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Pour réaliser des analyses macroscopiques, nous avons collecté et croisé des données issues de sources internes et externes à l’Entreprise A.

Les sources internes utilisées ici sont des documents libres d’accès au sein de l’Entreprise A (e.g. documents de référence, organigrammes) et des documents fournis par la direction des relations sociales (voir en particulier chapitre 6).

Les sources externes sont diverses institutions ayant produit des données sur l’emploi des travailleurs seniors et dans l’industrie chimique (INSEE1), sur la situation

1 « L’astreinte » est ici entendue ici dans le sens de Monod et Kapitaniak (2003 [1999], pp. 36-37) ou

de Falzon et Sauvagnac (2004, p. 178) : manifestations biologiques et psychophysiologiques en réponse à des contraintes extérieures.

Point d’étape du chapitre 5

178

économique de l’industrie chimique (UIC2) et sur les relations sociales dans les

entreprises françaises (DARES3).

Dans ces données macroscopiques, nous comprenons également les aspects culturels et historiques de l’industrie chimique et de la gestion des ressources humaines.

Nous avons déjà présenté une partie de ces données dans la première partie de la thèse et nous apporterons un complément d’analyse dans la partie suivante, en particulier dans le chapitre 6.

Point d’étape du chapitre 5

5.6.

Notre travail d’intervenant-chercheur dans l’Entreprise A a été marqué par une articulation permanente entre notre travail d’accompagnement et de recherche. L’action dans l’entreprise joue un rôle majeur dans le développement des connaissances ergonomiques sur le travail des professionnels RH et réciproquement. Notre positionnement particulier se présente comme un atout pour analyser un travail parfois difficile d’accès et pour comprendre les modes de pensée des acteurs RH. Mais il nécessite par ailleurs de trouver un équilibre entre la proximité et la distanciation par rapport au terrain.

Notre exigence de complexité et d’opérabilité du modèle nous enjoint à réaliser une triangulation verticale et horizontale entre plusieurs analyses monographiques et des analyses macroscopiques.

Afin d’accompagner le lecteur, dans l’ensemble de la partie III, nous introduirons chaque chapitre par une présentation de la méthodologie utilisée, avec éventuellement quelques succincts rappels de ce présent chapitre.

1 Institut national de la statistique et des études économiques

2 Union des industries chimiques

Partie III

Analyser le travail

des professionnels RH,

développer leur pouvoir d’agir

“I like work; it fascinates me, I can sit and look at it for hours.”

Jerome K. Jerome,

Three Men in a Boat To say nothing of the Dog!

Partie III

Analyser le travail des professionnels RH, développer leur pouvoir d’agir

Introduction

Le plan de cette troisième partie s’inscrit dans la nécessaire mise en perspective d’analyses monographiques et macroscopiques du travail des professionnels RH (voir section 5.5.1).

Dans le chapitre 6, nous proposons de contextualiser le travail des professionnels RH, en analysant des données relatives à la structuration organisationnelle de la fonction RH et à la situation sociale de l’Entreprise A.

Dans le chapitre 7, nous soumettrons notre analyse du travail d’une responsable RH locale. Cette analyse articule des données notamment issues d’entretiens, d’une chronique d’activité, et d’un traitement métrologique de ses courriels.

Dans le chapitre 8, nous mettrons en perspective l’analyse monographique du chapitre 7 avec l’analyse du travail d’autres professionnels RH.

Dans le chapitre 9, nous présenterons une analyse transversale des espaces de discussion entre professionnels RH, en nous arrêtant sur plusieurs cas d’empêchement et de développement des activités collectives.

Dans le chapitre 10, nous analyserons comment les professionnels RH que nous avons accompagnés sont parvenus à développer leur pouvoir d’agir en prévention, en développant une activité collective avec les ingénieurs de la direction technique. L’analyse de la contribution des ergonomes au développement du pouvoir d’agir des professionnels RH ne sera pas traitée dans un chapitre spécifique, mais sera abordée de manière transversale dans les chapitres 7 à 10.

Chapitre 6

Contexte social et organisationnel du travail

des professionnels RH

Les contextes économiques, historiques, sociaux et organisationnels de l’entreprise ont un impact sur le travail des professionnels RH et sur la gestion des questions de santé et sécurité au travail.

Dans le chapitre 1, nous avons déjà traité du contexte historique et économique de l’Entreprise A et plus généralement de l’industrie chimique. Nous avons souligné que l’histoire de l’industrie chimique avait été marquée par de nombreuses restructurations depuis les années 1980, qui ont été accompagnées d’une réduction continue des effectifs jusqu’à la fin des années 2000. Par ailleurs, le contexte économique de l’industrie chimique est aujourd’hui caractérisé par une forte croissance, qui se concentre toutefois essentiellement en Asie. L’histoire et la situation économique de l’Entreprise A sont représentatives du contexte global de l’industrie chimique, avec notamment une baisse de la part des investissements consacrés aux usines françaises par rapport au chiffre d’affaires du groupe.

Pour nous, ce contexte historique et économique est déterminant, d’abord parce que la démarche de prévention de la pénibilité a été mise en œuvre dans une conjoncture française davantage marquée par la réduction des coûts que par de nouveaux investissements. Les investissements ont d’ailleurs surtout été concentrés dans l’entretien d’installations existantes et souvent anciennes plutôt que dans de nouvelles installations.

Il est déterminant aussi parce que les nombreuses restructurations dans l’industrie chimique sont susceptibles d’accroître un sentiment d’indépendance des sites voire de défiance vis-à-vis du siège et plus particulièrement de ses directions fonctionnelles. Enfin, il est déterminant parce que les réductions d’effectifs et les restructurations ont pu générer une défiance envers les directions centrales et locales chez les salariés et les organisations syndicales, et ont pu ancrer une “culture” du conflit social dans certains établissements de l’entreprise.

Dans ce chapitre, notre objectif est de compléter notre analyse macroscopique en resituant le contexte social et organisationnel dans lequel les professionnels RH ont été chargés de déployer un accord sur la prévention de la pénibilité et ont, plus généralement, eu pour mission de gérer des questions de santé et sécurité au travail.

Méthodologie

6.1.

Pour réaliser cette contextualisation, nous avons mobilisé et croisé plusieurs sources de données.

Contexte social

182

Pour tracer le contexte social de l’Entreprise A, nous nous sommes appuyé sur des données issues de rapports de la DARES1 et sur des documents internes de

l’entreprise. Nous avons articulé ces données avec des observations de la vie sociale de l’entreprise et des entretiens formels et informels auprès d’acteurs RH.

Nous avons pu également compléter nos analyses en nous appuyant sur de nombreuses archives personnelles de la directrice du développement RH (DDRH) et sur quelques archives de la responsable des relations sociales France, qu’elles ont accepté de nous transmettre. Ces archives sont composées de notes manuscrites, de documents (articles, accords, présentations, etc.) et de courriels reçus et imprimés, parfois annotés. Elles concernent les questions de santé et sécurité au travail en général, et plus particulièrement les questions de pénibilité, d’ergonomie et d’intégration du travail dans les processus de conception. Elles s’étalent sur la période 2011-2015, ce qui nous a ici permis de reconstituer des évènements qui se sont déroulés avant notre arrivée dans l’Entreprise A, en mars 2012.

Enfin, nous avons utilisé des organigrammes de l’entreprise et des fiches de définition de poste, afin de présenter les positionnements organisationnels des professionnels RH au sein du groupe.

Contexte social

6.2.

En nous basant sur nos quatre années d’observation de la vie sociale de l’entreprise et en reprenant la terminologie de Dugué (2005, pp. 48‑59) dans sa typologie de la négociation collective, nous situons les relations sociales (RS) de l’Entreprise A entre :

- les relations élargies, dans la mesure où les négociations, le dialogue social dépassent souvent les obligations légales : accord sur la prévention de la pénibilité anticipé par rapport au décret d’application, de nombreux CHSCT extraordinaires dans certains établissements, création d’une commission sécurité-environnement centrale – assimilable à un CHSCT central –, création de groupes de travail sur la prévention de la pénibilité, la prévention du stress, etc. ;

- les relations conflictuelles, dans la mesure où les grèves sont relativement nombreuses (voir graphique 3, p. 184) et où le rapport de force est souvent le préambule de certaines négociations ;

- et les relations permanentes, dans la mesure où, dans de nombreux établissements, le dialogue social se construit beaucoup en dehors des instances – en off – et permet de prévenir une partie des situations critiques.

La responsable des relations sociales France nous a transmis un document d’enquête interne sur les RS de l’entreprise, datant de septembre 2011. La description qui est faite des relations sociales est proche de celle que nous venons d’exposer. Le

183 document évoque en effet un « dialogue social permanent » et « une conflictualité qui reste élevée ». Le conflit y est décrit comme « un outil préalable aux négociations plutôt qu’un ultime recours ». Dans ce même document, il est par ailleurs souligné que les relations sociales sont marquées par une « politique contractuelle » qui a abouti à la signature de nombreux accords sur des sujets très divers.

6.2.1. Une conflictualité élevée

Pour bien comprendre cette conflictualité perçue comme élevée, il est utile de rappeler que pour assurer la production tout en maîtrisant la sécurité du processus, les usines de l’industrie chimique doivent en permanence maintenir un effectif minimum dans leurs équipes (voir section 3.4.2, p. 95). En cas de conflit, la nécessité de maintenir en permanence des effectifs offre souvent un puissant levier de négociation pour les organisations syndicales et les salariés. En effet, au-delà d’un certain nombre de grévistes dans les équipes, la direction est contrainte soit d’arrêter le processus de production, avec des coûts parfois très importants1, soit de faire appel

au personnel d’astreinte – ce qui représente aussi un coût supplémentaire2. D’après

plusieurs RRH locaux, cette « capacité de nuisance » est souvent exploitée par les organisations syndicales pour peser dans les négociations paritaires.

Le graphique 3 ci-dessous permet de comparer le nombre de journées de grève dans l’Entreprise A à la moyenne des entreprises françaises du secteur marchand et à celle des entreprises françaises du secteur industriel, entre 2005 et 2012. Pour cette comparaison, nous avons repris les données publiées par la DARES (2008, 2010, 2014b) et les données fournies par l’Entreprise A. Nous constatons que dans l’Entreprise A le nombre de journées de grève est chaque année au moins égal au triple de la moyenne française tous secteurs confondus et au double de la moyenne des entreprises du secteur industriel. Ce qui tend à corroborer les propos des RRH locaux.

Dugué (2005, pp. 90‑91) note toutefois que les modes de recensement et de décompte des conflits ne permettent pas de considérer les données nationales comme

1 L’arrêt, le redémarrage et la stabilisation du processus peuvent parfois prendre plusieurs jours. 2 Notons que la direction de l’usine n’a pas le droit de réquisitionner des salariés grévistes. Si la grève

représente un danger pour l’ordre public (e.g. risque d’accident industriel), le préfet peut réquisitionner des salariés grévistes (Art. L2215-1 du Code général des collectivités territoriales), mais ce n’est en aucun cas la prérogative du chef d’entreprise (voir notamment Cass. soc. n° 08-43603 du 15 décembre 2009).

Ainsi, les enjeux de sécurité au travail apparaissent non seulement comme des objets possibles de négociation (voir section 3.2.1, p. 86), mais aussi comme de possibles

Contexte social

184

parfaitement représentatives de la situation des entreprises françaises. Il est fort possible que l’écart entre l’Entreprise A et les autres entreprises soit en réalité plus mince.

Graphique 3 – Nombre de journées de grève (JINT1) pour 1 000 salariés

en France, dans le secteur industriel et dans l’Entreprise A2

En entretien, le directeur des relations sociales du groupe (DRS) nous confirme les difficultés rencontrées pour établir ce qu’il considère être un dialogue social serein :

1 JINT est l’acronyme de « journée individuelle non travaillée [pour fait de grève] » qui est

l’indicateur utilisé par la DARES.

2 Les mesures de temps de grève de l’Entreprise A étaient données en heures, pour les convertir en

journées nous avons pris l’équivalence recommandée par la DARES (2016, p. 4) : 1 j = 7 h.

Les relations sociales, je connais bien. J’en ai fait depuis le début de ma carrière. J’ai toujours pas réussi à atteindre l’objectif que je m’étais fixé au sein de l’Entreprise A, qui est un objectif d’avoir un dialogue social de meilleure qualité, avec des partenaires plus respectueux globalement les uns des autres. Ça, c’est très difficile à atteindre, pour des raisons historiques, idéologiques, politiques, qui font qu’il y a beaucoup de postures qui sont prises chez nous, qui sont pas des postures qui correspondent à la défense des intérêts des salariés de l’entreprise. Moi, en tout cas, c’est mon appréciation. On a des salariés qui sont globalement très bien payés, en moyenne toutes catégories confondues, et proportionnellement encore plus les OE [ouvriers et employés] et les agents de maîtrise que les cadres, toutes choses égales par ailleurs. Et on n’arrive pas à valoriser ça par un climat social serein. Des choses encore à faire sûrement.

185 En entretien, nous avons évoqué la question de la conflictualité, avec un acteur RH, que nous appellerons Rémi. Il a été successivement délégué local et central CGT, responsable gestion de carrière au sein de la DDRHCI1, responsable RH d’une usine

et chef de projets développement RH, et il nous a accompagné dans le déploiement de l’accord sur la prévention de la pénibilité.

Il nous a proposé une lecture assez différente de cette conflictualité élevée. Pour lui, cette conflictualité tiendrait davantage de l’effacement des organisations syndicales que de leur exubérance et le dialogue social serait surtout complexifié par le manque d’interlocuteurs syndicaux légitimes aux yeux des salariés.

Nos observations de la vie des usines corroborent sont point de vue. Si les organisations syndicales restent malgré tout un objet d’attention particulière pour les professionnels RH, la gestion des relations sociales (GRS) semble s’être complexifiée depuis plusieurs années.

6.2.2. Une conflictualité exacerbée