• Aucun résultat trouvé

Un indicateur d’empowerment pour quoi faire ?

d Es IndIcatEurs d ’ empowerment :

2. Un indicateur d’empowerment pour quoi faire ?

Dans un premier temps, il est indispensable de s’interroger sur le concept même d’indicateur et d’indicateur d’empowerment : quelle est son utilité, que cherchons-nous

à mesurer, et pour quoi faire ?

Si nous repartons des définitions proposées par les Institutions Internationales, le concept d’indicateur est : « une mesure représentative d’un phénomène à l’intérieur de systèmes complexes ». Il s’agit donc d’une donnée - de nature quantitative ou qualitative - qui a été sélectionnée à partir d’un ensemble plus important de statistiques ou d’informations car elle possède une signification et une représentativité particulière par rapport à une problématique donnée. L’Union européenne (2001), comme d’autres bailleurs de fonds, parle de « la nécessité de se mettre d’accord pour utiliser des indicateurs de résultat communs » ainsi que de « considérer la mesurabilité des indicateurs comme un critère de sélection essentiel lors de son choix […] l’indicateur doit être objectivement mesurable » (CE, 2001).

Dans ce cadre, il est à noter que les fondements théoriques sur le développement, et par conséquent les indicateurs qui y sont liés, ont évolué lorsque l’on a commencé à parler de développement humain. Le PNUD, dans la partie de son rapport intitulé 27 Docteure en développement, chargée de cours invitée à l’UCL et chargée de mission au Monde selon les femmes.

« lexique de la pauvreté et du développement humain » évoque sa conception du développement en élargissant le concept de développement au bien-être : « Au cœur de la notion de développement humain se trouve le processus consistant à élargir le champ des possibles et le niveau de bien-être des personnes » (PNUD, 1997, p. 15). Cette vision du développement en termes d’accès et non plus en termes de possession de biens constitue une innovation théorique par rapport à la conception classique du développement considéré alors comme synonyme de croissance économique, mesuré en terme de PNB par habitant ($/hab.). Il y a évidemment un progrès dans cet enrichissement conceptuel, impulsé par les nombreux débats autour de la conception de développement, débats qui plongent leurs racines dans des courants très différents. C’est dans cette mouvance que l’on verra se formuler des indices de développement prenant en compte plusieurs dimensions, pas seulement l’économique, mais également de type social à travers l’Indice de Développement Humain (IDH) et l’Indice de Pauvreté Humaine (IPH), ou encore, la place des femmes dans la société à travers l’Indice Sexo-spécifique de Développement Humain (ISDH), l’Indice de Participation Féminine (IPF). C’est ainsi que les Institutions ont développé une liste d’indicateurs d’empowerment en ayant comme objectif de comparer l’évolution de la

situation et du pouvoir des femmes dans un pays ou entre différents pays.

Notre réflexion ne prétend pas aborder de manière globale l’importance des indicateurs, ni même de débattre sur les différents types d’indicateurs existant dans le secteur de la coopération au développement (d’autres interventions lors de la table ronde s’y sont attelées). Nous ne mettons pas en doute l’intérêt d’obtenir des informations les plus objectives et fiables possibles pour mesurer l’évolution et les résultats des différentes actions et politiques de développement. Cependant, nous nous interrogeons sur la pertinence d’élaborer des indicateurs d’empowerment

capables de comparer des pays ayant des contextes et des situations si différents. En réalité, le PNUD ainsi que les Institutions (qui cherchent à comparer les pays avec des indicateurs communs) se préoccupent de savoir si chacun-e a accès à certains biens, mais ignorent si cet accès correspond aux demandes locales spécifiques. Cela se traduit très concrètement par la collecte d’indicateurs qui ne reflètent ni les disparités au sein d’un même pays ni la satisfaction de besoins préalablement définis par les populations. Nous verrons ainsi se développer des indicateurs « objectivement mesurables » de type quantitatif : « le nombre de femmes au Parlement », « le nombre de femmes ayant un diplôme secondaire, universitaire, etc. ». Ces indicateurs ont leur pertinence, mais ils ne nous disent rien sur la société dans laquelle vivent ces femmes. Plusieurs auteures, telles que dans un premier temps Naïla Kabeer et Sarah Longwe, vont définir comme illusoire l’intention des planificateurs de trouver des réponses purement technocratiques, grâce à une bonne information issue de données faussement neutres ou fonctionnelles, en particulier celles concernant la répartition des tâches entre les sexes.

Une deuxième critique est la tendance à proposer des indicateurs surtout quantitatifs. Cette approche de l’empowerment est certes importante, mais elle ne

prend en considération qu’une certaine catégorie de femmes. L’accès à l’éducation des femmes, par exemple, est un phénomène social, notamment parce qu’il met en scène une certaine reproduction sociale. Prendre le nombre de femmes ayant un diplôme secondaire comme témoin de l’accès des femmes à l’éducation revient à évacuer l’aspect social du problème et à ne se préoccuper que de l’aspect individuel. Ces indicateurs ne permettent pas de prendre en compte les conflits d’acteurs, la réflexion sur le pouvoir et les référents symboliques ainsi que l’analyse des structures sociales profondes. Les indicateurs définis ne considèrent pas l’empowerment dans

ses différentes dimensions pour toutes les femmes, ni comme transformateur non seulement des rapports hommes/femmes, mais de la société toute entière. Ces indicateurs permettent surtout de mesurer l’empowerment au niveau individuel, mais

pas en tant que processus de changement des rapports de genre dans la société. « Ainsi, même s’il peut être "tiré" dans des sens plus ou moins transformateurs, l’empowerment des femmes tel qu’il est préconisé depuis Pékin semble plus s’orienter

vers des stratégies individualistes de la part des femmes, et top-down de la part des

institutions internationales, qui n’envisagent pas de perdre le contrôle in fine de cette

dynamique » (Falquet, 2003, p. 65).

Pour pallier à une approche trop quantitative, d’autres initiatives ont vu le jour : c’est le cas par exemple de l’Indice du Développement et de l’Inégalité entre les Sexes en Afrique (IDISA). L’IDISA est un indice composite qui comprend deux parties : l’Indice de la Condition de la Femme (ICF) qui mesure les inégalités de genre à travers une série d’indicateurs quantitatifs (par rapport à la santé, l’éducation, la présence des femmes au Parlement, etc.), et le Tableau de Bord de la Promotion des Femmes (TBPFA) qui mesure les progrès en matière d’avancement et d’autonomie des femmes en Afrique, c’est-à-dire la mise en œuvre des politiques pour l’amélioration de la condition de la femme. Si l’IDISA permet un certain suivi qualitatif des politiques mises en œuvre, il est conçu dans une logique comparative (liste d’indicateurs) et l’indice se base principalement sur des données individuelles.

L’approche quantitative est un des aspects du processus de transformation, mais la notion d’empowerment va plus loin : elle remet en cause les fondements même de

l’activité humaine à l’intérieur des politiques de développement (Kabeer, 2001). Aussi, vouloir définir des indicateurs permettant de mesurer l’empowerment des

femmes nécessite d’une part de s’interroger sur l’évolution de l’autonomisation des femmes en tant qu’individus, mais également par rapport aux changements de rapport de genre au sein des sociétés données. Dans un ouvrage précédent (Charlier, 2006), nous avons mis en évidence qu’ « en Amérique latine, l’utilisation du terme d’empowerment (empoderamiento) ne fait pas seulement l’objet d’une discussion théorique

la base. L’empoderamiento sous-entend que le sujet se transforme en agent actif, acteur

et moteur de changement qui varie en fonction de situations concrètes. La prise d’empoderamiento des femmes repose sur l’idée de provoquer des changements aussi

bien au niveau politique que social et culturel, en particulier dans les imaginaires sociaux sur les relations de la femme au pouvoir » (ibid.). Il s’agit dès lors de mesurer

le processus par lequel des individus et/ou des communautés acquièrent la capacité, les conditions de prendre un tel pouvoir et d’être acteurs dans la transformation de leur vie, de leur environnement et de la société en général. C’est une démarche qui prend en compte les réalités spécifiques ainsi que l’évolution des changements en terme individuel, mais également au niveau collectif de la société considérée. Nous pouvons ainsi conclure que, si l’objectif d’un indicateur est de suivre un processus d’acquisition de pouvoir, d’empowerment des femmes qui se développe à

travers différentes actions et mouvements sociaux, il est impossible de se baser sur une liste prédéfinie d’indicateurs. Cette approche demande l’élaboration d’indicateurs en fonction des réalités et des acteurs locaux. Nous pourrons avoir de cette manière des indicateurs de type qualitatif tel que « les femmes osent prendre la parole en public ». Comme le dit N. Kabeer « Les indicateurs d’empowerment doivent simplement

indiquer le sens du changement plutôt que d’en fournir une mesure précise. […] des mesures isolées, retirées de leur contexte, se prêtent à une variété d’interprétations différentes. […] il n’existe pas de modèle de changement linéaire unique grâce auquel une "raison" au manque d’influence des femmes peut-être identifiée et modifiée pour créer l’"effet" désiré » (Kabeer, 2001). C’est sur base de ces mesures que nous

pourrons ensuite interpréter et suivre l’évolution des rapports de genre au sein d’une société donnée pour la comparer à d’autres contextes. Même si un indicateur doit s’appuyer sur des informations validées sur le plan scientifique ou sur le plan de l’analyse. Il constitue néanmoins toujours une interprétation empirique de la réalité. De plus, le suivi des indicateurs n’a d’intérêt que s’il permet un examen des résultats et aboutit à des réorientations des politiques ou de l’action sociale.

3. Une construction différente d’indicateurs

Outline

Documents relatifs