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Les réflexions des ergonomes sur la conception des systèmes de travail et l’organisation du travail sont également une réponse aux nouveaux regards qu’ont pu apporter Clot (2000, 2015 [2010]) et Falzon (1994, 2013b) sur l’activité.

Activité empêchée et travail bien fait

Comme nous l’avons entraperçu dans la partie précédente, Clot a amené l’idée que la possibilité ou l’impossibilité pour l’opérateur de bien faire son travail était un déterminant majeur de la construction de sa santé. Pour l’ergonome, l’analyse du travail ne doit alors plus se concentrer sur « l’activité réalisée » mais plutôt sur « l’activité réelle » (Clot, 2000, p. 119) qui tient aussi compte de l’activité qui n’a pas pu se réaliser. Ainsi, pour Clot, « les activités suspendues, contrariées ou empêchées, voire les contre-activités, doivent être admises dans l’analyse » (ibid., p. 120).

Aussi, pour l’ergonome les « effets sur le système », le résultat productif du travail, ne sont plus seulement des effets sur le système, ils sont également un effet sur l’opérateur (voir figure 9, p. 27).

Activité fonctionnelle et activité métafonctionnelle

Falzon (1994), quant à lui, a introduit la notion « d’activité métafonctionnelle » qu’il distingue de « l’activité fonctionnelle ».

125 Il appelle « activités fonctionnelles » les « activités directement orientées vers la production immédiate ou préparatoires à celle-ci » (ibid., p. 2). Elles sont souvent le principal objet de l’analyse ergonomique du travail.

Il appelle « activités métafonctionnelles », les « activités non directement orientées vers la production immédiate », ce sont des « activités de construction de connaissances ou d'outils (outils matériels ou outils cognitifs), destinés à une utilisation ultérieure éventuelle, et visant à faciliter l'exécution de la tâche ou à améliorer la performance » (ibid., texte mis en italique par l’auteur). Falzon, Sauvagnac, Mhamdi et Darses (1997, p. 573) précisent que « le caractère “méta” de cette activité particulière est précisément lié à cette mise à distance du travail ». Avec certes des nuances, nous avons retrouvé cette distinction de deux niveaux d’activité chez d’autres auteurs. Béguin et Clot (2004) suggèrent par exemple qu’une « partie de l’action consiste à atteindre le but, alors qu’une autre partie organise l’environnement pour l’adapter à l’action ». On retrouve également cette dichotomie chez Rabardel (2005, p. 20), qui distingue « l’activité productive où se réalisent les capacités de pouvoir à travers l’usage effectif des ressources » et « l’activité constructive par laquelle s’élaborent les capacités de faire et d’agir du sujet ».

L’approche « développementale/constructive » de l’ergonomie (Falzon, 2013a) a donné une portée nouvelle à cette « activité métafonctionnelle ». En effet, dans une ergonomie qui vise le développement des compétences et la construction d’organisations « capacitantes », l’activité métafonctionnelle joue un rôle clé dans le développement des ressources internes et externes de l’opérateur (voir figure 9 ci- dessous). Ainsi pour Falzon (2013b, p. 9) : « l’objectif est de favoriser le plus possible l’activité métafonctionnelle, le développement des compétences, celui-ci étant posé comme une nécessité pour les individus comme pour les organisations ».

Autrement dit, la transformation des organisations est aussi un moyen d’agir sur le développement des ressources individuelles des travailleurs.

Comme nous l’avons vu, cette nécessité de développer les compétences est également un point de croisement entre les intérêts des ergonomes et ceux des professionnels RH. Et nous pouvons constater à quel point les considérations des ergonomes sur les questions organisationnelles et le développement humain font écho aux idées de McGregor (1980 [1957])1.

1 Voir encadré 2, p. 47.

Agir sur les « déterminants des déterminants »

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Figure 9 – Activité fonctionnelle et activité métafonctionnelle (adapté de Falzon, 2013b, p. 8)1

Activité métafonctionnelle collective

Dans sa première définition, Falzon (1994) fait de l’activité métafonctionnelle une activité essentiellement individuelle et spontanée, que l’organisation tente souvent de contrarier. Mais Falzon et al. (1997) ont prolongé ses travaux en s’intéressant aux activités métafonctionnelles collectives, c’est-à-dire qui font intervenir « un collectif d’opérateurs ». Ils ont montré qu’elles pouvaient être encouragées, structurées par l’encadrement et faire l’objet de prescriptions, en particulier dans le cadre de réunions. Ils ont également montré que le réel de ces

1 Nous avons complété le schéma de Falzon (2013b, p. 8), en précisant que l’activité fonctionnelle

n’était pas uniquement l’activité réalisée, mais également l’activité empêchée (Clot, 2000), l’idée que les effets sur le système ont aussi un effet sur l’opérateur étant déjà symbolisée dans son schéma. Et comme pour le modèle « classique » (voir supra), nous avons redirigé les boucles de régulation en un seul point de réévaluation et re-couplage.

127 activités métafonctionnelles déborde leur prescrit – à l’image de l’activité fonctionnelle.

Pour Falzon et al. (1997, pp. 577‑579), de cette activité métafonctionnelle résultent principalement trois choses :

- un développement des compétences par le partage des savoirs et l’enseignement mutuel ;

- la reconception des outils du travail (outillages, procédures, règles, etc.) ; - une plus grande accessibilité des logiques d’action et de conception pour les

acteurs, et une mise en confrontation de ces logiques.

Nous percevons donc également dans cette approche le rôle déterminant que peuvent jouer les espaces de discussion et de débat sur le travail pour réaliser une activité métafonctionnelle collective.

Articulation des modèles ergonomiques

4.3.

présentés

Notre travail s’inscrit clairement dans la lignée des travaux en ergonomie que nous venons d’évoquer. Néanmoins, il nous semble que l’analyse du travail des encadrants en général et des professionnels RH nécessite une mise en articulation de ces modèles.

4.3.1. Activité métafonctionnelle et travail

d’encadrement : des connexions possibles

De par leur fonction, les encadrants tiennent en effet un rôle déterminant dans l’activité des opérateurs : ils peuvent définir des règles, choisir des formations, répartir les tâches, exercer un contrôle, choisir des outils, voire choisir l’opérateur (lors du recrutement, des promotions et réorganisations). Et, comme l’a montré Carballeda (1997a), les encadrants tiennent un rôle central dans les processus de

régulation – entendu comme un processus de transformation des règles –, et leur

travail est lui-même régulé par leur propre hiérarchie.

Toutefois, Carballeda ne distingue pas les différents niveaux d’activité proposés par Falzon (1994) – activités fonctionnelles et métafonctionnelles – chez les opérateurs et les encadrants. Pourtant, le concept d’activité métafonctionnelle a ceci de séduisant qu’il permet d’identifier un deuxième niveau d’activité dont le principal objet est précisément la transformation de son propre travail. Par ailleurs, il ouvre la possibilité d’avoir un modèle de l’activité qui intègre une forme de régulation froide, qui va permettre d’agir sur les déterminants de l’activité fonctionnelle.

Autrement dit, en considérant simultanément les modèles de Carballeda et Falzon, on peut envisager les régulations opérées sur les déterminants de l’activité fonctionnelle

Articulation des modèles ergonomiques présentés

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de l’opérateur comme à la fois le fruit de l’activité fonctionnelle de l’encadrant et de l’activité métafonctionnelle de l’opérateur.

Figure 10 – Les déterminants de l'activité fonctionnelle de l’opérateur, résultats de son activité métafonctionnelle de l’activité fonctionnelle de l’encadrant

Par ailleurs, Falzon et ses collaborateurs (Falzon, 2015 [1996], p. 213 ; Falzon et al., 1997) précisent bien que les activités métafonctionnelles peuvent être « individuelles ou collectives », et ils soulignent bien la nécessité que l’organisation favorise, voire assiste cette activité métafonctionnelle, par exemple par « l’octroi de temps » (2015 [1996], pp. 212‑213), ou par la prescription et par la structuration d’espaces dédiées (Falzon et al., 1997). Pour nous, à travers leur activité – fonctionnelle – d’organisation et de régulation, les encadrants ont donc un rôle clé à jouer dans la réalisation de cette activité métafonctionnelle des opérateurs, notamment en définissant des espaces d’échange et par l’octroi de temps dédiés à cette activité. On perçoit ainsi une autre connexion possible entre les modèles de Carballeda (1997a) et de Falzon (1994, 2013b).

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Figure 11 – L'encadrant agit sur les déterminants de l'activité métafonctionnelle de l'opérateur

De plus, si Falzon (2015 [1996], p. 213) indique que l’activité métafonctionnelle peut notamment prendre place « lors des phases de moindre charge » – c’est-à-dire lorsque l’activité fonctionnelle le permet –, il développe peu la question des conditions, dépendantes de l’activité fonctionnelle, nécessaires à la réalisation de l’activité métafonctionnelle. Pourtant, en particulier dans le cas des professionnels RH, il nous semble que cette question mérite d’être posée. En effet, la multiplicité des tâches et la possible balkanisation de l’activité fonctionnelle de certains professionnels des ressources humaines peuvent limiter les développements de leur propre activité métafonctionnelle. Il y a un risque que l’éclatement et la multiplicité des missions réduisent les « phases de moindre charge » et augmentent les phases de débordements. Autrement dit, pour paraphraser Daniellou (1998c, pp. 35‑38), nous pensons nécessaire de nous demander dans quelle mesure le « pouvoir penser » est aussi conditionné par le « pouvoir de ne pas agir » (de temps en temps) dans le cadre de son activité fonctionnelle.

Articulation des modèles ergonomiques présentés

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Figure 12 – L'activité fonctionnelle alimente et conditionne l'activité métafonctionnelle

4.3.2. Activité collective, activité métafonctionnelle,