par S&P depuis le début des années 2000, soit 784 000 euros, une somme insignifiante au regard des quatre milliards demandés par l'administrateur de Parmalat. Malgré les contentieux en cours, S&P n'a pas jugé utile de constituer de provisions dans ses comptes. Il apparaît donc nécessaire d'obliger les agences de notation à disposer d'un capital minimum et, comme pour d'autres professions, que les agences de notation

486 Voir infra, p. 17.

487ESPAGNAC F., DE MONTESQUIOU A., op. cit., p. 168.

488 Les capitaux propres s'établissaient en 2010 à 7,6 millions d'euros pour Fitch et Moody's, sans obligation réglementaire de les conserver durablement dans les comptes des sociétés.

souscrivent obligatoirement une assurance « responsabilité civile professionnelle » qui permettrait de couvrir les montants de leurs condamnations même en cas d'insuffisance de capital. Cette question reste donc entière, d'autant plus qu'elle est un argument utilisé par ceux qui sont hostiles à une responsabilité des agences de notation.

Il est évident que certains acteurs sont hostiles à la mise en place d'une responsabilité civile des agences de notation. Les premiers de ces acteurs sont bien évidemment les agences elles-mêmes. Dans le cadre du règlement européen de 2013, un rapport interne à Moody's489 décrit les efforts de lobbying mis en œuvre, par l'intermédiaire du cabinet spécialisé Brunswick, auprès des législateurs et des régulateurs européens pour les décourager de mettre en place un régime de responsabilité civile et pour les persuader des conséquences dommageables de la mise en place d'un tel régime. De plus, face au constat de la mise en place d'un régime de responsabilité civile, Moody's a alors décidé de créer un comité « contingency planning for liability standard changes » avec pour mission de réfléchir aux différentes possibilités de faire face aux risques juridiques accrus : changement du modèle économique, délocalisation des activités en fonction des risques liés à la responsabilité, etc. Les seconds acteurs à ne pas être favorables à une responsabilité civile sont les associations professionnelles des trésoreries d'entreprises et des émetteurs. Afin de justifier cette position, elles avancent plusieurs raisons :

 la responsabilité ne manquerait pas d'entraîner un coût qui se répercuterait inévitablement sur la tarification des agences ;

 elle créerait également un biais en faveur de l'institutionnalisation des agences. Les investisseurs qui utiliseront à titre principal les notations pour fonder leurs décisions seront mieux protégés ;

 les agences, par crainte d'engager leur responsabilité, deviendraient conservatrices et n'oseraient plus noter ou dégrader les émetteurs risqués ainsi que les entreprises de taille moyenne qui souhaiteraient se tourner vers les marchés obligataires ;

 ces règles ne manqueraient pas de créer de nouvelles barrières à l'entrée dans une activité déjà oligopolistique.

Ces raisons ne sont qu'en partie recevables. Le coût de la responsabilité est probablement inévitable mais ne doit pas être exagéré ; quant au conservatisme supposé des agences, il est plutôt favorable à la stabilité financière puisqu'il importe que les modifications des notations ne s'inscrivent pas dans le tempo des marchés. L'argument de « l'institutionnalisation » des agences du fait de la reconnaissance de leur pleine responsabilité ne peut être retenu. En effet, l'existence d'une

responsabilité civile ne saurait conduire les investisseurs à renoncer à leurs diligences. S'ils subissent un préjudice, il reviendra au juge de déterminer s'ils ne sont pas pour partie responsables de leur sort. Par exemple, un investisseur qui se serait entièrement reposé sur les notations ne peut pas être considéré comment ayant mené les diligences propres à son métier. Le contrôle des agences de notation ne s’orienterait-il pas alors vers trop de régulation ?

b) Les risques d'un excès de régulation

Trop de régulation de l'activité des agences reviendrait à déresponsabiliser les autres acteurs de la finance. Les investisseurs ont également leur part de responsabilité ; ils se sont souvent trop appuyés sur les agences en oubliant que leur fonction première est l'évaluation du risque crédit. Les dysfonctionnements liés aux notations ne sont pas le seul fait des agences de notation financière. Même si les dernières législations ont favorisé la diminution de la place réglementaire et du rôle joué par les agences, il n'en reste pas moins que leurs notes restent parfois un élément important de certaines réglementations. Dans certains cas, les investisseurs ne peuvent investir que dans des titres bien notés, il serait alors intéressant de faire supporter aux investisseurs la « charge de la preuve » que leurs investissements sont sûrs sans recourir à une agence de notation. Cela permettrait d'atténuer l'influence de la notation et les contrôles qu'il est nécessaire d'exercer dessus, d’autant plus qu'un contrôle et donc des réglementations à l’excès peuvent s'avérer tout à fait inutiles. L'un des problèmes du marché de la notation est sa situation d’oligopole. Mais les normes imposées aux agences, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, notamment pour l'enregistrement, empêchent parfois l'accès à de nouveaux acteurs. Un même analyste ne peut pas par exemple noter la même entité au-delà d’un certain nombre d’années. « Passé un certain temps, l’analyste devra confier cette tâche à un de ses collègues. L’idée est d’éviter que le temps ne crée une trop grande familiarité entre l’analyste et son client, et que son objectivité ne soit altérée… Mais la mise en œuvre de cette règle suppose que l’agence de notation soit une structure suffisamment importante pour pouvoir procéder à de telles “rotationsˮ »490

. L'accumulation de ce genre de contraintes a pour conséquence un coût de fonctionnement important pour les agences. Or un nouvel arrivant sur le marché n'aura pas forcément les moyens de répondre à ces obligations. Peu de concurrents ont la capacité d’accéder au marché de la notation, dès lors un excès de réglementation impose implicitement des conditions de taille et de moyens financiers qui peuvent inciter les regroupements d'agences ou le rachat de petites agences par des plus importantes. Dans ce cas, le système oligopolistique n'est pas remis en cause.

Il est également nécessaire d'éviter, par une volonté de contrôle accru sur l'organisation interne des agences, la constitution de structures lourdes et inefficaces au sein desquelles les décisions seraient « diluées ». « Une trop grande complexité dans l’organisation risque de provoquer de graves dysfonctionnements, qui sont contre-productifs. Tel a été le cas avec l’AFSSAPS, dont l’organisation, trop compliquée, contribue à expliquer le scandale du Mediator »491

.

Enfin, il est nécessaire de souligner que des contrôles effectués nationalement ou régionalement, même si leur efficacité est certaine, ne le seront jamais autant qu'un encadrement global. La question de la régulation financière en général nécessite une coopération internationale comme l'ont souligné Jean-Pierre Jouyet492 et Gary Gensler493 affirmant que « […] les marchés de capitaux et les risques ne connaissant pas de barrières géographiques il fallait avoir une approche internationale coordonnée sur le sujet »494.

Il est donc possible d'affirmer que la mise en place de contrôles plus fréquents ne serait pas utile et créerait des inconvénients certains tels que des barrières à l'entrée de nouveaux acteurs ou l'impossibilité pour les agences de couvrir les frais de responsabilité. Quant à la possibilité de mieux contrôler les agences, plusieurs hypothèses s'opposent soulignant des approches différentes.

B) Des approches différentes quant à l’évolution du contrôle des agences

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