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La politisation des agences de notation financière

Paragraphe I : L'utilisation politique des agences de notation et les moyens d'y remédier

A) La politisation des agences de notation financière

Même si les agences de notation financière doivent être impartiales et totalement autonomes, il s'avère que dans la réalité une certaine éthique n'est pas toujours respectée. Ainsi, il s'avère qu'elles jouent un rôle politique (1) notamment lorsqu'elles modifient une note en fonction d'orientations politiques d'un pays. Mais les agences de notation sont aussi parfois utilisées à des fins politiques par les politiciens eux-mêmes (2), dès lors leur politisation est incontestable.

1) Les agences de notation, des acteurs politiques ?

La politisation des agences est évidente mais une explication s’avère nécessaire. A priori, cette profession peut s’identifier à un pouvoir politique à part entière. Le pouvoir de sanction des agences à l'encontre de l'échec d'une politique gouvernementale pourrait ainsi être le premier signe de cette identification. Pour certains auteurs tels que Gérard Gourguechon, dans le cadre des notations souveraines, « les agences de notation ne font plus d'analyse financière, mais font de la politique »380. Mais pour être un pouvoir politique à part entière, il faut que ce pouvoir s'exerce sur l'ensemble de la société, avec pour fonction spécifique d'assurer la cohésion et l'équilibre social en régulant les relations sociales et en intervenant pour éviter les conflits dans la société381. Ce n'est pas le cas des notations délivrées par les agences ; il s'agit donc essentiellement d'un pouvoir d'influence des agences. Les agences se défendent d'ailleurs de vouloir jouer un quelconque rôle politique. Ainsi, comme l'affirme Carol Sirou, présidente de Standard & Poor’s France, « La notation souveraine est devenue tellement médiatique que certains voudraient qu’on devienne des commentateurs de la vie politique ! Mais ce n’est pas notre métier. Il y a des gens très compétents pour cela. (…) Notre rôle n’est pas de donner des indications de politiques publiques. Notre métier, c’est d’apprécier la capacité d’un emprunteur à rembourser sa dette dans le futur. Qu’il y arrive d’une manière ou d’une autre, ce n’est pas notre affaire. (…) Je peux vous assurer que la plus mauvaise publicité qu’on puisse se faire, c’est la notation souveraine. Cela crée une telle émotion, voire la cristallisation d’un certain nombre de comportements, que ce n’est pas une approche tactique. La dette souveraine, c’est près de 40 % de l’encours mondial de dette obligataire. (…) Or, le business de la notation souveraine doit représenter moins de 10 % de notre chiffre d’affaires »382

. Cependant, malgré ces dénégations et ces explications, les agences de notation financière donnent

380GOURGUECHON G., « Les agences de notation », 17 janvier 2012, p. 11. 381RENAN E., Conférence « Qu'est ce qu'une nation ?, La Sorbonne, 1882. 382COLLARD F., op. cit., p. 34.

l’impression de jouer un rôle politique, sentiment conforté par leur obligation de motiver leurs notations. Effectivement, « dans certains cas, la frontière est très étroite entre une justification de note et l’expression d’une opinion politique »383

. On en trouve un exemple avec la justification donnée par S&P lors de l'abaissement de la note de neuf pays européens dont la France le 13 janvier 2012, « selon nous, les problèmes financiers de la zone euro résultent tout autant des déséquilibres externes et des différences de compétitivité entre le cœur de la zone euro et sa « périphérie ». Par conséquent, nous pensons qu’un processus de réforme fondé sur la seule austérité budgétaire risque de ne pas fonctionner, dans la mesure où la demande intérieure chute avec les inquiétudes des consommateurs quant à la sécurité de l’emploi et des revenus disponibles, ce qui entraîne une diminution des recettes fiscales nationales »384. Ce type de justification peut facilement être perçu comme un commentaire politique. Mais dans la pensée commune, lorsque la politisation des agences de notation est évoquée, il est souvent question de l'utilisation des agences par les pouvoirs politiques.

2) L'utilisation des agences de notation à des fins politiques

Malgré les dénonciations politiques dont elles ont souvent fait l'objet après la crise de 2007, que ce soit de la part d'Angela Merkel385 ou de Nicolas Sarkozy386, il apparaît évident que les agences de notation financière sont parfois utilisées à des fins politiques.

En premier lieu, on peut tirer parti des agences de notation dans le but de servir l'intérêt de certains États. C'est ce qu'a dénoncé la Chine lors du lancement par l'agence Dagong de la notation des dettes souveraines. Ainsi, le Président chinois Hu Jintao avait alors affirmé « son souhait de voir « une méthode objective, et uniforme pour évaluer les risques souverains ». Georges Ugeux indique ainsi que « La cause de la crise financière mondiale et de la crise de la dette en Europe provient de ce que le système actuel de notation international ne prend pas suffisamment en compte la capacité de remboursement des États » »387. Guan Jianzhong, président de Dagong, est même allé plus loin en affirmant que « Normalement, c'est celui qui prête qui évalue le risque, mais les États- Unis sont les plus endettés de la planète et ont les meilleures notes. Ils ont aussi les agences qui

383 Ibid., p. 35. 384 Ibid.

385 La chancelière allemande avait par exemple déclaré à l'été 2008 qu'« il n'est pas acceptable que la communauté mondiale dans son ensemble soit obligée de payer pour une évaluation des risques incorrecte à un moment donnée ». 386 Alors Président de la République française, Nicolas Sarkozy avait affirmé que « les agences n'avaient pas fait leur travail ».

387UGEUX G., « La grève des agences de notation : de l'arrogance à la démission », http://finance.blog.lemonde.fr, 23 juillet 2010.

notent tous les États »388. Cette vision financière différente (ou cette instrumentalisation) a donc pour conséquence une moins bonne notation aujourd’hui des États-Unis (A-) par Dagong que l'Allemagne (AA+), la France (A) ou encore le Botswana (A). L'exemple de Dagong n'est cependant pas unique. Lors de la dégradation de la dette russe en 2015, Vassili Nebenzia, vice- ministre des affaires étrangères, affirmait qu'« elle a été prise non pas sur suggestion, mais sur ordre direct de Washington. Cela correspond à une nouvelle vague d'hystérie anti russe »389. Selon l'agence de notation, cette dégradation s'explique par le fait que « l'économie russe est en récession, minée par la chute de 50 % du prix du pétrole. Son inflation devrait dépasser 10 % en 2015 tandis que la croissance devrait avoisiner 0,5 % seulement par an sur la période 2015-2018, contre 2,4 % en moyenne sur les quatre années précédentes »390. Cette dégradation en catégorie spéculative reste tout de même surprenante, la dette publique russe s'élevant alors à seulement 9% du Produit National Brut (contre 90% en France par exemple) et le déficit budgétaire prévu était de 1,5% (contre près de 3% en France). À la vue de ces différents éléments, l'utilisation des agences de notation par les autorités américaines dans le but de faire pression sur le pouvoir russe ne fait pas grand doute. Il est d'ailleurs utile de rappeler que cette dégradation est intervenue peu de temps après un regain de tension entre les deux ex-puissances de la guerre froide. Cependant, cette instrumentalisation étatique des agences de notation reste un questionnement, si ce n'est des hypothèses. En effet, aucun cas d'instrumentalisation d'une agence de notation par des pouvoirs politiques n’a été prouvé ; ce ne sont là que de suspicions.

L'instrumentalisation des agences de notation financière par des acteurs politiques au sein même d'un État est quant à elle bel et bien prouvée. Jean-Michel Six, responsable des études économiques pour l’Europe chez S&P depuis 2005 affirme ainsi que « dans des périodes difficiles, comme celles que nous connaissons depuis 2007, d’autres utilisateurs tels que les politiques font usage de nos notes. Notamment lorsqu’elles leur sont favorables. Ce qui n’est pas au départ leur destination. Il y a donc parfois une certaine instrumentalisation de nos notes »391. L'un des meilleurs exemples de cette instrumentalisation politique concerne la France. Ainsi, au début de l'année 2011, Franck Louvrier, alors conseiller de l’Élysée affirme que « Avec les socialistes, on aurait perdu notre note AAA »392. Il est rejoint par le Ministre de l’Économie, François Baroin : « Nous serons là pour conserver ce triple A. C’est une condition nécessaire pour protéger notre modèle social »393

. La

388THIBAULT H., « Avec l'agence de notation Dagong, Pékin veut diffuser sa vision financière du monde », Le Monde, 3 août 2011.

389

Washington a-t-il appelé S&P pour faire dégrader la Russie ?, op.cit.

390 QUENELLE B., Standrard and Poor's inflige un coup dur au plan anticrise de Moscou, Les Échos, 28 janvier 2015. 391 Ibid.

392BEKMEZIAN H., Triple A : du catastrophisme à la résignation, Le Monde, 16 décembre 2011. 393 Ibid.

sauvegarde du triple A est alors présentée comme un enjeu majeur et essentiel à la bonne santé de la France. Mais lorsque des menaces de dégradation sont lancées par S&P en décembre 2011, le discours au sein de la majorité alors en place se modifie, notamment en relativisant l’importance à accorder aux notations et notamment à la sauvegarde du triple A. François Fillon, alors Premier Ministre explique ainsi que « les marchés et les agences de notation ont leur logique. Ils sont dans l’immédiat, dans l’instantané. Mais ce qui importe, ce n’est pas leur jugement d’un jour, c’est la trajectoire politiquement structurée et budgétairement rigoureuse que l’Europe, que la France, ont décidé d’adopter »394

. Une fois la perte du triple A actée, François Hollande, alors candidat à la présidence de la République française, va l’utiliser comme argument politique en affirmant que « Nicolas Sarkozy avait fait de la conservation du triple A un objectif de sa politique et même une obligation pour son gouvernement. C’est ainsi qu’avaient été justifiés pas moins de deux plans de rigueur en quatre mois. Cette bataille, et je le regrette, a été perdue »395. Cet épisode illustre parfaitement l’utilisation de la notation comme instrument politique par certains dirigeants.

Afin d'éviter l'instrumentalisation ou une trop grande implication politique des agences de notation, la création d'une agence publique internationale pourrait-elle être alors la solution ?

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