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Les premiers pas

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 54-59)

Elle trouve son origine dans la conjonction d'une double dynamique : une dynamique interne à la médecine qui, à partir de la méthode analytique, donne naissance à la clinique, c'est à dire à un savoir rationnel et efficient, et une dynamique externe qui est l'intervention de l'Etat dans le champ sanitaire.

A l'aube de la Révolution, la médecine française se caractérise par trois éléments : une structure cloisonnée en trois ordres - médecins, chirurgiens et apothicaires, l'anachronisme des universités dispensant des cours en latin, sclérosées et dominées par le népotisme, et l'incompétence des médecins, inégalement répartis sur le territoire et pratiquant un art notoirement inefficace (Léonard 1981).

L'action de la Révolution en matière sanitaire se fonde sur les idées des philosophes et sur les cahiers de doléances.

A l'époque, le problème majeur était celui de l'indigence d'une fraction importante de la société, l'aspect sanitaire et l'accès aux soins n'en représentant qu'une partie. C'est chez Montesquieu que l'on trouve les premières idées d'obligation de l'Etat en matière d'assistance ainsi que pour apporter un prompt secours, en particulier grâce à des hôpitaux (L'esprit des

lois, livre XXIII, chap. 19 et livre XIII, chap. 29). Dans "Du contrat social" et dans le

"Discours sur l'économie politique", Rousseau développe des idées analogues.

mécanismes du marché était la condition d’optimisation de la richesse nationale. Turgot, nommé Contrôleur général des Finances par Louis XVI en 1774, était un des principaux représentants des idées physiocratiques. Il a été à l’origine d’un édit royal dont le dessein était d’assurer « …au commerce et à l’industrie l’entière liberté et la pleine concurrence dont ils

doivent jouir » (Sewell 1983, p. 108). A cette fin, l’édit déclarait : « Il sera libre à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient […] d’embrasser et d’exercer dans tout notre royaume[…] telle espèce de commerce et toute profession d’arts et métiers que bon leur semblera… ; à l’effet de quoi nous […] éteignons et supprimons tous les corps et communautés de marchands et artisans, ainsi que les maîtrises et jurandes ; abrogeons tous privilèges, statuts et règlements donnés aux dits corps et communautés, pour raison desquels nul de nos sujets ne pourra être troublé dans l’exercice de son commerce ou de sa profession » (Ibid., p. 109). Turgot fut finalement congédié en 1776 et la question tranchée en

faveur des thèses traditionnelles.

Mais ce sont les cahiers de doléances des Etats généraux de 1789 qui apportent les idées les plus explicites et les plus précises. Ils demandent, pour les pauvres, la gratuité des soins médicaux et obstétricaux ainsi que des hôpitaux et des remèdes gratuits (Guillaume 1988, p. 53-57). Ils expriment également une dichotomie sociale. Alors que les élites réclament des médecins mieux formés et soucieux de la santé publique, les masses populaires, peu sensibles à un discours rationnel, manifestent une préférence pour les guérisseurs traditionnels et pour la libre concurrence d'exercice de la médecine.

La Révolution manifeste sa préoccupation de l’hygiène publique par la loi des 18-24 août 1790 sur la salubrité urbaine qui en confie la responsabilité aux corps municipaux. Par ailleurs, la loi des 11 et 19 septembre 1792 donne autorité aux conseils généraux pour lutter contre les maladies contagieuses, épidémiques ou épizootiques.

Les médecins, pour leur part, bénéficiaient en droit de l'attribut essentiel d'une profession, le monopole d'exercice accordé en 1707 par les décrets de Marly (Foucault 1963-2005), mais celui-ci apparaissait comme un privilège tout à fait injustifié en raison de ses liens avec l’ordre social inique de l’Ancien Régime qui servait des intérêts particuliers contre l’intérêt général.

Il convient de citer également le pamphlet de l’abbé Sieyès « Qu’est-ce que le Tiers Etat ? » qui constitue une attaque en règle contre l’ordre social de l’Ancien Régime et qui propose une nouvelle structuration fonctionnelle de la société en quatre classes : l’agriculture, l’industrie, le commerce, les services. Pour Sieyès, la nation était un corps de citoyens individuels ainsi

qu’un ensemble de producteurs unis par leur travail sur la nature qui représentait le principe d’ordre dans le droit fil des lumières.

A partir de là, la Révolution va faire table rase de l’ordre ancien, et ce sont malheureusement les mesures démagogiques qui ont été choisies : "Entre le 4 août 1789 et le 25 février 1795, se

succèdent une série de mesures qui détruisent l'ancien régime médical" (Léonard, 1981, p.

14). C’est le décret d’Allardes du 17 mars 1791 qui supprime définitivement les corporations et, en conséquence, les facultés de médecine ainsi que le monopole d’exercice de la médecine au nom de la liberté. Reprenant les premiers termes du projet d’édit royal de Turgot, l’article 8 stipule : « A compter du 1er avril prochain, il sera libre à tout citoyen de faire tel commerce, ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’il trouvera bon, après s’être pourvu d’une patente et en avoir acquitté le prix… » (Sewell 1983, p. 126). Cette disposition est confirmée

par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 interdisant les organisations ouvrières, en particulier les corporations de métiers, mais également les rassemblements ouvriers et le compagnonnage, ce qui revenait à proscrire de fait les grèves et la constitution de syndicats ainsi que les associations professionnelles de secours en proclamant le monopole d’assistance de l’Etat (Gibaud 1994).

Par un déplacement du concept de liberté, l'asymétrie inhérente à tout savoir et à tout enseignement est rejetée.

D'autre part, pour la Révolution, l'assistance est d'abord un devoir de la société.

Un projet de décret du 31 août 1790, dont le titre premier est consacré au secours aux malades, prévoit l'établissement de médecins ou de chirurgiens et des sages-femmes cantonaux à la campagne et par arrondissement ou par quartier dans les villes assurant des soins gratuits pour les pauvres (Guillaume 1988). Un rapport du 21 janvier 1791 prévoit la nomination de six commissaires chargés d'inspecter tous les ans les hôpitaux, les hospices et d'examiner l'application des lois relatives à la distribution de secours. De son côté, le Comité de la mendicité envisage, la même année, la création d'une véritable assurance sociale nationale avec des allocations pour les femmes en couches complétée par un autre projet proposant l'institution d'une Caisse d'épargne chargée, en particulier, de financer les hôpitaux (Ibid.).

Pour la Convention, l'assistance est un monopole de l'Etat et la charité privée a un caractère infamant. Elle prend de nombreuses dispositions concernant les secours à domicile des

complétée par la loi du 21 juin 1793 qui prévoit des mesures préventives concernant la mère et l’enfant.

Les révolutionnaires sont donc très actifs en matière sanitaire et la santé est quasiment mise sous tutelle.

L'Etat se rend rapidement compte des méfaits de la liberté absolue qu'il a provoqué.

Faute d'assistance de l'Etat et très souvent de médecins, les pauvres des campagnes n'ont guère d'autre recours que les guérisseurs traditionnels. De plus, la concurrence sauvage des guérisseurs fait que les médecins ont du mal à vivre alors que la fermeture des facultés met en danger la transmission du savoir. Car il existait un savoir réel, notamment en obstétrique, en chirurgie et, à un moindre degré, en maladies infectieuses. Enfin, en faisant table rase, la Révolution contribue à définir ce qui deviendra, plus d'un siècle plus tard, certains des principes de la médecine libérale : le libre choix du médecin, le secret médical, qui apparaît dans le Code pénal en 1810 (Steudler 1977), la liberté thérapeutique, l'observation et l'expérimentation scientifique.

Pour son action sanitaire, l'Etat compte sur la santé publique, appelée alors hygiène publique. La première chaire d'hygiène publique est créée à Paris en 1795 (Haut Comité de la santé publique 1998). Un Bureau de statistiques est créé en 1800, alors que sont mis en place des conseils de salubrité, où siègent des médecins, et qui sont chargés de la surveillance de la santé publique. La médecine sociale, qui s'intéresse aux rapports entre l'environnement et les maladies, devient un levier de l'action publique, laquelle a besoin des médecins.

Après quatorze années de dérives et d'hésitations, survient la loi du 19 ventose an XI (10 mars 1803) qui divise le corps médical en deux sans consacrer la professionnalisation de la médecine.

La durée des études était différente dans les deux filières. Pour être docteur, il fallait suivre un cursus de quatre ans dans une école spéciale de médecine, réussir cinq examens et soutenir une thèse. Devenaient officiers de santé, les étudiants qui avaient suivi un des trois cursus ci- après : trois années d'études dans une école de médecine, cinq années de formation pratique dans un hôpital ou six années auprès d'un docteur en exercice (Jaisson 2002).

Ce cloisonnement statutaire en fonction de la compétence présumée correspond en fait à la victoire des réalistes. Il présente un double intérêt. Comme le dit un député devant le corps législatif, les avantages de l'officiat étaient de "procurer des secours médicaux aux pauvres

des campagnes, ne pas écarter de la carrière médicale des jeunes gens d'origine modeste, espérer qu'à l'avenir le peuple rural recevra en nombre suffisant les bons docteurs qu'il

mérite" (Léonard 1981, p. 48). Mais le premier objectif de la loi du 19 ventose restait la lutte

contre le charlatanisme. C'était aussi, malheureusement, consacrer le fait que le partage de la société en deux classes distinctes trouvait son prolongement au sein même du corps médical. Le début du 19ème siècle est marqué par un interventionnisme de l'Etat en matière sanitaire de plus en plus marqué.

Deux domaines intéressent particulièrement l'Etat, l'expertise judiciaire et surtout les interventions en santé publique. Il interviendra également dans l'organisation des études médicales. Les écoles de médecine deviennent des facultés en 1808 et, de 1806 à 1809, treize décrets installent un réseau d'écoles secondaires de médecine. Les hôpitaux sont réorganisés dans le même temps, alors que différents codes - civil, d'instruction criminelle et pénal - mobilisent des médecins pour des expertises judiciaires.

Entre 1832 et 1847 se succèdent un ensemble de décisions marquant la médicalisation de la société autant que l'emprise de l'Etat sur la médecine : "création d'un conseil supérieur de la

santé (1832), […] législation sur les aliénés et les asiles (1838, 1839), création d'un corps d'inspecteurs départementaux des enfants trouvés (1839), limitation théorique du travail des enfants dans les manufactures (1841), […] police des substances vénéneuses (1845, 1846)…"

(Léonard 1981, p. 210).

La médecine se construit alors simultanément sur trois fronts : la médecine clinique, la médecine sociale et hygiéniste et la médecine expérimentale (Pinell et Steffen 1994). La plus importante est la médecine clinique pratiquée à l'hôpital. En contrepartie de soins gratuits, les pauvres offrent aux médecins une source d'observation et d'expériences sans égale qui permet l'établissement de nosographies ordonnant les symptômes et les entités pathologiques.

Très tôt, des sociétés savantes se mettent en place. L'Académie royale de médecine est créée en 1820 et deviendra l'Académie nationale de médecine en 1848, la société de chirurgie est fondée en 1843, la société de biologie en 1848 et la société médico-psychologique en 1852. L'hétérogénéité de la médecine détermine une diversité de positions qui a posé tant de difficultés à la professionnalisation de la médecine.

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