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de l’industrie chimique et de l’Entreprise A

Le groupe est né en 2006 par spin-off 1 d’un autre groupe industriel et pétrolier

désireux de se séparer de sa branche chimie. Le groupe est une entreprise jeune mais avec un long passé et des usines préexistantes (Aftalion, 2007 [2001], notamment pp. 6-8 ; Michel, s.d.).

Dans le document de référence 2015, l’Entreprise A présente un chiffre d’affaires de 7,7 milliards d’euros qui, à périmètre constant, est resté stable durant notre intervention. Toujours selon ce document, au niveau mondial, en 2015, le groupe comptait 136 sites de productions et 13 centres de recherche et développement, où travaillent environ 19 000 salariés répartis dans 50 pays.

L’histoire de l’Entreprise A s’inscrit pleinement dans celle de l’industrie chimique occidentale et plus particulièrement française.

Cette histoire est caractérisée par une période faste de développement qui s’étend de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1970 (Chézeau, 2010, p. 300). S’en suit une crise, exacerbée le Premier Choc pétrolier (1973), mais qui, pour Aftalion (2007 [2001], p. 1), était déjà amorcée avant 1973, causée par une surcapacité des moyens de production. L’année 1973 sera en tout cas marquée par une brusque interruption de « l’expansion régulière » de l’industrie chimique (Marthey, 1978, p. 153). En France, l’industrie chimique est en plus handicapée par une implantation éparse de ses sites de production, que l’on voulait éloignés des champs de bataille des deux Guerres mondiales. La réponse des entreprises et des états face à cette crise n’arrivera véritablement qu’à partir des années 1980, avec pour conséquence des pertes colossales pour les entreprises françaises du secteur : 4 milliards de francs2 pour la seule année 1981 (Aftalion, 2007 [2001], p. 6).

De nombreuses restructurations, fusions et acquisitions ont eu lieu à partir des années 1980 (Aftalion, 2007 [2001], pp. 6‑12), qui se sont prolongées dans les années 1990 (Aftalion, 2007 [2001], p. 62 ; Chapman et Edmond, 2000, notamment pp. 755-758) et jusqu’à aujourd’hui (« Chimie : record pour les fusions-acquisitions », 2016).

En France, les restructurations ont été accompagnées par des nationalisations en 1982, avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir (Chabanas et Vergeau, 1996,

1 Le spin-off est un type de scission d’entreprise. L’actionnariat reste identique avant l’entrée en

bourse. Il y a une attribution automatique des titres de la nouvelle société aux actionnaires, par exemple lors de la distribution des dividendes. Il n’implique pas de paiement sous forme de liquidité ou d’augmentation de capital, ni de vente à un autre groupe. Autrement dit, si vous aviez 1 % des parts de l’entreprise mère, après le spin-off vous aurez toujours 1 % de l’entreprise mère et 1 % de l’entreprise issue du spin-off.

29 p. 2), allant jusqu’à 40 % de la production de la chimie de commodité1 et 70 % de la

production pétrochimique (Aftalion, 2007 [2001], p. 7). Ces nationalisations sont suivies par des privatisations en 1986 puis de nouveau à partir de 1993, avec notamment la privatisation d’Elf-Aquitaine en 1994 (Chabanas et Vergeau, 1996, p. 2). Elle sera suivie en 2000 d’une fusion avec TotalFina, qui donnera naissance à Atofina, association de la branche chimie des deux groupes et future Arkema.

Pour répondre à la situation de crise de l’industrie chimique, les entreprises occidentales se sont adonnées à un « jeu de Monopoly » (Aftalion, 2007 [2001], p. 2), en cherchant à réduire les surcapacités, en se désengageant de la chimie de commodité pour se recentrer sur la chimie de spécialité et en réduisant les effectifs de personnel. Comme le soulignent Chapman et Edmond (2000, p. 758), les fusions/acquisitions dans la chimie sont en effet souvent suivies par « l’abandon de sites perçus comme périphériques à l’entreprise ». En France, si les effectifs tendent à se stabiliser depuis 2009, l’emploi dans l’industrie chimique est passé de 233 000 personnes en 1989 à 140 000 personnes au premier semestre 2016 (INSEE, 2016). Bien qu’en Europe et en France la sortie de crise semble désormais consommée, avec des investissements stables voire en légère progression en France depuis le début des années 2000 (UIC, 2016, p. 41), c’est surtout en Asie que l’industrie chimique concentre son développement. En effet, entre 2000 et 2014, dans une industrie chimique mondiale en forte croissance – 5,6 % de croissance annuelle moyenne – (ibid., p. 17), les parts de production dans ce secteur sont passées de 29 % à 20 % en Europe2 et de 33 % à 58 % en Asie3 (UIC, 2013, p. 13, 2016, p. 18).

L’Entreprise A, de plus en plus tournée vers l’orient

L’industrie chimique se mondialise, les entreprises occidentales historiques du secteur regardent à l’est et l’Entreprise A ne fait pas exception. À la naissance du groupe, l’Europe et plus particulièrement la France étaient ses plus importantes zones d’activité. Mais ces dernières années, les parts de chiffre d’affaires de l’Amérique du Nord, de l’Asie et de l’Europe tendent vers un équilibre, défini comme un objectif par la direction du groupe.

Selon les documents de référence 2013 et 2015 de l’Entreprise A, les établissements français représentent une part des investissements corporels et incorporels4 courants

1 Schématiquement, la chimie de commodité est la chimie de base, avec des productions en masse et de

faibles marges, et la chimie de spécialité est celle des plus petites productions mais avec des marges plus importantes. Outre un risque réduit de surcapacité et une moins grande sensibilité aux variations économiques, la chimie de spécialité a l’avantage, comme le souligne Aftalion, de généralement nécessiter moins d’investissement en capital.

2 2,4 % pour la France seule en 2014. 3 34,4 % pour la Chine seule en 2014.

4 Investissements corporels : terrain, bâtiment, installations techniques, etc.

Présentation générale de l’entreprise

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du groupe (voir tableau 1), certes toujours proportionnellement importante, mais en diminution continue. Cet écart entre le chiffre d’affaires et les investissements réalisés en France s’explique notamment par l’existence d’usines vieillissantes dont il faut assurer le coûteux entretien ou qu’il faut reconvertir. Durant notre intervention, ces investissements courants en France représentaient en moyenne environ 200 millions d’euros par an.

Tableau 1 - Participation au chiffre d'affaire et part des investissements de la France dans le groupe

Pour nous, ce contexte historique et économique est une composante majeure de la mise en œuvre de notre démarche pour des raisons que nous exposerons dans le chapitre 6. Par ailleurs, dans le chapitre 3, nous aborderons les spécificités de l’industrie chimique en matière de SST et de gestion RH. Avant cela, nous allons consacrer un chapitre à la définition des notions entourant les « ressources humaines ».

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Chapitre 2

Les « ressources humaines » :

état des lieux et proposition de cadre

La formule « ressources humaines », souvent abrégée « RH », est aujourd’hui entrée dans le langage courant et intégrée dans un grand nombre d’expressions, généralement associées au monde de l’entreprise. Nombreux sont les textes traitant de la gestion des ressources humaines, de la fonction et des missions des ressources humaines, du directeur ou du responsable RH.

D’après Bournois et Brabet (1993, p. 19), c’est un économiste dénommé Springer qui a utilisé pour la première fois la formule « ressources humaines », en 1817. Elle désignait alors « en termes comptables le coût de l’utilisation des hommes ».

C’est pourtant la rupture avec cette vision, prégnante dans le taylorisme, de l’homme en tant que coût, qui va être fondatrice du courant des « ressources humaines ». Il naîtra dans les années 1950 et se développera véritablement dans les entreprises à partir des années 1970 (Igalens, 1999, pp. 21‑23).

Le leitmotiv de Peretti (Peretti, 2012a [1996], 2013), repris notamment par Fombonne (2001, p. 577) et Thévenet (1999, pp. 9‑10) traduit le sens aujourd’hui généralement donné par les auteurs de GRH aux « ressources humaines » :

Parler de ressources humaines, ce n'est pas considérer que les hommes sont des ressources, mais que les hommes ont des ressources. (Peretti, 2013, p. 1)

Pour clarifier notre propos, nous souhaitons ici faire un état des lieux de ce qu’est le monde des ressources humaines, d’une part pour préciser le sens que nous donnerons à la terminologie RH dans les chapitres suivants et d’autre part pour permettre de bien mesurer les enjeux, les objectifs, les contraintes, les contextes qui entourent les professionnels RH.

La gestion des ressources humaines :

2.1.

tentative de définition

Il existe presque autant de définitions de la gestion des ressources humaines (GRH) que d'auteurs traitant du sujet. Pour ne citer que quelques exemples :

- Armstrong (2006 [1977], p. 3), définit la GRH par :

une approche cohérente et stratégique de la gestion des atouts les plus précieux de l'organisation – les personnes y travaillant qui contribuent individuellement et collectivement pour accomplir ses objectifs.

- Pour Bournois, Livian et Thomas (1993, p. 224) – repris notamment par Abord de Châtillon, Desmarais et Meunier (2003, p. 8) – la GRH se définit comme une :

La gestion des ressources humaines : tentative de définition

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discipline des sciences sociales consistant à créer et à mobiliser des savoirs variés utiles aux acteurs et nécessaires pour appréhender, comprendre, négocier et tenter de résoudre les problèmes liés à la régulation du travail humain dans les organisations.

- Byars et Rue (2006, cités par Niles, 2013, pp. 3-4, n.t.), conçoivent la GRH comme :

un système d'activités et de stratégies qui se concentre sur la gestion des salariés à tous les niveaux de l'organisation afin d'accomplir des objectifs organisationnels.

- Tremblay et Rolland (2011, p. 29), considèrent la GRH comme :

l'ensemble des pratiques de gestion touchant la dimension humaine d'une organisation et pouvant contribuer à la stratégie d'ensemble de l'entreprise.

Pratique, science, art

À travers ces citations, on constate que la GRH est à la fois définie comme une science, une pratique, un système d’activités et de stratégies ou une approche stratégique de la gestion des travailleurs. Dans ses divergences à propos de son identité, la GRH rejoint d’ailleurs ici l’ergonomie qui a pu être définie comme une discipline scientifique1, une technologie (Leplat, 2015 [1980], Introduction, emp. 55),

une pratique (Guérin, Laville, Daniellou, Duraffourg et Kerguelen, 2007 [1991]) ou un art, entendu « comme celui de l’ingénieur ou du médecin » (Wisner, 1995 [1972], p. 99)2.

Parce que dans cette thèse nous nous intéressons particulièrement au travail des professionnels des ressources humaines, nous regarderons essentiellement la GRH comme un ensemble de pratiques ou comme un art, dans le sens de Wisner (ibid.), qui fait l’objet de réflexions chez ses « praticiens » (Schön, 1983). Nous nous intéresserons néanmoins aux modèles que la GRH a produits en tant que discipline scientifique.

Une gestion stratégique et contingente

Les définitions que nous avons citées associent presque toujours l’idée d’une gestion stratégique des individus (humains, salariés, employés) et de l’organisation avec l’idée d’un accomplissement des objectifs de l’organisation. S’il nous est difficile de nier le caractère fondamentalement humain et organisationnel de la GRH, utiliser pour la gestion le seul qualificatif de « stratégique » nous paraît incomplet, même lorsque l’on évoque la pratique des directeurs des ressources humaines. Comme le souligne Peretti (2013, p. 2), face à la multiplicité des défis de l’entreprise et la

1 Voir notamment la définition de l’ergonomie de l’International Ergonomics Association (IEA),

disponible sur le site : http://www.iea.cc/ ; voir aussi Falzon (2004, p. 19) pour une traduction.

33 spécificité des contextes, « une approche contingente de la GRH s’impose ». On retrouve la même idée chez Thévenet et al. (2012, p. 105).

Autrement dit, les pratiques de GRH ne sont pas uniquement guidées par des impératifs stratégiques, mais aussi par une part d’arbitrage et d’incertitude, dans un contexte complexe, mouvant, et qu’on ne peut saisir dans sa totalité.

Une GRH individualisée

Si elle peut finalement participer à l’accomplissement d’objectifs collectifs de l’organisation (Bichon, 2006), plusieurs auteurs en GRH insistent sur le développement de l’individualisation de la gestion (notamment Scouarnec, 2005, pp. 123‑125 ; Storey et Bacon, 1993). Elle constitue une frange de plus en plus fondamentale de la GRH, notamment à travers la gestion de carrière, la définition d’objectifs individuels, le développement personnel des salariés, l’adaptation du temps de travail, ou l’adaptation au handicap.

Gestion RH et développement RH

Dans des entreprises qui doivent en permanence s’adapter et innover dans leur course à la croissance, ou leur course à « la Reine rouge »1 (Picq, 2011, pp. 37‑39), la

gestion – stratégique – des ressources humaines implique un développement de ces ressources. Si la littérature anglo-saxonne distingue souvent la « gestion des ressources humaines » et le « développement des ressources humaines » (Haslinda, 2009), la littérature francophone inclut généralement le développement des ressources humaines dans la GRH (notamment Peretti, 2013, pp. 155 sqq.). À travers les diverses missions de la fonction RH (voir 2.4), la GRH cherche à favoriser le maintien et le développement des compétences, des connaissances, des savoir-faire, des savoir- y-faire2, des ressources physiques et mentales, au sein de l’organisation.

Une GRH partagée

Si les définitions que nous avons citées n’en font pas l’exclusion, elles n’évoquent pas la multiplicité des rôles de chaque acteur de l’entreprise. Pourtant, les praticiens de la GRH peuvent jouer différents rôles (Armstrong, 2006 [1977], pp. 56‑57) et être confrontés à une diversité de rôles chez leurs interlocuteurs. C’est ce que Poley (2015, p. 147) souligne dans son analyse du travail des membres du

1 Picq (2011, p. 38) fait référence au roman de Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir (1871). Dans le

livre, la Reine Rouge explique à Alice, qui s’étonne de ne pas réussir à avancer alors qu’elle court – car le paysage la suit – que « “dans ce pays, il faut courir le plus vite possible pour rester à sa place” ».

2 Nous reprenons ici l’expression de Massoni (communication personnelle), qui insiste sur l’idée qu’une

partie du savoir-faire est située et qu’il est nécessaire de penser leur transmission autour des situations réelles de travail.

La gestion des ressources humaines : tentative de définition

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CHSCT1, en distinguant ce qui se joue dans « les régions antérieures » – la scène –

et les « régions postérieures » – les coulisses – (Goffman, 1973, pp. 106 sqq.). Chaque acteur de l’entreprise peut à la fois être encadrant et subordonné, représentant syndical et salarié, collègue et adversaire lors de l’entraînement de rugby du mercredi : autant de situations où se jouent différents rôles – et différents postes ! – qui ne se « gèrent » pas de façon identique. Il nous semble donc utile de préciser dans notre définition que la gestion des individus s’inscrit dans cette multiplicité des rôles.

Notre définition de la GRH

La définition de la GRH que nous proposons ne fait donc pas de cette gestion l’attribut exclusif d’une fonction ou d’un métier.

Comme le soulignent notamment Kaufman (2014, pp. 197‑198) et Niles (2013, p. 4), la question de la gestion des Hommes par les Hommes au sein des entreprises a été posée – au plus tard – dès l’antiquité grecque, chinoise et égyptienne ; bien avant le XIXe ou le XXe siècle, durant lesquels les notions de « fonction Personnel2 » et de

« fonction ressources humaines » ont fait leur apparition (voir 2.3, pp. 37 sqq.). Certaines opérations, aujourd’hui réalisées par les responsables des ressources humaines, comme le recrutement ou la paie (voir 2.4, p. 47), existent en effet depuis plusieurs millénaires, avec parfois une réglementation aussi très ancienne, comme l’atteste par exemple le Code de Hammurabi3 datant du XVIIIe siècle av. J.-C. Dans

ce code, on trouve d’ailleurs ce qui s’apparente à un des premiers articles codifiant la compensation de la pénibilité du travail :

273. Si quiconque emploie un travailleur journalier, il devra le payer du début de l’année au cinquième mois (avril à août, quand les jours sont longs et le travail dur) six gerahs [unité de monnaie babylonienne] par jour ; du

1 Comité hygiène sécurité et conditions de travail.

2 Pour éviter toute ambiguïté, nous reprenons la formalisation de Fombonne (2001) qui utilise toujours

une majuscule à « personnel » pour désigner la fonction de gestion du personnel.

3 Le Code de Hammurabi, du nom d’un roi de Babylone, est connu grâce à une stèle datée du XVIIIe

siècle av. J.-C., aujourd’hui exposée au Musée du Louvre, sur laquelle sont inscrites des décisions juridiques codifiant de très nombreux aspects de la vie babylonienne et notamment les questions de salaires.

Pour notre cadre de recherche, nous définirons donc la GRH comme : l’ensemble des pratiques de gestion, stratégiques et contingentes, de l’organisation et de ses acteurs – dans leurs différents rôles – visant à l’accomplissement des objectifs de l’entreprise et de ses acteurs, et au développement de l’organisation et des individus. Ces pratiques de GRH sont structurées par des modèles théoriques, des technologies, des connaissances empiriques et scientifiques, des philosophies, et sont l’objet d’activités réflexives chez leurs praticiens.

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sixième mois à la fin de l’année il devra lui donner cinq gerahs par jour. (King, 2008 [1915], p. 70, n.t.).

Il nous semble donc utile de préciser ce que viennent caractériser les notions de fonction et de métier appliquées aux ressources humaines.

La fonction « ressources humaines »

2.2.

Dans le dictionnaire Larousse, la « fonction » – dans un sens économique – est définie comme un « ensemble d'opérations coordonnées qui, dans l'entreprise, tendent à la réalisation des objectifs qu'elle se fixe ».

Cette caractérisation est proche de celle de Fombonne (2001, p. 2), qui s’interroge sur ce qui a permis de passer « de la gestion à la notion de fonction Personnel », et propose de définir la fonction dans l’entreprise comme :

un sous-ensemble d'opérations, de moyens et de régulations présentant une certaine homogénéité, articulé avec d'autres sous-ensembles pour concourir au but de l'entreprise. Le concept de fonction englobe deux notions : celle d’un ensemble et celle d'une orientation active de cet ensemble vers le but de l'entreprise. On ne peut vraiment parler de fonction tant que les éléments du sous-ensemble sont dispersés entre plusieurs personnes qui ne reçoivent qu'une faible impulsion du centre et ne renvoient aux autres éléments et fonctions que des signaux peu utiles à la progression de l’ensemble.

Dans cette définition, Fombonne se rapproche de la vision, que l’on retrouve chez Fayol, d’une fonction Personnel en coordination avec les autres fonctions pour répondre aux objectifs de l’entreprise.

En effet, Henri Fayol (1841-1925), considéré comme un des précurseurs de la fonction Personnel (Fombonne, 2001, pp. 285‑286 ; Igalens, 1999, pp. 20‑21), définit, dans son ouvrage Administration générale et industrielle, les « fonctions essentielles » de l’entreprise comme des « groupes d’opérations » (Fayol, 1917 [1916], pp. 7‑8), toujours présents dans l’entreprise, car nécessaires, quelle que soit sa taille. Notons que s’il intègre les missions de la fonction Personnel dans ce qu’il appelle la « fonction administrative » 1 (ibid., pp. 10-12), il considère cette fonction

administrative comme particulièrement essentielle à la bonne marche des autres fonctions de l’entreprise.

Nous pouvons ici retenir l’idée que pour qu’un ensemble d’opérations en gestion du personnel puisse être qualifié de « fonction », cet ensemble doit être coordonné, doit viser l’accomplissement d’objectifs de l’entreprise et doit être personnifié.

Qu’il s’agisse de la fonction Personnel ou de la fonction ressources humaines (FRH), précisons que la personnification dont parle Fombonne ne signifie pas que cette

1 Fombonne (2001, p. 286) et Igalens (1999, p. 20) font toutefois remarquer qu’en 1900, Fayol déclare

au Congrès des mines que « la charge du personnel suffirait seule à donner [au service administratif] la suprématie dans la plupart des cas » (cité par Fombonne, 2001, p. 286).

La fonction « ressources humaines »

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fonction est automatiquement assurée par une seule personne. Fombonne consacre d’ailleurs lui-même une large partie de son ouvrage à la « fonction Personnel sans chef du personnel » (2001, pp. 13‑245). Non seulement les fonctions Personnel et RH peuvent être assurées par plusieurs personnes, notamment dans les bureaux du personnel ou les services RH, mais cette fonction peut aussi être incarnée par un acteur qui n’en fait pas son unique fonction. C’est en particulier le cas dans les petites entreprises (Fombonne, 2001, p. 1 ; Guillot-Soulez, 2015, p. 26 ; Lethielleux, 2014, p. 25), où cette gestion se répartit entre « le patron, le comptable de l’entreprise, éventuellement le contremaître » (Fombonne, 2001, p. 1).

Cette idée que la FRH n’appartient pas aux seuls directeurs ou responsables des ressources humaines est directrice dans le Tous DRH de Peretti (2012b [1996]). Dans cet ouvrage, Igalens (2012, p. 16) soutient d’ailleurs que l’évolution « quantitative » de la fonction RH – c’est-à-dire l’accroissement, l’élargissement et la complexification de ses missions – « conduit inévitablement à une décentralisation des responsabilités des spécialistes vers les opérationnels ». Pour Peretti (2012a [1996], p. 26), c’est en particulier au manager, « premier décideur RH » à tous les niveaux de la hiérarchie, d’assurer une large partie des missions de la fonction.

Une fonction RH instrumentale et « cliente »

Chez Fombonne et Fayol, la fonction de gestion du personnel apparaît en filigrane comme une fonction support des autres fonctions de l’entreprise.

Cette conception de la fonction s’adapte bien au modèle « instrumental » de la GRH (Brabet, 1993, pp. 70 sqq.), dans lequel la GRH est « au service de la stratégie déterminée par les contraintes de l’environnement et les valeurs des dirigeants » (ibid., p. 72). C’est cette approche que l’on retrouve notamment chez Peretti (2013,