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Les contours de la migration étrangère féminine en Belgique

LeS reCherCheS Genre et

2. Les contours de la migration étrangère féminine en Belgique

Certaines chercheuses ont joué un rôle pionnier dans l’étude de la migration féminine dans la Belgique francophone. Anne Morelli (1992 ; 1993 ; 2001) a apporté une dimension historique indispensable dans l’analyse des trajectoires et dynamiques migratoires (1992 ; 2000 ; 2001). Pour sa part, Nouria Ouali (1998 ; 2001 ; 2003b,…) a travaillé sur différents aspects liés au marché de travail, aux droits des immigrées, aux liens entre politique éducative et migration, aux images des femmes immigrantes dans les media ; une attention particulière de ces recherches est portée à la migration marocaine en Belgique. Nous voudrions nous référer à l’un de ses travaux récents, où elle présente l’état des savoirs sur les femmes immigrées sur le marché du travail belge (Ouali, 2006). Comme dans d’autres pays européens, Ouali constate l’absence des migrantes dans les travaux de sociologie de l’immigration. L’invisibilité des femmes dans les travaux scientifiques renvoie, nous dit cette chercheuse, à la double inégalité des rapports sociaux de sexe et ethnique. Mais attention, la nécessité de visibiliser la présence des femmes dans les processus migratoires ne doit pas nous empêcher d’affirmer la pertinence d’une perspective en termes de genre « dont la vertu est de reconnaître le caractère sexué du monde social et de briser le mythe d’une recherche scientifique "universelle" sur les migrations »; cette perspective d’analyse permet aussi « la déconstruction des multiples processus de domination pesant sur les immigrées et l’articulation, dans les travaux scientifiques, des trois dimensions de leur oppression : le genre, la race et la classe » (Ouali, 2006, p. 284).

Ilke Adam (2006), chercheuse du GERME, sur la base d’une recherche collective sur les sans papiers en Belgique62, révèle que les femmes en situation irrégulière,

interviewées dans le cadre de cette étude, présentent des profils sociologiques assez diversifiés, tant au niveau de leur état civil, qu'au niveau des enfants, études et expériences professionnelles. Malgré les différences, elles sont toutes en séjour 62 Réalisée par deux équipes universitaires (GERME-ULB et CEDEM-ULG) et l’Association Steunpunt Mensen zonder Papieren. Dans le cadre de cette recherche, 130 personnes sans papiers ont été interviewées. Les entretiens ont été réalisés dans 8 villes de Belgique : Liège, Bruxelles, Anvers, Charleroi, Gand, Verviers, Turnhout et St. Niklaas. La recherche a été pu- bliée dans l’ouvrage « Histoires sans-papiers » (Adam et al. 2002).

illégal, partageant une situation précaire. Leur situation d’illégalité conditionne de manière très contraignante leur accès aux ressources de subsistance, vu leur exclusion du marché de l’emploi et des aides sociales. Dans ce contexte, le travail illégal, au noir, constitue pour les personnes en situation illégale la seule façon d’accéder à des revenus, mais, nous dit Adam, il fournit aussi aux migrant(e)s « sa routine quotidienne, ses obligations, son rôle socialisateur et créateur de dignité, qui permet aux immigrés privés d’identité juridique d’exister et donner aux autres des apparences d’une existence normale » (ibid., p.57). La majorité des femmes rencontrées dans le cadre

de cette recherche travaillent dans les services aux particuliers (travaux domestiques, la garde des enfants, des malades ou des personnes âgées) ; un petit groupe survit en rendant des services (payants) à leur propre communauté (vente de plats originaires du pays, coiffure, aide dans des commerces ethniques). Longues journées de travail, rémunérations inférieures au minimum légal, conditions de travail précaires sont fréquentes…

Une autre étude réalisée par deux équipes universitaires63 sur la discrimination des

étrangers et des personnes d’origine étrangère sur le marché du travail de la Région de Bruxelles-Capitale (ULB et KUL, 2005) confirme que dans tous les cas analysés, les effets de genre se manifestent sur les trajectoires d’insertion (p. 49). La difficulté de combiner responsabilités familiales et insertion au marché de travail est présente dans l’ensemble des femmes interviewées. On observe également que les femmes se concentrent dans des secteurs spécifiques : la santé, les services domestiques, l’associatif, la banque…, activités typiquement « féminines ». Pour leur part, les hommes sont davantage présents dans la sécurité privée, l’industrie, les assurances et les télécommunications, confirmant la segmentation horizontale sur le marché de travail des femmes.

Nadia Ben (2000 ; 2004 ; 2006), a étudié la discrimination sur le marché du travail subie par les femmes musulmanes voilées d’origine marocaine, sur base d’une approche empirique et qualitative64. Les résultats de ces études montrent qu’une formation

plus importante n’empêche pas l’exclusion des femmes voilées dans la société belge. Cette chercheuse a également travaillé sur la situation des femmes d’origine turque et africaine à Bruxelles.

63 Département de sociologie de la Katholieke Universiteit Leuven et le Centre de Sociologie du Travail, de l’Emploi et de la Formation de l’ULB.

64 Cf. entre autres Multiculturalisme et modes de citoyenneté en Belgique, projet financé par la Région de Bruxelles capitale, voir rapport final (Ben et Rea, 2000).

Le travail domestique, où la présence féminine est majoritaire, a fait l’objet de différentes analyses ; il faut citer entre autres, l’étude exploratoire réalisée par la Fondation Roi Baudouin en 2003 sur le personnel domestique international. Amandine Bach analyse dans sa thèse doctorale, le travail domestique en Belgique des migrant(e)s colombien(ne)s et philippin(e)s.

Certaines nationalités ont été l’objet d'un nombre plus important d’études. C'est le cas du Maroc où les flux migratoires ont plus de quarante ans. L’ouvrage coordonné par N. Ouali (2004a), Trajectoires et dynamiques migratoires de l’immigration marocaine de Belgique,

rend compte combien « le visage de cette migration s’est profondément transformé. Caractérisée au départ par l’installation provisoire pour raisons professionnelles de jeunes hommes célibataires en pleine force de l’âge, cette immigration a évolué vers une installation définitive et familiale. Les épouses ont contribué à l’accroissement démographique du pays par la naissance de nombreux enfants, et les descendants ont tenté, peu ou prou, de prendre une place dans la société d’accueil » (Ouali, 2004a). Concernant les femmes marocaines, des aspects familiaux, religieux, culturels, juridiques, l’insertion au marché du travail ont été étudiés par différentes disciplines. A titre d’exemple, citons deux ouvrages : Femmes marocaines et conflits familiaux en immigration : quelles solutions juridiques appropriées ? écrit par J-Y Carlier et Marie-Claire

Folbles et Féminité, islamité. Récits des femmes issues de l’immigration marocaine à Bruxelles

de Fabienne Brion (2001). Dans un article paru dans un ouvrage récent (Khader et al., 2006), F. Brion, interroge la démocratie à partir de l’islam, et propose plus « spécifiquement de l’interroger à partir du foulard islamique ».

L’insertion des femmes turques (Bayar, 1992), latino-américaines (Van Broeck, 1995) et congolaises au marché de travail a également été l’objet de différentes études. Nadia Ben (2006) a entrepris l’étude de la manière dont les femmes issues des immigrations marocaine, turque et congolaise, participent à l’espace associatif et politique belge. Les femmes immigrées se situent à l’intersection d’un réseau complexe de relations raciales ou ethniques, de genre et de classes. A partir d’une approche féministe définie pour l’auteure comme multiculturelle, elle arrive à plusieurs constatations : il s’agit de profils féminins extrêmement différents (liés aux différents types de migration, âge, évolution générationnelle, niveau d’instruction etc.) ; l’espace familial apparaît comme un lieu privilégié et premier de socialisation et d’impulsion à l’implication dans l’espace public ; l’inscription dans des rapports sociaux familiaux est fondée sur des statuts et rôles différents en fonction du genre ; la participation des femmes d’origine étrangère à la gestion des affaires de la cité débute souvent dans l’espace associatif ; le bilan de la participation des femmes d’origine étrangère dans l’espace public est plutôt mitigé, pour deux raisons : elles ont une capacité d’influence limitée et sont peu nombreuses à accéder au statut d’élues.

Malgré cela, la promotion des quelques femmes d’origine étrangère « contribue à la formation de trajectoires exemplaires et forge de nouveaux modèles pour d’autres femmes d’origine étrangère » (Ben, 2006, p.158).

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