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L'importance de la notation dans les pays en développement

Paragraphe II : Les exigences des pays développement

A) L'importance de la notation dans les pays en développement

L'exemple africain fournit une bonne illustration du lien entre agences de notation et développement (1). Ce lien explique l'impact important de la notation sur les États en développement (2). Il est cependant nécessaire d'expliquer que des agences locales pourraient parfois être plus bénéfiques que les grandes agences internationales (3).

1) Un lien concret entre agences de notation et développement

Les agences de notation, bien que pouvant paraître éloignées de la problématique du développement constituent en réalité un acteur important de celui-ci. Le lien entre agences et développement est un lien concret. « Les notes aident les entreprises et les gouvernements à lever des fonds directement sur les marchés de capitaux par l’émission de dette, au lieu de chercher à

401COLMANT B., DE CALLATAY E., DIEUX X.,... [ et al.], Les agences de notation financière : Entre marchés et États, Larcier, 2013, p. 50.

emprunter auprès d’une banque ou d’un bailleur de fonds, par exemple »402

. Cela est confirmé dans un rapport du FMI expliquant qu'« elles permettent ainsi aux emprunteurs d'accéder aux marchés mondiaux et nationaux et d'attirer des fonds d'investissement, ajoutant ainsi de la liquidité à des marchés qui autrement seraient illiquides »403. De plus, les risques pour les investisseurs dans un pays en développement sont réels et plus importants que dans les pays développés ; ils vont donc chercher à se renseigner au mieux afin d'assurer la sécurité de leurs investissements. Les agences de notation évaluant les risques et la sécurité des investissements, et les acteurs financiers leur faisant confiance, il est facile dès lors de comprendre l'impact et le rôle que peuvent avoir ces agences sur les pays en développement, aussi bien sur leurs entreprises en leur permettant d'accéder aux marchés financiers internationaux et d'y emprunter mais également sur la capacité de ces pays à attirer les investisseurs. Dans de nombreux pays en développement, les risques évalués par les agences et encourus par les investisseurs peuvent se ranger en trois catégories. Le premier risque est commun à tous les États, il s'agit du risque économique, c'est-à-dire tout simplement la rentabilité d'un investissement. Le second risque est plus spécifique aux pays en développement bien que pouvant exister dans les pays développés, il s'agit du risque politique. Ce risque se traduit par une situation politique instable comme de nombreux coups d’États ou des décisions politiques telles que des nationalisations ayant pour conséquence une situation peu sûre pour d'éventuels investissements. Le dernier risque est juridique et concerne l'instabilité du cadre législatif et réglementaire applicable aux entreprises. Cependant, pour la plupart des pays en développement, d'autres critères de notation sont aussi pris en compte. Ainsi, l'agence de notation Fitch va souligner que même si la stabilité politique demeure un élément clé de la notation des États africains, ce qui soutient par exemple la notation du Cap vert et du Ghana et fait chuter la note du Kenya ou du Nigeria, elle prend aussi en compte d'autres critères moins évidents tels que les fonds envoyés par les travailleurs immigrés dans leur pays d'origine.

Ces dernières années, les gouvernements africains et les autorités financières ont la volonté de renforcer les marchés financiers afin de financer l'économie, le but étant d'augmenter le financement par les marchés de capitaux à au moins 50 % des prêts bancaires à moyen et long termes, comparé à un niveau de 12 % en 2014. Pour cela, « l'Union économique et monétaire ouest- africaine et le Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers autorisent et contrôlent les agences de notation opérant dans la zone conformément à la réglementation qu’il a

402R

ALEIGH P., « L'Afrique notée : le rôle de la notation dans le développement des marchés financiers africains », Revue d'économie financière, n°116, avril 2014, p. 233.

403 FMI, Global financial stability report, chapitre 3 : the uses ad abuses of sovereign credit ratings, octobre 2010, p. 85. Traduction de l'auteur.

émise en 2009 »404.

A la vue de l'impact des agences de notation sur les possibilités de développement des pays en développement, il convient de s'interroger sur leur rôle mais aussi sur les différents moyens à mettre en œuvre par celles-ci afin de participer de manière productive et efficace au développement de ces pays. Pour cela il existe de nombreuses pistes de réflexion, notamment au niveau des États eux- mêmes.

2) L'impact de la notation sur les États en développement

Tout d'abord, la notation d'un État en développement va lui permettre d'accéder aux marchés financiers internationaux. Ainsi Mme Kaba Nialé, Ministre auprès du Premier ministre chargée de l’économie et des finances de Côte d'Ivoire, affirme « déjà en 2014, à la faveur du lancement de son premier Eurobond, la Côte d’Ivoire avait sollicité et obtenu la notation des Agences Moody’s et

Fitch Ratings qui lui avaient respectivement attribué les notes B1 et B+ avec perspective positive.

Cette notation avait permis à la Côte d’Ivoire de mobiliser sur les marchés internationaux 750 millions de dollars US en 2014 et 1 milliard de dollar US en février 2015 »405.

Pour les États en développement, la notation des agences va avoir un important impact sur leur politique économique. En effet, la crainte de voir sa note dégradée et les conséquences qui en découlent peuvent engendrer la mise en place de politiques « libérales », politiques prônées par les agences pour une bonne notation et favorables aux investissements étrangers, par opposition à des politiques dites « nationalistes » illustrées par des nationalisations ou des expropriations forcées d'entreprises étrangères. Il n'est pas certain que la mise en place de politiques libérales soit la plus propice au développement, cependant ce critère d'ouverture aux échanges et au libre commerce est bien (trop) souvent une condition sine qua non d'une bonne notation. L'une des premières pistes de réflexion consisterait donc en un changement de politique des agences, acceptant de bien noter des États ayant non pas des politiques « nationalistes » mais relativement protectionnistes. C'est notamment ce genre de politique qui est prôné dans le dernier rapport de la Conférence des Nations- Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED)406. La CNUCED affirme ainsi que « pour de nombreux pays en développement, le financement du développement passe par la hausse des recettes publiques tirées de la rente issue de l’exploitation des ressources naturelles − en particulier par les entreprises du secteur extractif ». Toujours selon le rapport, les avantages fiscaux

404 RALEIGH P., op. cit., p. 237.

405KRA R., « Bonne Gouvernance/ Révision à la hausse de la notation de la Côte d’Ivoire par l’agence Moody’s : la ministre Kaba Nialé explique les enjeux pour le pays », Abidjan.net, 14 novembre 2015.

accordés aux entreprises étrangères afin qu'elles investissent sur le territoire ont entraîné « une perte très significative de ressources publiques ». Cependant cette politique visant à stopper les conditions fiscales attractives pour les investisseurs et à mettre en place des taxes dont les retombées économiques correspondraient à d'importantes ressources financières constitue une politique allant à l'inverse de la politique menée par les agences de notation pour avoir une bonne note ; il conviendrait donc, dans la mesure du possible, de changer cela afin d'aider à l'accroissement des pays en développement.

Pourquoi ne pas envisager alors, pour la notation d’État, un principe de responsabilités communes mais différenciées applicable à la notation des pays en développement. Ainsi, l'article 4 alinéa 3 de la Déclaration de Rio est tout à fait applicable aux agences de notation. Celui-ci dispose que les pays développés devront fournir des ressources financières nouvelles et additionnelles pour couvrir la totalité des coûts convenus encourus par les pays en voie de développement. Cela est parfaitement applicable en matière de notation à travers le financement de la notation des États en développement et cela a d'ailleurs déjà été essayé. L'exemple le plus parlant de cette situation est le programme de notation des pays africains, programme précurseur en matière d'aide à la notation des États en développement. En 2002, Walter Kansteiner407 affirmait que « L’Afrique du XXIe siècle doit se tourner vers les marchés de capitaux pour financer son développement »408. Ainsi, les États- Unis dans le cadre de ce programme ont financé la notation de 10 pays africains par Fitch avec cependant le coût de la réévaluation annuelle de la note à la charge des États409. Dans le même mouvement, le Programme des Nations-Unies pour le développement a pris en charge en mai 2002 la notation de sept autres États africains par S&P (Mali, Bénin, Burkina Faso, Ghana, Madagascar, Mozambique et Cameroun). Cependant, les résultats de cette initiative ne sont aujourd'hui pas des plus probant puisque le nombre d’États africains notés par les agences n'a que peu augmenté et nombre de pays faisant parti de ce programme ne sont en 2015 plus notés. Ainsi, S&P note aujourd'hui 20 pays africains (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Burkina Faso, Cameroun, Cap vert, Congo (Brazzaville), République démocratique du Congo, Egypte, Ethiopie, Gabon, Ghana, Kenya, Maroc, Mozambique, Nigéria, Rwanda, Sénégal, Ouganda, Zambie)410 dont seulement 3 du Programme des Nations-Unis pour le développement. Cependant, c'est grâce à ce genre d'actions, si tant est qu'elles pouvaient être pérennes, que les agences de notation serviront au développement des pays en développement en leur permettant d’accéder aux marchés financiers. Cependant, il

407

Entre 2001 et 2003, Walter Kansteiner était le secrétaire d'état adjoint américain pour les affaires africaines. 408T

E-LESSIA J., « Stanislas Zézé : « L'actif le plus précieux d'une agence de notation, c'est sa crédibilité » », Jeune Afrique, 5 février 2014.

409 Ibid.

serait bien de voir des initiatives en provenance des agences elles-mêmes, et non à travers d'initiatives étatiques ou d'organisations internationales. Il serait également bien de voir se développer la notation par des agences locales ou régionales.

3) La solution des agences locales

Une agence locale pourrait être définie comme une agence localisée dans un pays et exerçant son activité dans ce même pays. La problématique des agences locales ou régionales réside dans le fait qu'elles connaissent une forme de « rejet » de la part des États en développement qui préfèrent être notés par les agences « occidentales » du fait de leur réputation. Ce rejet n'est cependant pas fondé, la plupart des grandes agences internationales n'ayant pas de bureaux dans les pays en développement, les agences locales sont plus à même de suivre l'évolution des risques de manière permanente. De plus la notation par une agence locale pourrait servir de base aux agences internationales comme ce fut le cas pour l'Afrique du Sud qui a d'abord été notée par une agence locale (Global crédit rating) et ensuite par une agence internationale (S&P). Pour les entreprises des pays en développement, l'idée d'agences locales semble être une solution adéquate. Les petites entreprises des pays en développement ne peuvent que très rarement payer le coût élevé d'une notation par des agences internationales. Dès lors, des agences locales, dont le coût est moins élevé permettraient à ces entreprises d'accéder à la notation. De plus, et comme le souligne Stanislas Zézé, PDG de l'agence de notation financière Bloomfield Investment411, les évaluations faites par des agences locales se font en monnaie locale, ce qui permet d'établir « la vraie valeur intrinsèque de la qualité de crédit de l'entreprise, du pays ou de la collectivité locale »412. Effectivement, mêmes si certaines entreprises des pays en développement ont vocation à toucher le marché international, elles restent minoritaires et ne sont pas celles qui ont le plus besoin des agences pour se développer. Ainsi, la plupart des entreprises ou collectivités locales des pays en développement n'ont pas forcément besoin d'une évaluation en dollars USD puisque leurs activités se déroulent principalement sur les marchés locaux, avec des échanges en monnaie locale, la conversion en dollars n'étant donc pas nécessaire d'autant plus qu'elle fait perdre de la valeur aux entités notées en fonction des cours de la monnaie. « La deuxième chose c’est que nous vivons dans le même environnement que les entités notées, donc nous maîtrisons mieux les risques socio-politiques et

411 L'agence de notation financière Bloomfield Investment est une des seules 3 agences de notation africaines et la seule ivoirienne, elle s'est notamment distinguée pour sa volonté de participer au développement des pays en développement. 412TE-LESSIA J., op. cit.

culturels »413. Cette argumentation, bien que largement recevable en partant du principe que les agences locales, implantées et originaires du pays, sont peut-être plus promptes à évaluer des chiffres qui ne parlent pas d’eux-mêmes, reste cependant à nuancer puisque les agences internationales prennent elles aussi en compte ces risques et savent les évaluer, d'autant plus que l'argument de l'ancienneté et donc l'expérience peut venir s'y ajouter. L'idée d'un partenariat entre agences locales et internationales pourrait dès lors être une piste intéressante, les premières apportant leurs connaissances de l'environnement des pays en développement, les secondes leur savoir-faire et leur expérience, et cela d'autant plus que la difficulté pour les agences locales est celle de leur légitimité. Il existe un débat aujourd’hui, notamment en Afrique, sur la qualité des données, qu'il s'agisse de celles fournies par les États ou de celles fournies par les entreprises. Afin de garantir une notation correcte et légitime, il est nécessaire pour les agences des pays en développement de se protéger quant à la fiabilité des données qui leur sont transmises comme peuvent le faire les grandes agences internationales. Ainsi, Monsieur Zézé affirme : « on ne procède à la notation que des entreprises qui ont des états financiers audités par des cabinets agréés par l’État. C’est un premier filtre, parce que ces cabinets engagent leur responsabilité pénale dans la certification des comptes. Le deuxième filtrage, c’est que nous faisons une série d’entretiens avec les dirigeants des entreprises pendant le processus de notation financière et essayons de recouper des informations extérieures. Enfin, nous essayons par des procédés que nous avons mis en place de savoir s’il y a des divergences entre les données que nous obtenons »414

. Ce genre d'initiative permettra aux agences de notation locales de se développer en prouvant leur sérieux et leur volonté de s'installer durablement en s'appuyant sur une forte légitimité. Mais là encore, l'aide des agences internationales ne serait que bénéfique.

Que ce soit par le biais des agences locales ou internationales, il est donc évident que la notation a un rôle important à jouer dans l'aide au développement. Certains considèrent cependant que le système de notation mis en place par les agences internationales ne leur est pas bénéfique, ils ont donc décidé de créer leurs propres agences.

413 Ibid. 414 Ibid.

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