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La littérature consacrée au travail d’encadrement – ou des managers – est riche et nous fournit plusieurs repères sur ce que font les encadrants.

1 Cousin (2006, 2009) souligne toutefois que le modèle du cadre qui transmet loyalement les directives

de son encadrement à des subordonnés est de moins en moins représentatif de leur travail. Pour l’auteur, il y a aujourd’hui une rupture de la confiance entre les cadres et l’entreprise.

2 Ainsi, comme nous l’évoquerons dans le chapitre 4, nous ne considérons pas que « l’autonomie » soit

synonyme de « marge de manœuvre » ou de « pouvoir d’agir ».

Lorsque l’encadrant est cadre, son statut est donc susceptible d’affecter son activité. Ce qu’il fait est déterminé parce qu’il est ou ce qu’il pourrait devenir. Autrement dit, le statut de cadre est un déterminant de l’activité de l’encadrant.

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Un travail d’organisation et de régulation

Pour Mispelblom Beyer (2010 [2006]), les encadrants sont pris « entre le marteau et l’écume1 », « entre deux forces aussi remuantes l’une que l’autre ». Ils

doivent se « débrouiller » entre la pression d’en « haut » et celle d’en « bas » (ibid., p. 88).

D’un côté, leur travail consiste à traduire les politiques définies par les dirigeants de l’entreprise, à intégrer les objectifs définis par leur propre encadrement et les règles issues d’une multitude de sources (lois, accords, règlement intérieur, contrat, règles de métier, etc.) pour les décliner en règles, en objectifs et en ressources pour leurs subordonnés. Les encadrants initient les projets, arbitrent entre les objectifs, orientent l’action, définissent les priorités et distribuent les ressources (Daniellou, Simard et Boissières, 2010, p. 91). Leur travail consiste également à s’assurer que l’activité des acteurs qu’ils encadrent s’inscrit bien dans les règles et objectifs qu’ils définissent. En d’autres termes, encadrer c’est « créer des cadres » et « faire cadrer l’action » (Terssac (de) et Cambon, 1998).

D’un autre côté, le travail d’encadrement est un travail d’écoute et d’observation, pour identifier et anticiper les problèmes et les besoins des acteurs encadrés, pour évaluer et sanctionner leur travail, pour s’assurer de la compatibilité des objectifs avec les ressources, pour rapporter « à sa propre hiérarchie des éléments de synthèse », des retours d’expérience (Daniellou, Simard et Boissières, op. cit.) et éventuellement réévaluer les règles, les objectifs et les ressources (voir figure 3 ci- dessous).

1 Mispelblom Beyer et Bismuth (2009) parlent « d’enclume » plutôt que « d’écume », mais dans son

livre Mispelblom (2010 [2006], p. 46) préfère le terme « écume » qui « convient mieux que celui d’enclume, qui suggère une passivité de l’exécution par rapport à l’activité de la direction ».

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Figure 3 – Le rôle de l'encadrant (d’après Daniellou et al., 2010, p. 91)

Finalement, le travail d’encadrement s’inscrit souvent dans un travail d’organisation et dans un travail de régulation tels que les définit de Terssac (2003b), dans la mesure où l’encadrant est amené à inventer les nouvelles règles de l’organisation et à transformer les règles existantes, en articulation avec les autres acteurs de la structure.

Seulement, ces processus ne sont pas lisses et ordonnés. Comme le souligne Ackoff (1979, p. 100), « les managers ne résolvent pas des problèmes ; ils gèrent des désordres ». Si leur travail est lui-même encadré et doit souvent suivre des procédures, une part importante de leur activité n’est pas planifiable et les procédures cèdent souvent la place à l’informel et à l’intuition (Mintzberg, 2004 [1989]).

Par ailleurs, dans des entreprises, toutes « traversées de logiques contradictoires », les encadrants doivent en permanence gérer les incohérences de leurs injonctions, voire contourner les règles (Cousin, 2009, p. 28). Les encadrants peuvent être en difficulté et ils doivent ruser, bricoler, ferrailler, parfois tricher (Cousin, 2009 ; Mispelblom Beyer, 2010 [2006]).

Un travail de négociation

Le travail de régulation passe souvent par un travail de négociation (Dugué, 2005 ; Reynaud, 1999 [1995]). La « négociation » est ici considérée dans une acception large. Elle comprend toutes les négociations formelles, mais également toutes les négociations informelles, dont les négociations que Stimec (2009) qualifie « d’ordinaires ». Pour l’auteur, la « négociation ordinaire » est entendue comme :

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une situation que nous qualifions de négociation en tant qu’observateur, que les acteurs qualifieraient de négociation dans le cadre d’une démarche réflexive mais qui ne leur apparaît pas dans l’instant rentrer dans le registre de la négociation. (ibid., p. 198)

Les négociations ordinaires sont des « micro-situations » dont les enjeux sont faibles, ce qui les rend difficilement identifiables par les acteurs. Mais elles surviennent quotidiennement (ibid.).

La transformation collective des règles apparaît de façon plus évidente dans les processus de négociation paritaire ou dans la négociation d’un contrat que dans l’élaboration d’un emploi du temps ou dans la définition des critères de qualité de la production. Mais la réélaboration des objectifs et des ressources passe bien par ces différentes formes de négociations.

Un travail de communication

Les managers consacrent beaucoup de temps à communiquer, c’est-à-dire à collecter, à traiter et à diffuser des informations (Mintzberg, 2004 [1989], 2013). Une partie de ces communications sont écrites, sous de nombreuses formes possibles (voir 2.4.2, p. 50). Mais pour Mintzberg, ces communications sont essentiellement verbales. D’après lui, ce mode de communication est favorisé par les managers, car il leur permet « de “lire” les expressions du visage, le ton de la voix et les gestes » et car il leur offre la possibilité d’échanger des informations « en temps réel » (2004 [1989], p. 98).

Les espaces de discussion et de débat sur le travail jouent alors un rôle essentiel dans le travail des encadrants. Ils sont nécessaires à l’expression des difficultés et des besoins, au partage des logiques, des représentations, des expériences et des inventions, ainsi qu’à la mise en délibération des règles et des critères du travail « bien fait » (voir notamment Caroly, 2010 ; Clot, 2013 ; Daniellou, 1998b ; Detchessahar, 2003, 2009 ; Rocha, 2014 ; Van Belleghem et Forcioli Conti, 2015). Cependant, les encadrants peuvent eux-mêmes éprouver des difficultés dans la réalisation de leur travail de communication. D’une part, comme le souligne Mintzberg (2004 [1989], p. 100), « le manager peut simplement être incapable de diffuser les informations utiles parce qu’elles sont inaccessibles à son conscient », car ses arbitrages se fondent en partie sur son intuition. D’autre part, la structure, les méthodes d’encadrement et certaines croyances managériales peuvent générer du « silence organisationnel »1 (Morrison et Milliken, 2000 ; Pinder et Harlos, 2001 ;

Rocha, 2014) : les acteurs préfèrent se taire sur des problèmes critiques en particulier par peur de sanction ou d’une inaction des encadrants.

69 Le silence organisationnel invite donc à s’interroger sur les méthodes de l’encadrant, mais également sur son propre encadrement, ses propres injonctions. Comme le soulignent Daniellou, Simard et Boissières (2010, p. 92) :

Lorsqu’un manager se trouve pris en cisaille entre des flux d’information contradictoires, une manière de se protéger peut consister à limiter la remontée d’information en provenance du terrain.

Le manager continue alors à transmettre les informations et directives provenant de la direction, mais ne traite plus les informations remontant de la réalité du terrain. Cette protection est parfois le résultat d’une décision explicite, mais peut aussi être une défense inconsciente : un cadre débordé, constamment en réunion ou en déplacement, n’est plus « dérangé » par les informations de terrain. Cette défense protège sa santé, mais reporte le problème à l’échelon suivant dans la hiérarchie.

La prédisposition de l’encadrant à faire remonter des informations est donc déterminée par sa capacité à gérer des injonctions contradictoires et par la capacité de son propre encadrement à réévaluer les règles, les objectifs et l’allocation des ressources. Finalement, l’ensemble de la structure hiérarchique est impliqué dans les processus de régulation, et les espaces de discussion sur le travail jouent un rôle déterminant dans les différentes strates de l’organisation.