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Des approches différentes quant à l’évolution du contrôle des agences de notation financière

Paragraphe II : L'évolution difficile du contrôle des agences de notation financière

B) Des approches différentes quant à l’évolution du contrôle des agences de notation financière

Plusieurs hypothèses d’évolution du contrôle des agences de notation financière existent. La première, dite « réglementaire » (1), s’appuie sur un meilleur contrôle des agences par des réglementations déjà existantes. La deuxième, dite « de marché » (2) est plus libérale et prône des réformes basées sur le marché.

491 Ibid., p. 99.

492 Jean-Pierre Jouyet était alors président de l'AMF (2008-2012). Il a été entre 2007 et 2008 Secrétaire d’État aux Affaires européennes Il occupe ensuite les fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et de président de la banque publique d'investissement (BPI) entre 2012 et 2014. Le 16 avril 2014, il est nommé secrétaire général de la présidence de la République.

493 Gary Gensler était alors président de la « Commodity Futures Trading Commission » (2009-2014). Il a été entre 1997 et 1999 assistant au secrétaire du trésor américain et de 1999 à 2001 sous-secrétaire du trésor américain. 494 AMF, Échanges entre l'Autorité des marchés financiers, la SEC US et la CFTC US sur les problématiques de régulation financière, communiqué de presse, 14 septembre 2010.

1) L'approche dite « réglementaire »

L'approche réglementaire se fonde sur la mise en place de réglementations pour encadrer le rôle que peuvent jouer les agences de notation financière sur les marchés financiers. Deux hypothèses s'opposent.

La première insiste sur l'amélioration, voire l'augmentation du contrôle exercé sur les agences de notation tout en conservant le recours à leurs notes dans la réglementation nationale et internationale. Pour que cela fonctionne, l'idée principale est d'obliger les agences de notation à plus de transparence, non seulement vis-à-vis des autorités publiques mais également des investisseurs. Cependant, les agences s’opposent à la divulgation de leur méthodologie de notation qu'elles estiment exclusive et que la concurrence ne doit pas connaître. La deuxième hypothèse de l'approche réglementaire préconise une diminution, voire une suppression du recours à l'usage des notations par les réglementations. C'est, depuis la crise financière, l'approche employée par les différents gouvernements et organisations internationales. « Les autorités publiques cherchent actuellement à réduire la dépendance à l’égard de la notation dans les textes réglementaires. Aux États-Unis, dans le cadre du Dodd-Frank Act, les agences de supervision comme la SEC ou la FED devront s’efforcer de supprimer les références aux notations externes dans leur corpus réglementaire. Au niveau européen, la Commission européenne a également engagé des travaux sur ce thème »495. Cependant, cette approche soulève de nombreuses questions. Les institutions vont devoir développer leurs méthodes internes pour évaluer les risques, et se pose alors la question des enjeux de la comparabilité, de la fiabilité et de la transparence de ces évaluations. Le CSF affirme ainsi que « bien que la promotion des approches internes basées sur les notations puisse être considérée comme une alternative aux notations, le Comité de Bâle a identifié un certain nombre de problèmes directs concernant la fiabilité, la comparabilité et la transparence des ces approches qui ne devraient pas, en soi, être considérées comme une alternative aux notations, en particulier lorsque la qualité de la modélisation et/ou la capacité sont inadéquates »496. L'adaptation de ce système nécessiterait en outre la création d'une entité publique ou privée chargée de vérifier et d'inspecter les modèles d'évaluation internes développés par les banques et, dès lors qu'elles ne respecteraient pas les conditions établies, elles seraient sanctionnées. De plus, mettre en œuvre une évaluation interne reste très compliqué car elle nécessite des moyens importants et une grande expérience. Il est également possible de noter que la suppression des notes des agences des différents cadres

495

Banque de France, Documents et débats, op. cit., p. 40.

496 Conseil de Stabilité Financière, Thematic Review on FSB Principles for Reducing Reliance on CRA Ratings, Peer Review Report, 12 mai 2014, p. 2. Traduction de l'auteur.

réglementaires ne résoudra pas les problèmes associés à l'industrie de la notation financière. Dieter Kerwer affirme ainsi que « d'un autre côté, les agences de notation ne feraient presque certainement pas faillite. Elles ne perdraient que le soutien juridique de leur position de monopole. Mais les obstacles à l'entrée sur le marché pour les nouveaux concurrents resteraient élevés »497. En effet, les investisseurs (et d’autres acteurs financiers privés) continueraient à utiliser les notations des agences pour prendre leurs décisions et donc les émetteurs continueraient à utiliser les notations des agences pour attirer du capital. Enfin, selon l'enquête réalisée par l'IFOP pour le Sénat français auprès d'investisseurs professionnels en 2012498, 58% d'entre eux pensent qu'il n'est pas souhaitable que les réglementations internes et externes ne fassent plus référence aux notations des agences.

Par ailleurs, la question de la notation des risques souverains soulève des problèmes particuliers. Il apparaît en effet nécessaire d'étudier une éventuelle diminution du recours aux notations souveraines des agences ou de les confier à des autorités publiques comme par exemple des banques centrales ou des organismes indépendants. Dans un discours prononcé lors de l’inauguration de l’AEMF, le Commissaire européen Michel Barnier s’est prononcé pour un renforcement des exigences sur le processus des notation souveraines (plus de transparence, information préalable des gouvernements en cas de dégradation de la notation…). Surtout, il a ouvert le débat sur l’opportunité de publier des notations souveraines dans le cas de pays bénéficiant d’un programme de soutien européen ou international. Cette porte ouverte a cependant été refermée depuis, rien n'ayant abouti et aucun organisme international n'ayant repris ou même évoqué cette possibilité. Cette idée n'en reste pas moins bonne, permettant par exemple de connaître l'évolution des pays bénéficiant d'un programme de soutien et l'apport de ce dernier.

Dans tous les cas, même si la suppression des notes du cadre réglementaire a peu d'impact sur les agences, elle est, symboliquement au moins, nécessaire. D'autres approches existent et notamment l'approche dite « de marché ».

2) L'approche dite « de marché »

L'approche de marché est inspirée des idées du financier américain Robert Rosenkranz et propose des réformes non pas basées sur des réglementations mais sur le marché. Dans cette approche ultra libérale, la détermination du coefficient de fonds propres qu'un établissement doit détenir pour un actif financier dépendrait de ses rendements sur les marchés. Ainsi, au lieu d'une

497KERWER D., Holding Global Regulators Accountable: The Case of Credit Rating Agencies, Governance, An International Journal of Policy, Administration, and Institutions, volume 18, 13 juin 2005, p. 469. Traduction de l'auteur. 498ESPAGNAC F., DE MONTESQUIOU A., op. cit., p. 85.

notation, le prix du marché serait utilisé pour évaluer le profil de risque de l'actif499. Le niveau de rendement représenterait l’écart du titre en question par rapport à un titre de référence.

L'avantage de cette approche est qu'elle soustrairait les agences de notation financière aux réglementations tout en conservant un processus sophistiqué, transparent et favorable au marché. Les calculs du marché changent fréquemment, les ajustements de capital interviendraient plus souvent et de façon plus graduelle que les changements de notes des agences de notation de crédit qui entraînent souvent des mouvements soudains et déstabilisants. De plus, cette approche permettrait d'ajuster plus facilement et plus souvent les niveaux exigés de fonds propres en fonction des fluctuations constatées des prix des actifs financiers. Cette approche nécessite toutefois des liquidités de marché importantes d’où la possible nécessité de fonds propres minimaux et maximaux dans le cas d'un manque de liquidité par exemple. Les régulateurs pourraient intervenir lorsque les prix atteignent certains seuils et divergent sur ce point de manière significative par rapport aux valeurs sous-jacentes.

Cette approche n'est cependant pas à l'abri de crises financières importantes. « En supposant qu’une telle approche ait été en vigueur avant la crise de 2008, l’effondrement relativement soudain du marché des subprimes aurait fort probablement mené à des ajustements brusques et déstabilisants des coefficients de fonds propres exigés pour ces actifs (ce qui est pourtant censé être évité par l’application de cette méthode) »500

. De plus, elle est exposée à des risques de manipulation, Pnayotis Gavras affirme ainsi qu'« il y aurait toutefois des risques de manipulation, surtout en présence de contraintes de liquidités ou lorsqu’un actif est faiblement négocié et donc sujet à une forte volatilité »501. La mise en place d’une entité chargée de veiller à tout exercice de manipulation en serait la solution. Ce pourrait être un organisme public, mais alors le marché ne pourrait se réguler seul. Ce pourrait également être un organisme privé tel que les agences de notation (qui serviraient de titres de référence) mais cette dernière solution irait à l'encontre de l'approche de marché qui a vocation à les exclure. « En ce sens, Patricia Langohr de l’ESSEC Business School en France avançait lors d’une audience portant sur les agences de notation et la compétition organisée par l’OCDE en juin 2010 qu’il faut concevoir l’approche de marché et les notations traditionnelles émises par les agences comme complémentaires (et en aucun cas substituables) par le fait qu’elles ne sont pas nécessairement basées sur les mêmes données »502.

Enfin, il ne serait pas nécessaire dans cette approche d'apporter une solution globale de gouvernance.

499GAVRAS P. op. cit., p. 37. 500LABRECQUE S., op. cit., p. 39. 501GAVRAS P. op. cit., p. 37.

Il reviendrait avant tout aux régulateurs nationaux de suivre et de contrôler auprès des banques les différents processus. Néanmoins, une collaboration intergouvernementale serait indispensable à l’élaboration des modèles et afin de s’assurer d'une uniformité des actions à mener et de l’application des mêmes règles par les acteurs bancaires en matière de réserves d’un pays à l’autre. C’est d’autant plus vrai qu’en raison de l’évidente connectivité qui caractérise la sphère financière, il ne faudrait pas qu'une seule entité, détenant des fonds propres peu réglementés, contamine les autres en cas de crise importante.

Il est donc possible de s'apercevoir que l'évolution du contrôle des agences de notation reste difficile à appréhender. D’autant plus que, pour le marché aujourd’hui, les inconvénients paraissent plus nombreux que les avantages.

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