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Un univers saturé de règles

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 114-119)

ASSURANCE MALADIE

3.4.5. Un univers saturé de règles

La médecine libérale se déploie dans un univers presque entièrement régulé, ou en voie de l’être. On peut distinguer trois niveaux de règles : les règles éthiques, les règles de la science médicale et les règles administratives et de santé publique.

Les règles éthiques

Ce sont les règles contenues dans le code de déontologie (voir chapitre 1). Elles concernent tout médecin quel que soit son mode d’exercice, mais plus généralement tout professionnel de santé. Elles sont le référentiel supérieur commun qui constitue la caractéristique éthique du système de santé.

Les règles de la science médicale

La médecine est une science appliquée, c’est pourquoi les actions du médecin doivent être, autant que faire se peut, fondées sur des connaissances scientifiques prouvées. C’est le principe de l’Evidence-Based Medicine qui vient chapeauter l’approche clinique traditionnelle. Cependant, le savoir médical est général, mais il s’applique à des cas particuliers. Le praticien doit donc procéder à un aller et retour entre la règle (le savoir) et les

trouver une règle pour un cas, c’est dans les deux cas produire du sens » (Ricœur 2001, p.

251).

Mais la règle ne se résume pas à un savoir. Il y a aussi un savoir-faire issu d’un apprentissage pratique, parfois long, qui consiste à la même confrontation du général et du particulier, mais sur le plan pratique, technique, cette fois. L’examen clinique du patient est exemplaire à cet égard, de même que les gestes techniques à visée diagnostique ou thérapeutique. Cet élément est très important et explique que le résultat de certains actes soit opérateur dépendant. C’est la raison pour laquelle les normes de qualité pour certains actes imposent la pratique d’un nombre minimum d’actes dans l’année31.

La deuxième grande règle de la science médicale est constituée par les qualités relationnelles dans le cadre du colloque singulier. Cet aspect psychologique revêt une importance de plus en plus grande avec une médecine de plus en plus scientifique et technique qui accroît l’asymétrie d’information et de savoir entre le médecin et son malade. En outre, le malade étant sous l’emprise d’émotions, a tendance à donner la prééminence à la réalité subjective sur la réalité objective. Or, un environnement impersonnel, inconnu et technique accroît l’angoisse, voire le stress du patient, auxquels les soignants se doivent de répondre par un surplus d’empathie, de compréhension, d’écoute, d’humanité. Cet aspect a été trop négligé dans les décennies précédentes. Sa mise en exergue est le signe d’un rééquilibrage du pouvoir au profit des malades (voir chapitre 5) grâce à l’action d’associations et marque l’évolution des mentalités.

Les règles administratives et de santé publique

Ce sont les règles qui se rapportent au fait que la santé intéresse la collectivité dans son ensemble et que des réponses collectives, populationnelles, doivent être apportées. Elles sont, de loin, les plus importantes, et elles représentent un ensemble protéiforme en réorganisation constante. Deux codes sont particulièrement concernés, le code de la santé publique (CSP) et le code de la sécurité sociale (CSS), remaniés tous les ans par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), ainsi que par les réformes itératives du système de santé ou de protection sociale (la dernière est la loi du 21 juillet 2009). On peut distinguer trois types de règles. Les premières sont les règles administratives qui concernent la pratique médicale, quelle que soit sa forme, ambulatoire ou hospitalière. Elles sont très nombreuses et complexes

31 Par exemple, l’arrêté du 29 septembre 2006 fixant les modalités du dépistage organisé du cancer du sein stipule que le radiologue effectuant la première lecture doit lire au moins 500 mammographies par an, et que le

et elles sont contestées par les médecins libéraux en raison du travail administratif qu’elles impliquent. C’est la « paperasse » si souvent décriée. Il s’agit des normes de rédaction des ordonnances32 ; celles concernant la rédaction des certificats médicaux (arrêts de travail, relatifs à l’octroi de droits sociaux, aptitude à la pratique des sports, décès, etc.) ; enfin, il y a celles régissant certaines situations particulières telles que la sécurité sanitaire, la pharmacovigilance, la protection des mineurs victimes de sévices, les femmes battues. Les deuxièmes sont les règles conventionnelles liant tous les médecins libéraux conventionnés à l’Assurance maladie. Le troisième type est représenté par les règles relatives à la santé publique. Elles comprennent la loi de santé publique et les plans nationaux (cancer, maladies chroniques, nutrition santé, etc.).

Au total, le médecin libéral exerce dans un univers qui est un enchevêtrement de règles hétéronomes qui structurent et encadrent sa pratique (Tabuteau 2010) et réduisent à peu de choses l’autonomie professionnelle qui est le sceau identitaire des professions.

32 Elles sont définies par le code de la santé publique (CSP), le code de déontologie et le code de la sécurité sociale. L’article R 5132-3 du CSP stipule que l’ordonnance est rédigée, après examen du malade, et indique lisiblement le nom, la qualité et la qualification, le titre ou la spécialité du prescripteur, ainsi que son adresse, sa signature et la date de prescription ; les nom et prénoms, le sexe et l’âge du malade et, si nécessaire, sa taille et son poids ; la dénomination du médicament ou du produit prescrit, la posologie et le mode d’emploi, et, s’il s’agit d’une préparation magistrale, la formule détaillée ; la durée du traitement ou le nombre d’unités de conditionnement ; la mention de l’information du patient pour les médicaments à prescription restreinte en raison de risques liés à leur utilisation (article R 5121-77 du CSP) ; pour les médicaments nécessitant une surveillance particulière, la mention que les examens prévus ont été réalisés et que les conditions prévues ont été respectées (article R 5121-95 du CSP) ; le cas échéant, la mention « non substituable » (article R 5125-54 du CSP) ; pour permettre la prise en charge par un organisme d’assurance maladie, la posologie, la durée de traitement ou le nombre d’unités de conditionnement (article R 5123-1 du CSP). A cela s’ajoutent des règles spécifiques

3.5. CONCLUSION

Les institutions de la médecine libérale constituent un soubassement à son exercice fait de quatre strates. La plus profonde et la plus archaïque situe la relation médecin/malade dans le cadre général des rapports sociaux, lesquels sont pour une grande part fondés sur le don afin de créer du lien social et de faire société. La deuxième est la médicalisation de la santé, tâche presque terminé de nos jours en Europe et qui situe la santé dans le champ de la raison et de la science. Cette notion si évidente au 21ème siècle ne s’est imposée que progressivement et souligne l’importance de l’approche historique. La troisième est faite de principes libéraux, au sens éthique et économique, de professionnalisation de la médecine au 19ème siècle. Dans le cadre d’une relation médecin/malade de type paternaliste, la coordination reposait avant tout sur l’éthique médicale, la confiance et l’entente directe, c’est-à-dire sur des conventions. Enfin, la quatrième, essentiellement depuis 1945, marque l’émergence de l’Etat dans le champ sanitaire, la structuration hiérarchisée du système de santé, le renversement de l’architecture institutionnelle et la saturation de l’univers sanitaire par des règles hétéronomes.

Chapitre 4

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