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les origines

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 52-54)

Il faut remonter très loin pour comprendre la genèse de la profession médicale.

Le point de départ est représenté par la conception catholique du corps développée par Saint Thomas dans la Somme théologique qui considère que l’Eglise représente un corps mystique dont les hommes sont les membres. Le même auteur légitime le parallèle entre l'Eglise, corps mystique à la tête de laquelle se trouve le pape et l'Etat, corps naturel dont la tête est le roi. Parallèlement, avec la croissance urbaine, des commerçants et des artisans se regroupent (confréries, charités, patronages) par métiers et par quartiers. Ces regroupements édictent des règlements afin de réguler la concurrence que les autorités civiles sont appelées à faire respecter. Ils ont en outre quatre caractéristiques : (1) ils doivent allégeance au roi et à l'Eglise, (2) ils manifestent une générosité par une offrande de dons, (3) ils organisent l'apprentissage du métier, (4) ils prêtent serment lors de l'accession à la maîtrise.

La société de l’Ancien Régime était extrêmement hiérarchisée et cloisonnée. « Au dessus du

monde des gens de métier – sur le même rang que les négociants, ecclésiastiques, nobles, fonctionnaires royaux ou municipaux et grands financiers – se trouvaient les professions libérales – médecins, juristes, hommes de lettres, professeurs – que l’on classait dans la catégorie des travaux intellectuels plutôt que dans celle des arts mécaniques. En dessous des gens de métier, il y avait les strates inférieures de la population urbaine : celle des domestiques, des ouvriers sans qualification et celle, peu honorable, des indigents » (Ibid.,

p. 41). Depuis le Moyen Âge, on distinguait deux catégories de métiers, les « arts libéraux » ou intellectuels et les « arts mécaniques ». La hiérarchisation entre eux était fondée sur la dichotomie art/travail ou esprit/main. « …les arts libéraux - définis comme ces arts dont les

productions appartiennent davantage à l’esprit qu’à la main – étaient jugés supérieurs aux arts mécaniques – définis comme appartenant davantage à la main qu’à l’esprit » (Ibid.,

p. 44).

Sur cette base se constitue « l'idiome corporatif » (Ibid., p. 48-49) qui est une matrice commune aux corps de métier ou corporations relevant des arts mécaniques, aux professions

libérales relevant des universités et des arts libéraux et aux grands corps d'Etat dépendant entièrement du roi.

L'élément le plus important de cet idiome corporatif est représenté par "La ratification des

statuts par une lettre patente du roi…" qui fait du corps professionnel un « …état juré… »,

c’est-à-dire que les membres étaient tenus de prêter serment de fidélité ainsi qu’"…une

personne, sujet du roi". Les statuts d’une communauté ratifiés par le roi contenaient des

immunités et des privilèges spécifiques, lesquels étaient définis comme des « faculté(s)

accordée(s) à une personne ou à une communauté particulière, de faire quelque chose, ou de jouir de quelque avantage à l’exclusion des autres » (Ibid., p. 49).

Ces privilèges, ou « lois privées », concernaient une multitude de corps et de communautés reconnus tels que le clergé, la noblesse, les parlements, les villes, les universités. Parmi les privilèges des corps professionnels on trouvait le monopole d'exercice et l’autonomie professionnelle. D’autre part, la lettre patente du roi établissait « …ledit état…en état juré ». Or dans la société de l’Ancien Régime, l’état « …signifiait le rang, le statut légal ou la

condition ; il impliquait une idée de condition stable et de conformité aux règles ; et il signifiait aussi l’activité ou la profession » (Ibid., p. 46).

D’ailleurs dans la hiérarchie des métiers, les gens de bras, c’est-à-dire qui n’avaient que leur force physique à monnayer, et dont le travail était sans règles explicites comme principe organisateur, étaient réputés être sans état, sans profession et sans statut légal. Les corps professionnels se définissaient alors par leur position dans le corps social, lequel était relié au monarque qui en constituait la tête.

La société de l’Ancien Régime avait donc une double segmentation : - structurelle, correspondant aux trois Etats (clergé, noblesse, Tiers Etat),

- fonctionnelle, morale et économique correspondant aux arts libéraux, aux arts mécaniques et aux personnes sans état.

Dans ce cadre, la profession médicale était au sommet de la hiérarchie sociale, en raison de son appartenance aux arts libéraux et de son domaine d’activité. De plus, c’était une activité hautement morale. La prestation de serment marquant l’entrée dans les métiers jurés constitue en Occident un équivalent laïc de l’entrée dans un monastère, à savoir la rupture d’un monde à l’autre par l’intégration d’une famille d’élection, une famille selon l’esprit (Iogna-Prat 2010). C’est ce qui donne à la confraternité sa matrice profonde et sa force réelle.

A partir de la fin du 17ème siècle, sont créés les premiers corps d'Etat modernes, les ingénieurs du Roy (ingénieurs militaires) ainsi que les premières écoles militaires. En 1793, la création de l'École polytechnique consacre le changement, non de paradigme qui reste celui du corps, mais du sens de celui-ci, dans la mesure où la référence religieuse cède le pas à la raison (Dubar et Tripier, 2005) et où l'Etat n'est plus identifié au roi. C'est donc à une véritable laïcisation sans changement de structure à laquelle il a été procédé. A partir de ce moment, le statut de corps professionnel sera accordé par l'Etat, quelle que soit la nature de celui-ci, en référence à la raison et, pour la médecine, à son caractère scientifique.

Le cadre cognitif est alors en place pour aborder la professionnalisation de la médecine.

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 52-54)