• Aucun résultat trouvé

Un contrôle difficile due à la qualification ambiguë de l'activité de notation

Paragraphe II : Des points de vue contradictoires sur l'activité de notation

B) Un contrôle difficile due à la qualification ambiguë de l'activité de notation

Deux théories s'opposent quant à la qualification des notations ce qui rend un contrôle de cette activité difficile. La première consiste à affirmer que les notes données par les agences ne sont que des opinions (1) qui n'engagent à rien les investisseurs. La deuxième se base sur le fait que les notes influencent de manière très importante les marchés, dès lors elles ne sont plus de simples opinions (2).

1) La notation est une simple opinion

Il est impératif de ne pas oublier que les notes émises par les agences de notation ne sont que des opinions données aux investisseurs. Ces investisseurs sont totalement libres de choisir ou non de les suivre. Cette notion de simple opinion permet notamment aux agences de rendre très difficile la mise en cause de leur responsabilité juridique.

Il est tout d'abord important de déterminer la finalité des notes émises par les agences. En effet, l'opinion émise par une agence exprime le « risque de crédit » et non le « risque de marché ». Le premier consiste à évaluer la qualité d'un émetteur ou d'un titre, alors que le deuxième se concentre sur les fluctuations du marché pouvant impacter l'émetteur ou le titre. C'est une différence essentielle car la confusion de ces deux risques est souvent préjudiciable. D’autant plus que comme le souligne la banque de France, « […] les agences de notation se considèrent comme uniquement responsables de l’évaluation du risque de crédit. Leurs notations ne comprennent donc pas le risque de liquidité alors que les investisseurs sont persuadés du contraire »172. Cette distinction permet de « réduire » le champ d’application des notes et donc de préciser que ce sont des opinions ciblées sur un risque particulier et non en relation avec l'ensemble des fluctuations de marché que peut subir une société par exemple.

De nombreux auteurs abondent dans le sens d'une simple opinion. Les agences sont ainsi définies comme des organismes qui « [...] évaluent et publient leurs opinions sur la solvabilité de trillions de dollars de dette d'entreprise, de dette gouvernementale, et d'autres véhicules de financement complexes »173 ; ou encore « les agences de notation […] sont des sociétés qui offrent des jugements sur la solvabilité d'obligations »174. L'OICV, dans son dernier Code de bonne conduite, a remplacé dans la définition qu'elle donne des agences de notation le mot « opinion » par « assessment » qu'il est possible de traduire par estimation ou évaluation ; « In addition, the

definition of “credit rating” is revised by replacing “opinion” with “assessment »175

. Ce changement n'est que de façade, il n'atténue en rien les difficultés pour engager la responsabilité des agences à la suite d’estimations ou d’évaluations contestées.

L'un des principaux arguments des agences pour défendre l'idée que leurs notes ne sont que des opinions s’appuie sur la liberté d'expression et une interprétation large du premier amendement de la Déclaration des droits américaine. Dans cet amendement, destiné à l'origine à la presse, il est reconnu et permis une liberté de parole très étendue. Pour franchir cet obstacle et engager la responsabilité d’une agence, il est nécessaire de démontrer que celle-ci a avancé un fait erroné. Mais cela est très difficile car il est nécessaire d'apporter soit la preuve que ce fait erroné a été avancé de manière malveillante, soit la preuve du caractère inexact de la notation. Les agences de notation utilisent donc le premier amendement de la Déclaration des droits pour s’exonérer de toute responsabilité, affirmant légitimement, que les notes qu'elles émettent ne sont que de simples opinions que les investisseurs sont libres de suivre ou non. Moody's soutient ainsi que « les notations de crédit sont, et doivent être interprétées uniquement comme des déclarations d'opinion et non des déclarations de faits ou des recommandations visant l'achat, la vente ou la détention de titres »176. Il en va de même pour S&P, « les notations de crédit sont des opinions sur le risque de crédit. Nos notations expriment notre opinion sur la capacité et la volonté d'un émetteur, tel qu'une société ou un gouvernement d'un état ou d'une ville, de remplir ses obligations financières en totalité et à temps »177. Et pour Fitch « les notations de crédit de Fitch relatives aux émetteurs sont une opinion sur la capacité relative d'une entité à honorer ses engagements financiers, tels que les intérêts, les dividendes privilégiés, le remboursement du capital, les réclamations d'assurance ou les

173POZEN R. C., CONROY B., « Crédit rating agency reform in the US and EU », Harvard business school, avril 2012, p. 1. Traduction de l'auteur.

174RICHARDSON M., WHITE L., Fixing the rating agencies : Is Regulation The Answer?, Financial Market, Institutions & Instruments, mars 2009, p.146. Traduction de l'auteur.

175

OICV, Code of conduct fundamentals for credit rating agencies, mars 2015, op.cit., p. 7. 176 https://www.moodys.com/ratings-process/Ratings-Definitions/002002. Traduction de l'auteur. 177 http://www.spratings.com/en_US/understanding-ratings. Traduction de l'auteur.

obligations de contrepartie »178. Les agences affirment que si elles pouvaient déterminer à l’avance leurs notes, il n'y aurait alors que deux types de notation, « fera défaut » ou « ne fera pas défaut ». Le premier amendement de la Constitution américaine, en donnant un sens commun au mot « opinion », avalise donc l'idée que les notes ne sont que des opinions.

Il est enfin souvent soulevé que les notations ne sont pas de simples opinions car elles influencent fortement les investisseurs. Mais comme le précise à juste titre Moody's, les notes ne doivent pas servir de seule et unique référence dans la décision d'investir ou non, « le jugement de Moody's Investors Service quant à la désirabilité ou la non-désirabilité d'une obligation à des fins d'investissement bancaire n'est pas indiqué par Moody's »179. Dès lors qu’un investisseur s’intéresse uniquement à la note émise par une agence, il doit être prêt à assumer un échec éventuel car il est celui qui n'aura pas cherché suffisamment de certitudes.

Grâce à cette notion d'opinion, les agences de notation ne garantissent rien à personne et ne sont pas responsables des conséquences des décisions prises par les investisseurs. Mais cette notion de simple opinion est-elle réellement justifiée étant donné l'importance des agences sur les marchés ?

2) La puissance de la représentation

Pour plusieurs raisons, les notations des agences ne peuvent s’apparenter à une simple opinion.

D'abord, pour les agences leur réputation sur les marchés est conditionnée à la qualité de leurs opinions (notes), ce qui les conduit à expliquer, détailler des choix qui ne sont en principe que des avis, des opinions. Les agences de notation invoquent la liberté d'expression, mais dans cette tendance à vouloir justifier leurs notes se cache le désir de les présenter comme des vérités. Certains auteurs écrivent ainsi « Ces explications n'ont sans doute pas convaincu tant la croyance dans le caractère de vérité plutôt que d'opinion, demeure ancrée chez les utilisateurs de la notation […]. Les agences sont en partie responsables de cette croyance tant elles veulent démontrer la justesse de leur opinion »180.

Il est nécessaire de s'interroger également sur la réelle possibilité des investisseurs de choisir librement d’utiliser ou non les notes des agences de notation. La notation est aujourd'hui devenue un critère fondamental dans la prise de décision des investisseurs et les notes attribuées par les agences sont donc un rouage essentiel dans la régulation financière mondiale. Il ne s'agit alors plus

178 https://www.fitchratings.com/site/definitions. Traduction de l'auteur.

179 https://www.moodys.com/ratings-process/Ratings-Definitions/002002. Traduction de l'auteur. 180 GERST C., GROVEN D., op. cit., p. 115.

d'une simple opinion ou d'une simple évaluation laissées à la discrétion des investisseurs. A partir du moment où les notes délivrées deviennent de réelles sources de référence sur les marchés financiers, la responsabilité des agences de notation doit donc être engagée. C'est sur le terme « opinion » que se situe l'essentiel du débat aux États-Unis. L'opinion défendue par le premier amendement est caractéristique de la liberté d'expression ; cet amendement permet de défendre la liberté de la presse, qui peut ainsi donner une opinion journalistique sur tel ou tel sujet. C'est derrière cette acceptation du terme d’opinion que les agences de notation se sont pendant longtemps retranchées. Ainsi, les notes ont été considérées comme des opinions devant être protégées en tant que manifestation de la liberté d'expression comme vu précédemment. Or, ce terme défendu par les agences de notation n'est pas une opinion journalistique mais scientifique. En effet, il n'est pas possible d'affirmer que les notes constituent une opinion lorsqu'il s'agit en réalité d'un avis financier basé sur une analyse financière approfondie effectuée par une entreprise. Les investisseurs attendent le plus souvent l'avis des agences de notation pour se lancer ou non dans un investissement particulier. Mais, l'interprétation du mot opinion donnée aux États-Unis est sans réelle nuance, ce qui a permis aux agences de notation d’être exonérées de toute responsabilité lorsqu’elles émettaient des avis. Ce phénomène s’est aussi longtemps manifesté en Europe.

Par ailleurs, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, les agences de notation se sont vu attribuer une fonction réglementaire. Dès lors, ce qui ne devait être qu’une opinion est devenue une forme de vérité et d'exactitude régulant les comportements sur les marchés. « La situation est paradoxale. Le régulateur encourage l’utilisation de ces « opinions d’experts » alors que les agences de notation ne cessent de déclarer, à juste titre, que leur expertise est faillible »181. Ainsi, « selon Frank Partnoy, une fois la référence aux notations inscrite durablement dans les réglementations, les agences de notation ne commercialisent non plus de simples opinions mais des droits d’accès réglementés c’est-à-dire des licences permettant à l’entité notée et aux investisseurs de bénéficier favorablement des règles en vigueur »182. De plus, les notations étant devenues des normes réglementaires, le libre choix n'est plus réel.

L'activité de notation est donc difficilement qualifiable, deux thèses diamétralement opposées s'affrontant. Cependant, depuis la crise financière de 2007 et les différentes évolutions aussi bien théoriques que réglementaires, prédomine la thèse selon laquelle les notes ne sont pas de simples opinions.

181 PETIJEAN M., « De l'(in)utilité des agences de notation », Regards économiques, n°18, septembre 2012, p. 5. 182 ESPAGNAC F., DE MONTESQUIOU A., op. cit., p. 77.

Le marché de la notation est donc un système éprouvé au sein duquel existe un solide oligopole formé par trois agences dont l'influence sur les marchés est incontestable. Ce pouvoir est en partie dû à leur capacité d'analyse dont la justesse est réelle. Cependant, elles ne sont pas à l'abri d’erreurs débouchant parfois sur des procès ou des sanctions. Mais il est difficile d'engager la responsabilité des agences de notation et donc de les contrôler de par la nature de leur activité, c'est- à-dire la publication d'opinions. Mettre en place des contrôles n'est pas non plus évident du fait de la réalité même de l'activité de notation.

Section II : Les limites du contrôle dues à la pratique de l'activité

Documents relatifs