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Le tact et la mesure

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 186-189)

L’OFFRE DE SOINS

4.5. LES COMPORTEMENTS OPPORTUNISTES DES MEDECINS LIBERAU

4.5.4. Le tact et la mesure

La notion d’entente directe est explicitée dans deux rapports de l’Ordre des médecins qui considère que depuis toujours, la rémunération du médecin s’est faite sous forme d’honoraires fixés de gré à gré (Ordre National des Médecins 1998, 2005).

Le tact y est défini d’après Le Robert comme une « Appréciation intuitive, spontanée et

délicate, de ce qu’il convient de dire, de faire ou d’éviter dans les relations humaines » et la

mesure comme une « Appréciation de la valeur de l’importance d’une chose […] Modération

dans le comportement ». Le texte met à juste titre l’accent sur l’importance de l’appréciation

dans ces deux définitions, ce qui confère à celles-ci une dimension subjective et laisse donc une large place à l’interprétation. Toutefois, le texte prend bien soin de passer sous silence deux autres acceptions de la mesure du même dictionnaire : « Quantité, dimension

déterminée, considérée comme normale, souhaitable » et « Manière d’agir proportionnée à un but à atteindre ».

Les éléments à retenir pour définir ces deux notions sont de quatre ordres.

La notoriété du praticien pratiquant l’acte

Cette notion renvoie à la renommée et à la réputation du médecin, autre élément éminemment subjectif. En effet, qui va définir la renommée d’un médecin ? Faut-il faire une enquête d’opinion pour la déterminer ? Si tel était le cas, quelle en serait la valeur ? Le patient n’est pas en capacité d’apprécier la qualité des soins (voir infra), ce qui invalide toute approche par la notoriété hormis les rares cas de praticiens dont la valeur est reconnue dans la grande presse. Il faut préciser que de tels cas sont exceptionnels et appartiennent presque toujours au monde hospitalo-universitaire.

La valeur de l’acte

Le texte précise que la manière de la mesurer est le temps passé ou la complexité de l’examen clinique ou technique. Sur cet élément, il est précisé : « Une première consultation, un

la lecture des documents, l’interprétation des résultats, enfin la reprise sur dossier de tous ces éléments […] Il n’en sera pas de même lors d’une consultation de surveillance ou à l’occasion d’un examen de routine […] celle-ci [la rémunération] devra donc être modulée entre les patients et pour un même patient suivant les circonstances et le caractère de l’acte médical […] être encore titulaire du DP [Droit à dépassement permanent] ou choisir le secteur II, c’est revenir aux honoraires stricto sensu en engageant sa responsabilité personnelle dans leur fixation et en sachant qu’ils doivent faire l’objet d’une information de la clientèle et éventuellement d’une négociation de gré à gré ou entente directe ».

Voilà donc l’Ordre des médecins qui propose que les honoraires soient fixées par un accord amiable au terme d’une négociation. Une telle conception pouvait se concevoir et se défendre au 19ème siècle, alors que la médecine avait une efficacité incertaine et qu’il n’y avait pas d’assurance maladie.

Le service rendu

Il est précisé que le patient est un mauvais juge. Le médecin doit donc l’apprécier « …en son

âme et conscience », ce qui laisse, une fois de plus, une marge d’interprétation inacceptable

ouvrant droit à tous les abus.

Les possibilités financières du patient

Le texte précise : « Nous avons vu, lors de l’analyse du tact et de la mesure, combien cet

élément, qui peut parfois être difficile à apprécier, est la pierre angulaire de cette notion ».

L’entente directe représente donc bien une personnalisation de la rémunération en fonction de la capacité contributive estimée du patient. Le texte précise encore : « Une telle approche

interdit, on en conviendra volontiers, tout caractère systématique, donc foncièrement injuste, de la majoration, ce qui est actuellement et malheureusement trop souvent le cas pour ne pas dire toujours, le cas ».

Cela amène un certain nombre de commentaires. Pour le dernier point, on se demande comment va s’y prendre le médecin pour apprécier la capacité contributive de son patient. Va- t-il consulter sa déclaration d’impôts ? Son bulletin de salaire ? Va-t-il lui demander la liste et la valeur de ses biens ? A l’évidence non, et comme l’avoue l’Ordre, le texte justifie les dépassements d’honoraires systématiques. D’autre part, si la libre entente correspond à la forme traditionnelle de rémunération du médecin depuis la naissance de la médecine dans le cadre d’une solidarité privée mise en place par le médecin qui faisait payer davantage les

riches et moins les pauvres, voire pas du tout, les choses ont complètement changé avec l’Assurance maladie. En effet, l’Assurance maladie, obligatoire et complémentaire, en solvabilisant le patient rend caduc l’ancien système fondé sur la charité privée et tend à égaliser la capacité contributive des patients. L’entente directe représente un retour à l’ancien système et s’oppose à l’Etat-providence. L’Ordre des médecins enfonce le clou en évoquant la jurisprudence, laquelle est fondée sur la déontologie et les commentaires que nous venons d’évoquer. « Il ressort ensuite de la jurisprudence constante qu’un praticien ne peut être

condamné pour un manquement au tact et à la mesure sur la base des seuls éléments statistiques produits par une caisse.

Cette jurisprudence est l’occasion de souligner que l’appréciation du tact et de la mesure n’est pas mathématique mais repose sur le comportement d’un médecin vis-à-vis d’un patient à un moment donné » (Ordre des Médecins 2005). Cela revient à replacer l’appréciation du

bien-fondé du tact et de la mesure dans le seul colloque singulier.

D’autre part, nous montrons (voir infra) que le patient est sous l’emprise d’émotions qui l’empêchent d’être suffisamment rationnel. Il existe de plus une asymétrie d’information à l’avantage du médecin. En conséquence, l’intrusion de considérations marchandes comme l’entente directe dans la relation médecin/malade, bien que justifiée par la déontologie médicale, est profondément contraire à l’éthique médicale. En effet, l’éthique médicale est une éthique déontologique, la pratique médicale devant être jugée en fonction de sa conformité à des devoirs (voir chapitre 1). Or, le tact et la mesure contreviennent manifestement à l’éthique médicale puisque le patient ne peut apprécier aucun des critères retenus et parce que les considérations financières sont, par principe, contraires à l’éthique médicale. En réalité, ces principes doivent plutôt être examinés dans le cadre d’une éthique conséquentialiste, c’est-à-dire en fonction de leurs conséquences prévisibles. Il apparaît alors qu’ils laissent une grande liberté d’interprétation et d’action au médecin. La question est de savoir si le médecin est le plus souvent bienveillant ou altruiste, si cette position conséquentialiste produit le plus grand bien pour le plus grand nombre, à savoir les patients ? Autrement dit, si le tact et la mesure n’appartiennent pas à l’éthique déontologique, appartiennent-ils pour autant à l’éthique sociale ? Force est de constater qu’il n’en est rien, ce que l’Ordre reconnaît lui-même. Le tact et la mesure n’appartiennent pas plus à l’éthique sociale qu’à l’éthique médicale.

En conclusion, l’Ordre des médecins montre combien il est dominé par les médecins libéraux. Par l’entente directe, il défend une pratique obsolète. Sous couvert d’une déontologie médicale énoncée et postulée de manière incantatoire sans aucun lien avec l’éthique, il fonde et justifie déontologiquement les comportements opportunistes des médecins libéraux.

4.6. L’ECHEC DE LA REGULATION

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 186-189)