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Malgré ce contexte social souvent conflictuel, l’histoire récente du groupe est marquée par de nombreux accords relatifs à des questions de SST dépassant souvent les obligations légales (voir figure 23 ci-dessous). Les partenaires sociaux de l’Entreprise A ont par exemple anticipé les obligations légales concernant les négociations d’un accord ou d’un plan d’action sur la prévention de la pénibilité en signant un accord-cadre dès avril 2010. Ils ont également anticipé les décrets définissant les seuils de chaque facteur de pénibilité reconnu par la loi en fixant eux- mêmes des seuils dans l’accord sur la prévention de la pénibilité signé en janvier 2012.

Plusieurs de ces accords prévoient la création d’instances ad hoc qui viennent s’ajouter aux instances prévues par le Code du travail : coordination centrale pour la prévention de la pénibilité (CCPP), commission de suivi de l’accord sur la prévention

Un projet comme [la cession du pôle industriel], c’est un projet compliqué à gérer en même temps que des négociations « classiques », ça c’est vrai. […] La prévention de la pénibilité, normalement ça aurait dû être un accord fédérateur. Ça l’a pas été pour différentes raisons, il y a [la session du pôle industriel], mais il y a pas que ça. C’est un élément qui a été un élément de perturbation… Donc voilà, si on a signé cet accord avec la CGT c’était parfait, mais si on l’avait pas signé, on aurait mis un plan d’action, moins ambitieux c’est clair, mais on aurait mis quand même un plan d’action. En fait, une des raisons, pour laquelle la CGT a signé – je me suis dit, ils me l’ont jamais dit – c’est qu’ils voulaient qu’il y ait un maximum d’accords signés avant [la session du pôle industriel], puisque les accords étaient transférés à [la nouvelle entité]. Et donc, pour eux, c’était aussi perçu comme protecteur. Peut-être que ça a été un des éléments favorisant la signature.

187 de la pénibilité, groupes de travail locaux sur la prévention de la pénibilité (GTPP) et observatoires centraux et locaux sur la prévention du stress. Ces nouvelles instances viennent s’intercaler dans un calendrier social qui, pour beaucoup d’acteurs RH locaux, est déjà riche (voir également 8.3.3, p. 261).

Contexte social

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Figure 23 – Chronologie des accords sur les questions de santé et sécurité au travail (2010-2012)

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L’organisation matricielle de la fonction RH

6.3.

Dans l’Entreprise A, la fonction RH est caractérisée par une organisation matricielle. Nous entendons par là que les responsables des ressources humaines locaux (RRHL), c’est-à-dire les responsables RH d’usine ou de centre de recherche, ont à la fois une hiérarchie opérationnelle et une hiérarchie fonctionnelle (voir figure 24 ci-dessous).

En effet, les RRHL sont en premier lieu encadrés par leur directeur d’usine (DU) ou de centre de recherche1. Ce dernier est subordonné à un directeur industriel (DI), lui-

même encadré par un directeur de business unit (DBU), qui est quant à lui sous le commandement d’un des deux directeurs généraux opérationnels (DGOP). C’est ce que nous nommons la « chaîne de commandement opérationnel ».

Par ailleurs, parmi les missions définies dans la fiche de poste des RRHL (voir annexe 3), figure l’application des politiques centrales en matière de ressources humaines et de relations sociales. Les professionnels RH sont donc également subordonnés à une hiérarchie fonctionnelle.

Cette hiérarchie fonctionnelle centrale peut peser doublement sur le travail des acteurs RH locaux. D’une part, elle élabore des prescriptions (politiques générales, directives, accords nationaux, etc.) et, d’autre part, les acteurs centraux sont susceptibles de gérer la carrière des RRHL.

Les RRHL sont d’ailleurs dans une organisation doublement matricielle, car sous le commandement du directeur général RH (DGRH), il existe deux directions : une direction du développement des ressources humaines et de la communication interne (DDRHCI), dirigée par la DDRH (Sophie), et la direction des relations sociales

1 Par simplicité, pour désigner les directeurs de centre de recherche, nous utiliserons également le sigle

« DU ».

Retenons ici que les relations sociales de l’Entreprise A sont complexes. Elles sont marquées, d’une part, par de nombreux conflits, qui s’expliquent notamment par l’histoire et les évènements récents du groupe, par le fonctionnement même de la production et par une perte d’influence des organisations syndicales. D’autre part, elles sont marquées par une « politique contractuelle » matérialisée par de nombreux accords paritaires.

Ces deux caractéristiques des relations sociales ont été déterminantes dans la mise en œuvre de la démarche de prévention de la pénibilité. En effet, cette culture du conflit et de l’accord pousse les acteurs RH centraux et locaux à être particulièrement attentifs aux discours des représentants syndicaux, et à anticiper leurs réactions dans les processus de décision RH (voir en particulier section 8.3.3, p. 260).

L’organisation matricielle de la fonction RH

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dirigée par le DRS. Ces deux directions sont elles-mêmes divisées en plusieurs pôles (recrutement, gestion de carrière, etc.).

Notons ici que nous étions personnellement rattaché à la responsable formation

corporate et développement social (RFDS, Julie), au même titre que le chef de projet

développement RH (Rémi), qui nous a accompagné dans le déploiement de l’accord sur la prévention de la pénibilité.

Figure 24 – Le positionnement matriciel des responsables RH locaux

À ce tableau s’ajoute le centre de service partagé (CSP), service centralisé qui gère des démarches de formation et d’administration du personnel.

Après avoir présenté, dans ce chapitre, le contexte général dans lequel travaillent les professionnels RH, nous proposons, dans le chapitre suivant, d’analyser le travail d’une responsable RH d’usine.

Pour les professionnels RH, ce positionnement matriciel est susceptible de générer de nombreuses injonctions contradictoires et met en évidence la nécessité de développer des processus de « régulation conjointe » (Reynaud, 2003). Pourtant, comme nous le verrons en particulier dans les chapitres 8 et 9, ces régulations sont parfois empêchées.

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Chapitre 7

Analyse du travail d’une responsable locale

des ressources humaines

Dans le chapitre précédent, nous avons commencé à percevoir comment le contexte organisationnel et social pouvait conditionner l’activité des professionnels RH.

L’objectif de ce chapitre est de fournir une analyse monographique du travail d’une responsable RH locale (RRHL), dont la fonction est par définition généraliste. Notre souhait est de mieux saisir comment se répercutent les contextes socioéconomiques et organisationnels, la multiplicité des tâches attenantes à sa fonction, la « balkanisation » (Tyson, 1987) de son travail, sa position de « marginale sécante » (Barès et Cornolti, 2006 ; Crozier et Friedberg, 2014 [1977] ; Daniellou, 2010), dans la gestion des questions de santé et sécurité au travail (SST).

Pour réaliser cette analyse, nous avons recueilli plusieurs types de données, grâce à des méthodologies originales. Ce chapitre est donc par ailleurs l’occasion de présenter des méthodologies innovantes que nous avons mises en œuvre afin d’approfondir notre compréhension du travail des professionnels RH.

La mise en œuvre d’une analyse

7.1.

monographique

Durant nos premiers mois passés dans l’Entreprise A, nous avons réalisé un stage d’une semaine dans une usine, afin de découvrir le fonctionnement général d’un site industriel. Par la suite, en marge du déploiement de la démarche de prévention de la pénibilité, nous avons été sollicité par la responsable locale des ressources humaines de cette même usine pour mener une intervention ergonomique auprès du service d’accueil et du bureau commercial usine (BCU). Cette intervention mêlait des questions d’organisation, de risques psychosociaux, de handicap, de sûreté et de conception de l’accueil et du BCU. Mais l’intervention n’a pas abouti à des transformations majeures, notamment pour des raisons budgétaires (section voir 7.4.1). À ces multiples présences sur le site, s’ajoute l’accompagnement des diagnostics et des formations propres à la démarche de prévention de la pénibilité. Ceci a permis de créer une relation de confiance suffisante pour que la RRHL de l’usine, que nous appellerons Victoria, accepte de nous transmettre l’intégralité des courriels “utiles” qu’elle a reçus et envoyés durant une semaine, et de compléter une chronique d’activité durant cette même semaine.

La mise en œuvre d’une analyse monographique

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7.1.1. Éléments biographiques sur Victoria

Avant d’entrer dans la fonction RH, Victoria a fait une formation de juriste (DEA en droit), pour ensuite travailler dans un métier de la communication. Dans l’Entreprise A, elle a évolué vers la fonction RH, d’abord dans une mission « plutôt GPEC1 », puis dans une mission généraliste. Elle travaille dans la fonction RH

depuis une dizaine d’années. Selon elle, il s’agit d’une évolution naturelle depuis son parcours juridique et communicationnel.

Lors de notre premier entretien formel en mai 2013, elle travaillait sur son site depuis cinq ans. Au moment du premier entretien, elle dirigeait deux membres de l’équipe RH : une alternante qui gère en particulier des questions de communication interne et de relation sociale et une technicienne RH qui gère notamment des missions d’administration du personnel, certaines questions de formation, et qui est « référente handicap » du site.

Comme tous les sites du groupe, à la fin des années 2000, dans le cadre de la création d’un centre de service partagé pour les ressources humaines (CSP RH), l’usine a vu les effectifs de son équipe RH se réduire. Le CSP RH se charge de questions d’administration du personnel et de la gestion des formations, mais comme nous le verrons il ne soustrait pas totalement les acteurs RH locaux à ces missions.

Lors de notre premier entretien, Victoria nous a expliqué participer depuis environ un an au CHSCT du site. De notre point de vue, elle a été parmi les responsables RH les plus impliqués dans les démarches de prévention de la pénibilité et de prévention du stress.