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qui n’est pas toujours décelé

Pour l’ensemble des raisons que nous venons d’évoquer, la santé et la sécurité au travail apparaissent comme des enjeux stratégiques pour l’entreprise et la fonction RH.

Dans une approche globale et à long terme de la performance économique, les mécanismes qui permettent le développement économique des entreprises se confondent quasiment avec les mécanismes qui permettent de construire la santé et la sécurité des salariés dans une approche développementale.

Pour les professionnels RH, les enjeux de SST sont susceptibles d’affecter de nombreuses missions (juridique, social, formation, RSE, GPEC, etc.) et viennent potentiellement renforcer la portée stratégique de leur fonction.

Si ce caractère stratégique apparaît comme une évidence chez nombre de praticiens et de chercheurs en ergonomie et en GRH, l’implantation d’une culture de santé et de sécurité dans les entreprises ne coule pas de source et dépend souvent de la présence d’un « dirigeant convaincu » (Gravel, Lortie, Henriette et Dubé, 2013, p. 1).

La santé et la sécurité au travail ne sont pas toujours perçues comme des enjeux stratégiques par les professionnels RH et les autres acteurs clés de l’entreprise. Elles sont souvent considérées comme des centres de dépenses et non comme sources de bénéfices (ibid., p. 8-9).

Dans l’entreprise, l’ensemble les parties prenantes, dont la rationalité est limitée individuellement (Simon, 1983 [1947]) et collectivement (C. Morel, 2003), ne

1 C’est-à-dire une « représentation fidèle de ce que l'entreprise offre à ses employés » (Backhaus et

Tikoo, 2004, p. 502).

2 Ambler et Barrow (1996, p. 187) définisse la marque employeur comme un « ensemble d'avantages

fonctionnels, économiques et psychologiques procuré par l'emploi, et identifié à la société qui emploie ».

91 perçoivent pas toujours leur intérêt d’investir et de s’investir dans des démarches de prévention. Ils n’identifient pas toujours la préservation de SST comme un déterminant stratégique de la production, de la santé économique de l’entreprise ou de la gestion des emplois et compétences.

Ce phénomène est renforcé par le manque de visibilité des « coûts de la “non santé et sécurité” », les gestionnaires « ont l’impression de ne pas les payer » (Abord de Châtillon et Bachelard, 2005, p. 2). Ceci s’explique notamment par le fait que les coûts soient « cachés » (Savall et Zardet, 2015) ce qui les rend, par définition, difficilement identifiables. Une autre explication réside dans le manque d’incitation économique du système assurantiel français autour des accidents de travail et des maladies professionnelles (Abord de Châtillon et Bachelard, 2005 ; Askenazy, 2004 ; Bruno et al., 2012 ; Douillet et al., 2006).

Par ailleurs, longtemps, le risque d’altération de la santé a été essentiellement perçu comme un motif de réparation, bien moins comme un mobile de prévention. En ce sens, Askenazy (2004, p. 80) souligne que :

les questions de santé et de sécurité sont souvent considérées, notamment par des syndicalistes peu sensibilisés, comme des leviers pour des concessions salariales : plutôt que supprimer une contrainte ou un danger, on réclame une prime de pénibilité ou de risque.

Les professionnels RH qui gèrent les questions de santé au travail peuvent donc éprouver des difficultés pour être entendus et trouver un support chez les acteurs clés de l’entreprise

Les ergonomes et les professionnels RH doivent donc concentrer leurs efforts pour mettre en exergue l’essence stratégique des questions de SST. Pour agir efficacement en prévention, il faut rendre les parties prenantes – y compris les acteurs RH – capables de percevoir ce caractère stratégique. Ce processus passe notamment par une adaptation des indicateurs de gestion (Savall et Zardet, 2015) et par la formation des acteurs de l’entreprise et des intervenants (Garrigou et Peissel-Cottenaz, 2004 ; Gaudart et al., 2012 ; Merin, Charbonneau, Carballeda et Garrigou, 2011 ; Montreuil et Bellemare, 2001 ; Poley, 2015).

Cet enjeu est central pour les professionnels RH au delà même de leur mission de prévention, car mettre en lumière le caractère stratégique des questions de SST, c’est rendre la GRH plus stratégique.

Ergonomes et professionnels RH, ressources réciproques

92

Ergonomes et professionnels RH,

3.3.

ressources réciproques

Le rapprochement entre l’ergonomie et la GRH - n’est pas nouveau. Au plus tard dans l’édition de 19971 de Comprendre le travail pour le transformer, Guérin et

al. écrivaient :

Le divorce taylorien entre les fonctions d’organisation et de direction du personnel conduit à des impasses de plus en plus coûteuses pour les salariés comme pour la production. Le maillon unificateur manque. D’où l’émergence, certes timide et peu audacieuse encore, d’une fonction gestion des ressources humaines appelée elle-même à reconnaître de facto le point de vue de l’activité effective de travail. (1997, p. 56 ; 2007 [1991], p. 59)2

Certains ergonomes, à la tête desquels Hubault (2005, 2006), et certains gestionnaires (Bonnet et al., 2006 ; Geuser (de), 2007 ; Trépo et Geuser (de), 2005) ont œuvré à un rapprochement des concepts et du regard sur le travail entre les deux disciplines. Ils ont compris la nécessité « de créer une interface entre les approches de GRH, d’ergonomie et de contrôle de gestion » (Bonnet et al., 2006, p. 10)3.

Les ergonomes, acteurs ressources pour les professionnels RH

Dans sa définition la plus simple, l’objectif de l’ergonomie est de tenir ensemble les enjeux de SST et les enjeux de performance (Falzon, 2015 [1996]). Or, comme nous l’avons développé dans ce chapitre, pour les professionnels RH, la SST est devenue un enjeu de performance.

Les ergonomes représentent donc une ressource pour les professionnels RH de par l’objet même de leur travail. Un objet autour duquel les ergonomes ont construit des connaissances et des savoir-faire (Daniellou, 1999 [1992] ; Falzon, 2004).

Historiquement, les ergonomes et leurs précurseurs se sont préoccupés de préserver la santé physique puis mentale des travailleurs (Bouisset, 2013 ; Laville, 2004 ; Monod, 2013 ; Monod et Valentin, 1979)4 et cherchent depuis plusieurs années à articuler la

SST avec des enjeux généralement admis dans les champs de compétences des professionnels RH.

Plusieurs ergonomes ont par exemple mis en lumière l’importance de certains processus de formation dans le développement de la santé, de la performance, de la transmission des savoir-faire et de la fidélisation des travailleurs (notamment Chassaing, 2008 ; Cloutier et al., 2012 ; Delgoulet et Vidal-Gomel, 2013 ; Gaudart,

1 Nous n’avons pas eu l’occasion de consulter une version plus ancienne.

2 Nous avons également précisé la pagination pour la version plus récente que nous consultée.

3 Les palmes du rapprochement reviennent néanmoins à Thévenet et al. (2012, pp. 43‑44), qui fait de

l’ergonomie une discipline de base de la GRH, et à Peretti (2013, p. 239), qui cite « l’ergonome » dans la liste des métiers RH !

93 Delgoulet et Chassaing, 2008). De façon plus générale, les travaux conduits dans une approche développementale de l’ergonomie sont susceptibles d’alimenter les réflexions des praticiens RH sur les questions de GPEC1 et développement des ressources

humaines dont ils ont la charge (voir chapitre 1).

D’autres ergonomes (notamment Gautronneau et Libgot, 2010 ; Quériaud, 2014) ont contribué au développement des savoirs et savoir-faire dans la gestion du maintien en emploi de personnes en situation de handicap. Ces problématiques représentent également un enjeu central pour les professionnels RH en matière de gestion des emplois et compétence, de gestion de la masse salariale et de respect du Code du travail2.

Ailleurs, Poley (2015) a accompagné le développement des compétences en matière d’analyse du travail de représentants du personnel au sein de CHSCT. Gaudart et al. (2012) ont montré qu’il était possible de contribuer à l’amélioration des conditions de travail grâce à la formation des acteurs syndicaux aux méthodes d’analyse ergonomique du travail ; formation qui a notamment permis à certains des représentants syndicaux de construire de nouvelles formes de coopération avec le comité de direction d’un hôpital (ibid., pp. 171-172). Autrement dit, les ergonomes sont aussi susceptibles d’accompagner la transformation des relations sociales autour des questions du travail.

Auprès des professionnels RH, le rôle de l’ergonome peut donc se situer, d’une part, dans un partage de son expertise en matière de SST et d’analyse du travail. Il peut se situer, d’autre part, dans une contribution à la mise en confrontation des connaissances, des pratiques et des logiques (Caroly et Clot, 2004 ; Daniellou, 1996, 1998a ; Garrigou, 1992), à la transformation des situations d’interface, notamment par l’élaboration « d’objets intermédiaires » ou « médiateurs » (Jeantet, 1998 ; Vinck, 2009 ; Vinck et Jeantet, 1995) et la construction d’espaces de débat sur le travail (Judon, 2017 ; Rocha, 2014 ; Van Belleghem et Forcioli Conti, 2015).

Les professionnels RH, acteurs ressources pour les ergonomes

Les professionnels RH ont progressivement construit un positionnement et se sont approprié des missions qui sont susceptibles d’intéresser les ergonomes.

1 Gestion prévisionnelles des emplois et compétence

2 Depuis la loi 87-517 du 10 juillet 1987, les entreprises de plus de 20 salariés ont l’obligation

d’embaucher des travailleurs en situation de handicap à hauteur de 6 % de leurs effectifs (Article L5212 du Code du travail). Si cet objectif n’est pas atteint, les entreprises doivent verser une contribution à l’AGEFIPH (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des handicapés), pouvant dépasser 5 000 € par an pour chaque bénéficiaire manquant. En signant un accord paritaire fixant des objectifs et méthodes en matière d’insertion de salariés RQTH, l’employeur a néanmoins la possibilité de conserver tout ou partie de ces contributions à l’AGEFIPH, à condition d’investir dans des adaptations ou formations favorisant l’insertion des travailleurs en situation de handicap.

L’industrie chimique : spécificités des enjeux de SST et de GRH

94

Définis comme « marginaux sécants » (Barès et Cornolti, 2006 ; Daniellou, 2010), les professionnels RH sont souvent à l’interface entre les salariés, les organisations syndicales, les représentants du personnel, la direction, les chefs de service, le service HSE et la médecine du travail ; en particulier lorsqu’ils participent aux instances représentatives du personnel. Dès lors, ils peuvent devenir des interlocuteurs déterminants dans l’intervention ergonomique.

De plus, comme nous venons de le souligner dans ce chapitre, les professionnels RH sont de plus en plus mobilisés sur des questions de SST, qui intéressent directement les ergonomes. Les professionnels RH représentent donc un pont de plus en plus incontournable pour des ergonomes qui souhaitent agir efficacement en prévention.

L’industrie chimique :

3.4.

spécificités des enjeux de SST et de GRH

Nous avons réalisé notre travail de recherche dans un groupe de l’industrie chimique (voir chapitre 1). Ce type d’industrie est caractérisé par certaines spécificités dans la gestion des questions de santé et sécurité au travail qui sont susceptibles d’impacter le travail des professionnels RH et qui permettent d’identifier de possibles leviers en matière de prévention.

3.4.1. La sécurité, un enjeu doublement capital

Pour les entreprises de l’industrie chimique, la sécurité est un enjeu capital à double titre.

D’une part, comme les catastrophes d’AZF, de Bhopal ou plus récemment de Tianjin1

nous l’ont malheureusement rappelé, la fabrication de certains produits chimiques peut représenter des risques majeurs pour les travailleurs, les populations avoisinantes, l’environnement et les installations. Une préoccupation forte des entreprises de la chimie concerne donc ce que Daniellou, Simard et Boissières (2010, p. 2) appellent la « sécurité industrielle », c’est-à-dire la « prévention des accidents liés à l’exploitation du process de l’entreprise ».

1 Daniellou, Simard et Boissières (2010, p. 18) indiquent que l’accident de Bhopal, en Inde, en 1984 a

causé plus de 16 000 morts et que celui d’AZF à Toulouse, en 2001, a causé 30 morts et 2 500 blessés. Le bilan officiel de l’accident de Taijin, en Chine, en 2015, fait état de 173 morts.

Autrement dit, de la collaboration entre professionnels RH et ergonomes peut résulter un empowerment mutuel. L’intervention ergonomique auprès des professionnels RH peut être l’opportunité de développer les zones d’influence des ergonomes et des professionnels RH.

95 En Europe, les entreprises dont la production représente un risque important pour la population et l’environnement doivent être classées « Seveso »1. Ce classement est

cadré par la directive 2012/18/UE du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne, dite « Seveso III », transposée en droit français dans le code de l’environnement. Le classement, qui peut être « seuil haut » ou « seuil bas », est défini en fonction des quantités de produits à risque présents sur le site2. Pour les

établissements concernés, ce classement implique un certain nombre d’obligations, touchant notamment le système de gestion de la sécurité.

D’autre part, la toxicité à court terme et à long terme de certains produits manipulés ou potentiellement présents dans l’atmosphère, les conduites et réacteurs sous pression, les installations en hauteur, la mécanisation et l’automatisation de certains processus peuvent être des sources de danger. Ceci amène les entreprises de l’industrie chimique à porter une attention particulière au maintien de ce que Daniellou et al. (ibid.) appellent la « sécurité du travail », c’est-à-dire la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

La plupart des grandes entreprises de l’industrie chimique possèdent des services spécifiques, chargés de préserver et de développer la sécurité du travail et la sécurité industrielle. Ces services sont le plus souvent appelés « hygiène, sécurité, environnement » ou « HSE ».

Autrement dit, si la gestion des questions de santé et sécurité au travail est bien un enjeu majeur dans l’industrie chimique, les professionnels RH ne sont pas les seuls acteurs en charge de cette gestion.