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Un processus de notation à sens unique

Le pouvoir sans partage des agences de notation financière crée sans aucun doute un processus de notation à sens unique. Ce dernier se traduit par un dialogue contradictoire (A) ainsi que des incompréhensions persistantes (B) entre agences et émetteurs.

A) Un dialogue contradictoire

Il faut savoir que le dialogue existe entre l'émetteur et l'agence de notation. Ainsi, pour François Veverka « dans 99 % des cas, la notation est demandée par l'émetteur qui espère ainsi attirer les investisseurs et obtenir de meilleures conditions d'émission. La démarche est donc consensuelle et coopérative »238. Il est donc indéniable que le processus de notation débute par un dialogue entre émetteurs et agences de notation ; ce processus s’organise d’un commun accord, l’émetteur fournissant à l’agence toutes les informations, même confidentielles, nécessaires à l'élaboration de la notation. Après de nombreux échanges contractuels, plusieurs fois par an239 les analystes en charge de la notation vont rencontrer physiquement l'émetteur afin qu’il explique sa politique commerciale, les futures orientations financières et les différentes stratégies de l'entreprise. Jusqu'ici, un réel dialogue existe entre l'émetteur et l'agence de notation. C’est ensuite un comité de notation qui va décider souverainement de la note à attribuer à l'entreprise ou à la collectivité locale. La note adoptée est transmise à l’émetteur et aux marchés. Il est important de préciser sur ce point que l'annexe I règlement européen du 16 septembre 2009 sur les agences de notation, en sa section D point 3 imposait que, au minimum douze heures avant sa diffusion, la notation soit adressée à l'émetteur « l’agence de notation de crédit informe l’entité notée, au moins douze heures avant la publication, du résultat de la notation de crédit ainsi que des motifs essentiels sur lesquels celle-ci se fonde, afin que l’entité concernée ait la possibilité de signaler à l’agence de notation de crédit toute erreur matérielle. ». Cependant, le règlement du 21 mai 2013 augmente le délai d’information de

238 ESPAGNAC F., DE MONTESQUIOU A., op. cit., p. 129.

239 Ces échanges ont en principe lieu une à deux fois par an, mais aussi chaque fois que se produit un événement susceptible de modifier l'appréciation de l'agence et donc de modifier la note.

l'entité notée. Il dispose ainsi que « l’agence de notation de crédit informe l’entité notée, durant les heures ouvrées de l’entité notée et au moins un jour ouvré complet avant publication, de la notation de crédit ou des perspectives de notation qui ont été établies. Cette information précise les motifs essentiels sur lesquels se fondent la notation de crédit ou les perspectives de notation, afin que l’entité notée ait la possibilité de signaler à l’agence de notation de crédit toute erreur matérielle »240. L’augmentation de ce délai favorise notamment un meilleur dialogue entre l'agence et l'entité notée, et permet de corriger plus efficacement d’éventuelles erreurs.

Cependant, il est important de préciser que cette procédure ne permet à aucun moment à l’émetteur de présenter son point de vue devant le comité de notation. L’émetteur ne peut donc pas réellement contester ou influer sur la note émise, ce qui est normal. Les émetteurs estiment ainsi que les notations sont imposées et non pas négociées, les relations avec l’agence apparaissent donc pour eux à sens unique : l'émetteur fait valoir ses arguments pour une meilleure notation possible mais les agences restent souveraines dans leur décision. Ce procédé n'est pas réellement remis en cause par les agences de notation, qui mettent l'accent sur le dialogue conduit avec l'émetteur nécessaire à la qualité de la note sans que ce dernier vienne nuire à leur indépendance. En effet, si les émetteurs avaient quelques moyens pour influencer ou négocier leur notation, les notes attribuées n'auraient plus de réelle signification et les agences ne remplieraient pas leurs devoirs d'autonomie et d'indépendance. Il est donc possible d'affirmer qu'il n'y a pas de négociation sur la note attribuée, même si certaines dégradations sont parfois différées dans le temps au regard des arguments présentés par les entreprises. Cet état de fait paraît normal dans la mesure où il est nécessaire d'éviter tout risque de conflits d’intérêts. Mais il peut aussi entraîner des incompréhensions entre les agences de notation et les émetteurs.

B) Des incompréhensions persistantes

Malgré la transparence des méthodologies, les émetteurs ne les comprennent pas toujours et c'est pour cette raison que certaines entreprises font appel à des conseils en notation en leur attribuant deux types de missions comme l'explique Nicolas d'Hautefeuille241, « des missions de première notation, pour des clients qui n'ont jamais été notés et sont un peu perdus ; et des missions d'accompagnement, pour des entreprises qui font face à une conjoncture difficile et que nous aidons à trouver de bons arguments analytiques »242. Bien que « les agences de notation [aient] consenti un

240 Parlement européen et Conseil, Règlement (UE) n°462/2013, op. cit., annexe I, paragraphe 4, point d. 241 M. Nicolas d'Hautefeuille est « head of rating advisory » chez Credit Agricole CIB.

réel effort de transparence [...] un document de 70 pages détaillant les critères doit être expliqué à l'émetteur ». Il affirme en outre que « la notation est un métier très technique et il faut éviter que des critères incohérents ne créent des distorsions ».

A titre d'exemple, il est possible d'étudier une distorsion de notation injustifiée entre EADS et

Boeing243. Les entreprises opérant dans le même secteur d'activité doivent être notées selon les mêmes critères. Par exemple, la note de l'entreprise EADS doit être cohérente avec celle émise pour son principal concurrent, Boeing. Or, il y a quelques années, EADS était notée BBB + tandis que Boeing bénéficiait d'un A+. En soi, la note BBB + pouvait entraîner un risque de liquidité pour

EADS qui dispose d'importantes positions de change en dollars. L'entreprise a donc demandé à un

conseil en notation de mener un travail comparatif, au regard de la méthodologie appliquée par l'agence de notation, permettant de savoir si la distorsion de notation était bien justifiée. Dans sa méthodologie, l'agence pondérait plus fortement le profil financier des entreprises par rapport à leur profil industriel, c'est-à-dire qu'elle attachait plus d'importance à leur rentabilité : sous cet angle, la note de Boeing était justifiée puisque la société américaine dégageait 10 % de marge contre seulement 1 % pour sa concurrente européenne. Mais la marge comptable présentée par Boeing était basée sur des comptes aux normes américaines (US GAAP) tandis que celle d'EADS l'était sur des comptes aux normes internationales (IFRS). Cette particularité a des conséquences importantes sur la manière de comptabiliser les investissements - qui s'élèvent, dans le secteur aéronautique, à plusieurs milliards d'euros. Or, une fois les comptabilités retraitées et ajustées pour être comparables, il est apparu que la marge dégagée par EADS ne justifiait pas un écart de notation avec Boeing. Sa note a donc été relevée à A après démonstration du conseil en notation et intervention auprès de l'agence. Celle-ci avait donc commis en l'espèce une distorsion injustifiée de notation.

Le comité de notation s’appuie sur le travail et les calculs effectués en amont par les analystes ; il n'est pas forcément capable d'identifier un problème tel qu’énoncé ci-dessus, rajoutant de l'incompréhension. Afin de lutter contre ce phénomène, les agences de notation ont essayé d'adapter la composition des comités de notation. Ainsi, en plus des analystes traditionnels, des analystes seniors ayant une bonne connaissance du secteur d'activité noté et/ou de la zone géographique concernée sont également présent au sein de ce comité. Mais cette précaution est en réalité insuffisante dès lors que la notation, reposant sur une méthodologie très fine, devient de plus en plus technique. Cette incompréhension chronique peut aussi s'illustrer par l’analyse suivante des émetteurs du secteur financier français sur la qualité des notes.

Exemple illustratif : Analyse des émetteurs du secteur financiers sur la qualité des notes244

Un jugement sévère : l'analyse des émetteurs du secteur financier français sur la qualité des notes

« Depuis quelques années, les relations entre les banques européennes et les grandes agences de notation se sont nettement détériorées.

La rentabilité est devenue la seule priorité des agences de notation : le nombre croissant d'instruments et d'entreprises à noter par analyste, l'exploitation mécanique d'immenses tables de données universelles remplies par les émetteurs de façon sans doute hétérogène, et la multiplication d'erreurs de calcul ou d'interprétations erronées qui en résultent, ont entraîné une dégradation importante de la qualité d'analyse.

En l'absence de réglementation dans ce domaine, les agences de notation exercent une pression extrêmement forte sur les banques européennes pour obtenir des informations confidentielles. Parmi les informations demandées figurent les résultats estimés, le PV de conseils d'administration, les tirages Long Term Refinancing Operation, les ratios de liquidité Bâle 3, etc.

Les agences de notation ne respectent pas leur propre méthodologie. Dans certains cas, des changements méthodologiques majeurs sont annoncés ou mis en œuvre en contradiction avec la réglementation en vigueur sans consultation et sans explications suffisantes pour le marché et les émetteurs.

Les méthodologies en vigueur contiennent un fort biais américain, notamment dans l'analyse financière qui privilégie les normes comptables américaines plutôt que les IFRS, ainsi que dans le mode de calcul du nouveau ratio de solvabilité chez Standard and Poor's ou dans la méthodologie applicable aux obligations sécurisées.

Certaines méthodologies sous-tendent des pratiques abusives (par exemple dans la notation d’un fonds en l’obligeant à faire noter tous ses actifs et ses contreparties par une même agence), qui permettent aux grandes agences d’accroître leurs parts de marché ».

Ainsi, il est possible de conclure que les agences de notation sont des organismes bien trop puissants sur les marchés financiers et qu’une une prise de conscience des régulateurs permettrait de rétablir à minima un rapport de force équilibré. Il est cependant nécessaire de veiller à ce que ce rapport de force équilibré n'engendre pas des conflits d’intérêts. Les législateurs devraient aussi

renforcer leur contrôle dans d’autres domaines tels que la gestion des ressources humaines des agences.

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