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Un objectif hors d’atteinte

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 189-191)

L’OFFRE DE SOINS

4.5. LES COMPORTEMENTS OPPORTUNISTES DES MEDECINS LIBERAU

4.6.1. Un objectif hors d’atteinte

Il y a dans le système de santé français un objectif implicite qui ne peut pas être atteint et que l’on peut définir ainsi : « atteindre les objectifs de Beveridge avec les moyens de Bismarck » (Palier et Bonoli 1995). En effet, il n’est pas possible de parvenir à mettre en place réellement un système de santé qui soit à la fois universel, efficace en termes sanitaire et égalitaire sur le plan financier comme de l’accès aux soins, avec une assurance maladie professionnelle et une médecine libérale telle qu’elle existe en France. Concernant l’assurance maladie, la création de la Couverture maladie universelle (CMU) et de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) l’a réellement rendue universelle dans la mesure où il n’y a plus d’exclusion légale. En revanche, pour la médecine libérale, le problème reste non résolu. C’est pourtant à cette quadrature de cercle que prétend s’attaquer la régulation de la médecine libérale.

Le système de santé français a été marqué par un partage implicite des rôles entre les pouvoirs publics qui se sont réservé le rôle législatif et d’arbitre, les partenaires sociaux chargés de la gestion autonome de l’Assurance maladie alors que les soins ont été longtemps le domaine réservé des médecins selon les termes d’un Yalta social de 1945 (Palier 2005). Cela pouvait se concevoir en 1945, car le système de santé était peu développé, en particulier la médecine libérale et la question essentielle était surtout d’améliorer l’accès aux soins de la population. Elle a été progressivement socialisée dans le sens où, à sa fonction traditionnelle de soins, se sont ajoutées une fonction d’information (déclaration obligatoire de maladies, arrêts de travail, pharmacovigilance, etc.), une fonction de régulation (maîtrise médicalisée, parcours de soins coordonnés, ALD, permanence des soins, accès aux soins) et une fonction de santé publique (dépistages des cancers, vaccinations, etc.).

La régulation d’un secteur peut être conçue comme « un ensemble de règles permettant son

pilotage, c’est-à-dire la mise en cohérence dans le temps des objectifs qu’on lui assigne et des moyens qu’on lui consacre » (Coudreau 2004).

Or, tout dispositif de protection sociale est caractérisé par quatre dimensions : le critère d’accès à la prestation, la nature et le niveau de cette prestation, le mode de financement et les structures de décision, d’organisation et de gestion de l’organisme qui sert cette prestation (Palier 2002). D’autre part, la régulation est généralement examinée selon deux dimensions, l’efficacité et l’équité (Geoffard 2004).

Cela permet de poser une base à l’analyse de la régulation de l’Assurance maladie. Remarquons d’emblée que la manière avec laquelle la France s’y prend n’est pas optimale. Trois éléments paraissent essentiels.

Le premier est le fait que deux ministères, au moins, exercent une tutelle sur le système de santé : le ministère de la santé (souvent chapeauté par un ministère des affaires sociales) assure la tutelle sectorielle et le ministère des finances la tutelle économique. Cette dyarchie est source d’inefficience et de manque de lisibilité des positions et des politiques publiques. La pluralité des acteurs étatiques implique que plusieurs conceptions économiques sont en présence voire en compétition. Malgré le fait que l’impératif de régulation fasse consensus, il y a souvent divergence sur les moyens mis en œuvre, si bien que la rationalité économique de la politique publique est parfois difficile à définir (Letourmy 1995).

Le deuxième est l’absence de séparation des branches (maladie, famille, vieillesse) dans la gestion du régime général, ce qui est considéré comme source de confusion et de déresponsabilisation.

Le troisième concerne la marge de manœuvre de l’Assurance maladie. L’article 18 de l’ordonnance 67-706 du 21 août 1967 créant la CNAMTS stipule : « Les décisions

nécessaires au maintient et au rétablissement de l’équilibre financier […] sont prises par le conseil d’administration de la caisse nationale. Lorsqu’elles comportent une augmentation de cotisation, ces décisions ne sont exécutoires qu’après avoir été approuvées par décret ». Cet

élément est essentiel, car il montre combien l’Assurance maladie manque d’autonomie. Cet enchevêtrement des compétences et des responsabilités est source d’inefficacité (Branciard et Huard 1992, Landrin 2004).

L’importance accordée aux institutions explique deux aspects essentiels et complémentaires, l’empreinte des origines et la dépendance au sentier.

mêmes priorités en matière de protection sociale et ne mettent pas en œuvre des politiques publiques identiques » (Merrien 1990). La question de la protection sociale s’est posée à tous

les pays européens, mais dans des termes différents en fonction du rapport de force entre les acteurs, ce qui a conduit à des configurations différentes. De manière plus précise, les solutions antérieures, c’est-à-dire qui existaient lorsque la question de la protection sociale s’est posée, ont servi de modèle à partir duquel cette protection sociale a été finalement conçue. En France, l’existence de caisses de secours chez les ouvriers et les indépendants a représenté un paradigme dominant qui a empêché après 1945 l’élaboration d’un système universel inspiré du rapport Beveridge.

Le deuxième élément est représenté par la dépendance au sentier (path dependence) ou inertie institutionnelle. Il signifie que lorsqu’un chemin a été pris par un pays, il est difficile d’en changer, car les institutions, les positions politiques et syndicales mais également les matrices cognitives des acteurs se renforcent avec le temps, voire se cristallisent (Palier et Bonoli 1999, Surel 1998). Ces mécanismes ont été particulièrement actifs en France. Il suffit de considérer le nombre de mobilisations collectives des syndicats de salariés pour défendre la sécurité sociale et la facilité avec laquelle elles ont lieu devant toute réforme ressentie comme mettant en cause des principes essentiels ou jugés tels.

La régulation de la médecine libérale a échoué dans presque tous les domaines. Les deux domaines dans lesquels l’échec est le plus flagrant sont la démographie médicale et la maîtrise des dépenses, exercice difficile car les recettes et les dépenses n’étant pas déterminées par les mêmes facteurs voient leurs courbes d’évolution se croiser en période de difficultés économiques. En réalité « depuis plus de trente ans, la France est à la recherche d’un modèle

d’organisation qui rende compatible autonomie des médecins, haut niveau de prise en charge des malades, responsabilité des partenaires sociaux et maîtrise économique du système de soins » (Coudreau 2004).

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 189-191)