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L’équité dans la médecine libérale

Dans le document L’économie de la médecine libérale (Page 34-37)

1.4.2. L’éthique sociale

1.5.2.4. L’équité dans la médecine libérale

Au-delà des principes explicites, existe une réalité qui peut être sensiblement différente, voire même qui peut contrevenir à ces mêmes principes. Concernant l’équité de la médecine libérale, il faut examiner l’offre de soins et la régulation.

L’équité de l’offre de soins

Le critère éthique le plus important est l’égalité d’accès géographique et financier. Les soins étant des produits intermédiaires influençant le produit final représenté par la santé, l’accès aux soins est un élément de l’égalité des chances.

Comme il est impossible d’atteindre une stricte égalité d’accès géographique, la question est généralement abordée en termes de réduction des inégalités, lesquelles peuvent être mesurées selon deux dimensions, la densité médicale et le temps moyen d’accès au cabinet médical. D’un point de vue strictement égalitariste, les êtres humains étant égaux, l’offre de soins se doit donc d’être égale pour tous. Les grandes différences dans l’offre de soins risquent d’induire un renoncement à des soins utiles, voire essentiels et de provoquer une inégalité des chances et donc des différences d’état de santé.

Du point de vue libéral, il est tout à fait juste que les personnes les plus riches consacrent davantage de ressources pour les soins. La liberté d’installation s’inscrit dans cette perspective. En effet, si les médecins tiennent tant à ce principe, c’est parce qu’il leur permet de s’installer là où ils pensent que leur vie sera meilleure et leur revenu supérieur. Au 19ème siècle, malgré les dénégations des médecins, la liberté d’installation correspondait au développement d’un secteur marchand de la médecine où l’allocation de ressources était réalisée en fonction de l’existence d’une demande de soins solvable. Le développement de la profession était privilégié. Les inégalités d’accès pouvaient être compensées par l’entente directe ainsi que par la solidarité collective dans le cadre de l’aide médicale gratuite et des soins donnés dans les dispensaires.

La liberté d’installation et la possibilité de pratiquer des dépassements d’honoraires sont d’inspiration clairement libérale et contreviennent donc aux principes égalitaristes. La conséquence est le développement de deux filières de soins de médecine libérale. La première est constituée par les soins marchands, ceux délivrés par les médecins du secteur 2 accessibles

L’ampleur du secteur marchand est relativement importante, puisque les dépassements d’honoraires représentaient environ 10% de l’ensemble de l’activité des médecins libéraux en 2005 (IGAS 2007). La deuxième filière est représentée par les soins non marchands délivrés aux personnes exclues du secteur 2 pour une raison ou pour une autre (absence ou insuffisance de couverture complémentaire le plus souvent). Dans un certain nombre de cas, lorsque les spécialistes sont majoritairement en secteur 2, cela se traduit par des renoncements aux soins ou par des retards pouvant être préjudiciables à la santé. Il y a donc rupture du principe de justice fondé sur le besoin. Néanmoins, la différence d’état de santé imputable à la filière (marchande ou non marchande) ne doit pas être exagérée pour trois raisons. La première est que le système de soins n’est pas le déterminant essentiel de la santé (les comportements pathogènes ou protecteurs sont plus importants). La deuxième est que le recours aux soins est socialement différencié, les personnes défavorisées ayant tendance à consulter plus tardivement (Morniche 1995). La troisième est que le généraliste représente un garde-fou, soit en prenant en charge lui-même le patient, soit en accélérant la consultation du spécialiste dans le secteur non marchand ou à l’hôpital.

L’équité de la régulation

Comme nous l’avons vu, les systèmes de santé européens sont des organisations non marchandes régies par le principe d’utilisation selon le besoin et le principe de contribution selon le revenu.

Le mode de régulation le plus utilisé est la participation financière du malade sous forme de ticket modérateur ou de franchises. Son fondement est la responsabilisation du malade, puisqu’il consiste à transférer une partie de la contrainte financière de la collectivité à l’individu. Sur le plan théorique, les soins concernés sont considérés comme relevant d’un choix individuel et leur consommation de mécanismes marchands traditionnels (Rochaix 1995). En établissant un lien direct entre la consommation de soins et le prix, ces mécanismes relèvent d’une conception libérale de l’équité. De plus, ces mesures, largement utilisées en France depuis 1975, sont d’une efficacité limitée et transitoire (Mougeot 1999). L’accroissement continu de la participation du malade a pour effet de provoquer une croissance continue des assurances complémentaires pour la prise en charge des soins ambulatoires et donc un renoncement à ce type de couverture ou à des soins pour les personnes impécunieuses. Ce type de renoncement, anti-égalitariste par nature, n’a pas disparu avec la mise en place de la CMU (couverture maladie universelle) et de la CMUC (couverture maladie universelle complémentaire) (Wittwer 2009).

Toutefois, il existe des aménagements de type rawlsien selon deux critères, la morbidité et le revenu. Pour le critère de morbidité, c’est l’exonération du ticket modérateur pour les affections de longue durée. Concernant le revenu, la mise en place de la CMU, de la CMUC, de l’ACS (Aide à l’acquisition de la complémentaire santé) et de l’AME (Aide médicale d’Etat) représentent une série de mécanismes inégalitaires profitant aux plus pauvres. Dans le langage rawlsien, ces exonérations relèvent du critère différentiel (Rawls 1971, 1997).

La situation est donc beaucoup plus contrastée que ne le laisse paraître la simple proclamation des principes éthiques de notre système de santé.

1.6. LE DOUBLE ENCASTREMENT DE L’ECONOMIE DE LA

SANTE

Il s’agit d’une notion qui est essentielle, alors qu’elle ne semble pas avoir été suffisamment explicitée. L’encastrement signifie que l’activité économique est insérée, imbriquée dans le système social et qu’elle est régie, comme toute activité, par des normes et des règles, c’est-à- dire par des institutions. Elle a été décrite d’abord dans les sociétés primitives, en particulier par Mauss qui considère que les échanges sont au cœur des relations humaines et qu’elles sont régies par la réciprocité, ce qui fait du don un fait social total (Mauss 1924-2007). Cette notion a été reprise par Polanyi pour les sociétés précapitalistes dans lesquelles « L’homme

agit de manière, non pas à protéger son intérêt individuel à posséder des biens matériels, mais de manière à garantir sa position sociale, ses droits sociaux, ses avantages sociaux. Il n’accorde de valeur aux biens matériels que pour autant qu’ils servent cette fin » (Polanyi

1944-1983, p. 91), « En général, le système économique était absorbé dans le système

social » (Ibid., p. 117). Les sociologues, de leur côté, rejettent le caractère sous-socialisé de la

théorie économique standard qui conçoit l’agent économique comme totalement souverain, déconnecté de la société et ayant pour cela une intention strictement utilitariste. Ils considèrent que l’action humaine est nécessairement encastrée dans des systèmes concrets et continus de relations sociales (Granovetter 2000). A rebours de la thèse de Polanyi selon laquelle le marché autorégulateur n’a émergé et acquis son autonomie au 19ème siècle que grâce à un désencastrement social, la santé, et donc la médecine, sont restées encastrées socialement. En raison du fait que la relation médecin/malade se déploie au sein d’un colloque singulier qui est une boîte noire inaccessible, l’action du médecin libéral semble être

dans des normes juridiques et de pratiques ainsi que dans un réseau de relations. La santé, et donc l’économie de la santé, sont doublement encastrées, par rapport à la science et par rapport à l’Etat-providence.

1.5.3.

L’encastrement sanitaire de l’économie de la santé : une

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