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Une carence d’analyse

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 140-143)

L’OFFRE DE SOINS

4.2.6. Une carence d’analyse

Les médecins libéraux manifestent une carence d’analyse dans deux domaines : les rapports entre éthique et économie, la conception de la régulation.

4.2.6.1. Les rapports entre éthique et économie

A juste titre, les médecins mettent en avant le caractère particulier du bien santé et le souci qu’ils ont de la personne souffrante. Il n’y a là aucune hypocrisie. Parce qu’ils côtoient tous les jours des personnes diminuées par la maladie, ils ont un réel souci de leurs patients, et le caractère fondamental de cette dimension ne doit pas être occulté. La question est celle de la perspective adoptée. Pour les médecins cliniciens, la perspective est individuelle, c’est celle de leur activité quotidienne. Au niveau d’un cas individuel, les considérations économiques peuvent, parfois, paraître subvertir l’ordre moral, car c’est soumettre les soins, c’est-à-dire le bien-être, voire la vie à de triviales raisons financières. Cela est ressenti comme une intolérable agression intime, touchant au sens propre du terme la chair des personnes.

On ne peut qu’être étonné de constater que des institutions comme les syndicats médicaux se refusent absolument à adopter parallèlement une approche populationnelle, c’est-à-dire de santé publique. Dans cette perspective, la santé a un coût supporté collectivement, ce qui entraîne des problèmes de financement difficiles à résoudre. Pourtant, la pérennité d’un système de santé repose sur un financement viable. De plus, les ressources publiques étant limitées, celles qui sont mal utilisées dans un domaine ou une fonction ne sont pas disponibles pour d’autres activités où elles auraient, peut-être, été plus utiles. Toute dépense a donc un coût d’opportunité dont le régulateur doit soigneusement tenir compte afin d’améliorer l’efficience globale du système de santé. Enfin, il convient d’évaluer les actions de santé

correspondent aux objectifs de tout système de santé tels que l’OMS les a définis (OMS 2000) et relèvent de « l’éthique de santé publique » qui inclut « l’éthique de proximité » chère aux médecins cliniciens, et ne s’oppose à elle qu’en apparence lorsqu’on ne voit qu’un aspect des problèmes conçus de manière abstraite et sans considération de l’environnement social. L’approche économique dans le domaine de la santé, loin d’être contraire à l’éthique est, dans sa nature, d’essence éthique : « A la revendication de liberté et d’indépendance de la

médecine, justifiée par l’intérêt du malade, l’économiste oppose son propre modèle, celui de la rationalité économique fondée sur une notion d’intérêt collectif » (Le Pen et Sicard 2004,

p. 19). Or, cette position est en elle-même de nature éthique (Ballet et Mahieu 2003). Elle appartient à l’éthique publique, en l’occurrence à l’éthique sociale qui se distingue de l’éthique médicale en ce qu’elle porte sur les institutions sociales et non sur les comportements individuels (Arnsperger et Van Parijs 2000). Beaucoup de médecins libéraux, en raison de leur individualisme, semblent ne pas avoir intégrer cette notion.

4.2.6.2. La conception de la régulation

La conséquence de ce rejet de l’ordre économique est le refus de toute régulation comptable ou médico-économique voire de toute régulation. C’est ainsi que la CSMF dans son « Projet confédéral » évoqué précédemment considère qu’il faut seulement « Réguler si besoin ». Le même texte stipule qu’il faut « Un ONDAM41 vraiment médicalisé et concerté » qui doit

recouvrir « …les dépenses de santé préventives et curatives subies, c’est-à-dire générées par

les états pathologiques et non les dépenses de santé choisies » (page 20 du texte). Ce texte

recèle un certain nombre de non-dits. Nous en signalerons deux :

- Le premier est que la régulation pourrait ne pas être nécessaire. Cela signifie que la santé peut être laissée au marché des soins qui serait régulé par les demandes des patients et par le colloque singulier. C’est méconnaître gravement le fait que la santé est un bien public de nature singulière, que le patient n’est pas suffisamment informé, que la recherche de l’optimum dans l’allocation des ressources publiques de même que la justice impose la régulation du système de santé. De manière plus technique, la position de ce syndicat ignore les mécanismes intervenant dans l’amélioration de la santé d’une population. Entre 1960 et 1990, les déterminants clés de la réduction de la mortalité étaient représentés par le niveau d’instruction des femmes adultes (contribution de 27% à 41% selon les indicateurs), la

production et l’utilisation de nouvelles connaissances (contribution de 39% à 50%), le reste étant dû au revenu (OMS 1999, p. 6). Ces résultats montrent combien dans le domaine de la santé, l’intervention publique est absolument nécessaire.

- Le deuxième a trait à l’assimilation réalisée entre demande et besoins de soins et au fait que l’évaluation des besoins serait simple. Or, justement il n’en est rien. La définition du besoin paraît évidente : « En santé publique, les besoins de santé peuvent être définis comme l’écart

entre un état de santé constaté et un état de santé souhaité par la collectivité ou ses représentants » (Cases et Baubeau 2004). Il faut par conséquent définir un état de santé

souhaité servant de référence qui diffère selon la situation démographique et économique de la population mais aussi selon leurs références culturelles, philosophiques, religieuses. De plus, pour que la définition soit opérante, il est préférable de demander l’avis de la population (Ibid.). Préalable à toute planification sanitaire, la détermination des besoins répond finalement à des considérations sociétales et politiques. En réalité, le domaine dans lequel la quantification des besoins est la plus aisée est la prévention primaire ou secondaire42. Pourtant, c’est celui vis-à-vis duquel les médecins libéraux sont les plus réticents, car la forme d’exercice libéral, centrée sur la demande du patient paraît peu adaptée, voire en contradiction avec son développement.

Cette position de la CSMF n’est pas nouvelle. Déjà, dans un communiqué du 26 février 1960, elle déclarait : "…l'offre par la Confédération, de conclure une convention collective

nationale […] Cette convention supprimerait, en fait, les conventions individuelles inacceptables et contraires au droit syndical…quatre notions pouvant être qualifiées de "Charte sociale de la médecine" […] 1. Indépendance et médiation […] Tout conflit collectif d'honoraires entre les médecins, les assurés et les pouvoirs publics, doit faire l'objet d'une médiation indépendante de l'Etat, […] 2. Non-discrimination […] entre les actes médicaux de même nature […] 3. Promotion professionnelle […] tenant compte, soit de leur expérience et de leurs travaux, soit de leur participation régulière à un enseignement post-universitaire […] 4. Libre expansion. Aucun plafond ne doit être arbitrairement fixé à l'évolution des dépenses médicales de la nation : cette évolution ne peut dépendre que des exigences de la science et de la technique, de l'élévation du niveau de vie et du niveau culturel du pays" (cité par Barjot

1988, p. 353).

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