• Aucun résultat trouvé

Paragraphe III : Une libre gestion évidente des ressources humaines

A) Des analystes surchargés

S’il y a bien un chiffre qui porte à controverse, c'est celui du nombre de dossiers traités par les analystes. Ainsi, selon l'économiste Norbert Gaillard « quantitativement, on compte trop peu d'analystes au sein des agences […]. Au milieu des années 2000, un analyste devait noter jusqu'à 35 ou 40 émetteurs de dettes »245. Anouar Hassoune246, indique quant à lui un ordre de grandeur encore supérieur de 50 notations de crédit par analyste247. Cette surcharge de travail est également pointée du doigt dans le rapport « Levin » évoqué précédemment et qui affirme que Moody's et S&P n'avaient pas recruté suffisamment d'analystes au regard de l'accroissement du nombre de notation des produits structurés, « depuis l'augmentation du nombre de notation délivrées chaque année et les revenus record en résultant, ni Moody's, ni S&P ont engagé suffisamment de personnel ou n'ont alloué suffisamment de ressources pour s'assurer que le processus de notation et le processus de vérification produisent des notations précises et exactes »248. De nombreux témoins expliquent dans ce rapport que les analystes chargés d'étudier les produits financiers structurés ont une charge de travail excessive, ne leur permettant pas de produire des notes de qualité. Un analyste employé chez

Moody's a révélé par exemple que « quand j'ai rejoint le groupe [CDO] en 1999, il y avait sept

analystes et le groupe notait quelque chose de l'ordre de 40 à 60 transactions par an. En 2006, le

245 E

SPAGNAC F., DE MONTESQUIOU A., op. cit., p. 121. 246

Anouar Hassoune est diplômé de IEP Paris, de l’École des Hautes Études Commerciales de Paris (HEC) et de l’École Normale Supérieure (ENS), c'est un ancien responsable de Moody's et de Standard and Poor's, Il est aujourd’hui membre du conseil d’administration de West African Agency et président d’Hassoune Conseil. Il est spécialiste du Moyen-Orient.

247ESPAGNAC F., DE MONTESQUIOU A., op. cit., p. 121.

248 U.S. Senate, Wall street and the financiel crisis : Anatomy of a Financial Collapse, op. cit., p. 304. Traduction de l'auteur.

groupe notait plus de 600 transactions, utilisant les ressources d'appoximativement 12 analyses »249. C'est le « Hight speed rating » ainsi nommé dans le rapport, le rapporteur affirmant que l’échec de la notation des agences s’explique en grande partie par ces conditions de travail. Il faut préciser que ces chiffres sont contestés par les agences de notations concernées sans pour autant qu'elles n'en publient aucun. D'autres pays dans le monde connaissent le même problème, ainsi la Fédération bancaire française a affirmé lors de son audition devant la mission commune d'infirmation du Sénat français le 30 mai 2012 que « la rentabilité est devenue la seule priorité des agences de notation : le nombre croissant d'instruments et d'entreprises à noter par analyste [...] a entraîné une dégradation importante de la qualité des notes ». Le nombre de dossiers traités par analyste ne fait donc l'objet d'aucune réglementation, d'aucun encadrement, ni même d'aucune publication. Ainsi, les seules données utilisables sont celles que présentent les agences de notation lors de leur demande d'enregistrement auprès des autorités européennes, et ces données sont confidentielles. L’évaluation d’un nombre de dossiers à traiter par analyste pourrait être l’ébauche d’un futur encadrement de l’activité. Dans cette optique le Sénat français a publié en 2012 une méthode de calcul consistant à rapprocher le nombre d'analystes travaillant pour les implantations de S&P et Moody's en Europe avec le nombre de notations présentées en comité de notation en Europe.

Tableau n°8 : Calcul du rapport entre les notations et le nombre d'analystes250

Standard and Poor's en Europe251 Nombre d'analystes Notations Notations/analyste Entreprises et Institutions financières 193 1 183 6,13

Souverains et assimilés 56 240 4,29

Produits structurés 99 9 813 99,12

dont nouvelles émissions 1 975 19,95

Total 348 11 236 32,29

Retraitement hors surveillance des produits structurés 3398 9,76

Moody's en Europe Nombre d'analystes Notations Notations/analyste

Entreprises 93 1 981 21,30

249 Ibid., p. 305. Traduction de l'auteur.

250 Source : données présentées par Standard and Poor's et Moody's à l'appui de leurs demandes d'enregistrement auprès de l'AEMF en 2011.

251 Pour Standard and Poor's, les chiffres transmis datent de juillet 2010 pour le nombre d'analystes et de 2009 pour le nombre de notations.

Institutions financières 86 4 580 53,26

Souverains et assimilés 27 304 11,24

Produits structurés 168 1 798 10,70

Total 374 8 663 23,16

Ce tableau illustre parfaitement les écarts substantiels entre Moody's et Standard & Poor's. Ainsi,

Moody's affiche en moyenne un nombre de dossiers suivis par analyste (23,16) plus élevé que Standard and Poor's (9,76), y compris pour les dettes souveraines (11,24 contre 4,29). Pour la

notation des entreprises, l'écart est très significatif (6,13 dossiers par analyste pour Standard and

Poor's ; 21,3 pour Moody's pour les seules entreprises non financières). Il est difficile de clarifier et

de justifier de telles différences puisque chaque agence utilise sa propre méthode de calcul et que cette méthode reste relativement opaque, d’où la difficulté d’encadrer ce secteur. Par conséquent, afin de réglementer au mieux cette zone d'ombre, il serait nécessaire de mettre en place un ratio analyste/dossiers.

Tableau n°9 : Calcul par les agences du rapport entre les notations et le nombre d'analystes252

Statistiques transmises pour son enregistrement

par l'agence Standard and Poor's en Europe Ratio officiel de notations par analystes

moyenne 10 %

supérieur 10 % inférieur

Entreprises 11,4 19 ou plus 3 ou moins

Institutions financières 8,4 13,5 ou plus 2 ou moins Souverains et assimilés 10,2 14 ou plus 5 ou moins

Produits structurés 2,0 2 ou plus 1 ou moins

Statistiques transmises pour son enregistrement

par l'agence Moody's en Europe Ratio officiel de notations par analystes

moyenne 10 %

supérieur 10 % inférieur

Entreprises 13,8 20,3 1

252 Source : données présentées par Standard and Poor's et Moody's à l'appui de leurs demandes d'enregistrement auprès de l'AEMF.

Institutions financières 15,2 36,2 3,3

Souverains et assimilés 10,9 20,5 1,5

Produits structurés 3,3 6,3 1,5

Les ratios présentés ci-dessus sont des ratios satisfaisants, avec une moyenne comprise, selon le type de notation, entre 8,4 dossiers par analyste et 11,4 dossiers par analyste pour Standard and

Poor's, hors produits structurés, et une moyenne comprise entre 10,9 dossiers par analyste et 15,2

dossiers par analyste pour Moody's. Il faut pourtant relever l’insuffisance de ces indicateurs : un sondage interne à Moody's253 soulignait qu'en 2009, 41 % des employés de l'entreprise considéraient qu'ils n'étaient pas assez nombreux pour produire un travail de qualité.

De plus, l'établissement d'un tel ratio est en réalité bien plus compliqué qu'il n'y paraît car il est soumis à de nombreuses variantes. En effet, le nombre d'analystes nécessaire peut varier selon la nature des dossiers à traiter et selon les circonstances : une notation de dette souveraine par exemple nécessitera beaucoup plus d'attention en période de crise. En Europe, l'AEMF a relevé les problématiques liées aux ressources humaines relatives au recrutement et à l'ancienneté des trois grandes agences, sans qu'aucune procédure ne soit cependant lancée.

Aucune réglementation internationale ne traite réellement du sujet alors qu’un contrôle dans ce domaine semble véritablement nécessaire. Un autre point faible des agences en matière de ressources humaines se caractérise par la formation.

B) Une autonomie complète des agences en matière de formation des

Documents relatifs