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Dans le cadre de notre intervention-recherche, nous avons recueilli deux types de paroles : une parole dans le travail et une parole sur le travail des professionnels RH.

Ce que nous appelons la « parole dans le travail » est celle que nous avons relevée durant nos observations, afin d’analyser les interactions verbales des professionnels RH avec les autres acteurs de l’entreprise ; l’autre acteur pouvant d’ailleurs être un autre professionnel RH ou nous-même – avec notre casquette d’ergonome interne chargé de mission.

La « parole sur le travail » est, d’une part, celle que nous avons captée durant certaines réunions, en particulier lors des réunions entre professionnels RH, lorsqu’ils parlent de leurs propres pratiques, lorsqu’ils évoquent des problématiques rencontrées dans leur travail, lorsqu’ils débattent sur les règles ou lorsqu’ils soumettent à leurs pairs des inventions organisationnelles ou techniques. La parole sur le travail est, d’autre part, celle que nous avons recueillie durant des « colloques singuliers », c’est-à-dire des entretiens en tête-à-tête formels ou informels, dans lesquels nous

173 tenions avant tout un rôle de chercheur ou de confident. Ces entretiens ont majoritairement été réalisés avec des professionnels RH, mais également avec des acteurs en interface régulière avec eux (acteurs syndicaux, directeurs d’usine, médecins du travail, responsables HSE, ergonomes consultants, etc.).

Ces deux types de paroles relèvent finalement des deux types d’activités distingués par Falzon (1994)1. La parole dans le travail est celle qui correspond à l'activité

fonctionnelle des professionnels RH, alors que la parole sur le travail correspond à

leur activité métafonctionnelle. Dans les espaces de discussion, où s’entrecroisent les activités fonctionnelles des professionnels RH encadrants (de la direction RH)2 et les

activités métafonctionnelles des professionnelles RH encadrés (RRH locaux), se mêlent donc ces deux types de parole.

Pour comprendre le travail des professionnels RH, il est utile d’articuler ces deux types de paroles, c’est-à-dire analyser ce que les acteurs disent réellement et ce qu’ils

disent dire, et analyser comment les professionnels RH (centraux ou locaux), dans

leur activité fonctionnelle, invitent leurs interlocuteurs à parler sur leur travail.

Réalisation d’entretiens formels

Une partie de la parole sur le travail des professionnels RH a été recueillie lors d’entretiens formels. Ils ont été principalement réalisés auprès de professionnels RH : le directeur général RH, des directeurs et responsables de la DDRHCI et de la direction des relations sociales ainsi que des responsables RH locaux (RRHL). Certains acteurs nous ont d’ailleurs accordé plusieurs entretiens, notamment la directrice du développement RH (DDRH, Sophie), la responsable formation corporate et développement social (RFDS, Julie) et une RRHL. Nous avons également réalisé un entretien formel avec le médecin du travail coordinateur, deux responsables de la direction centrale HSE et un directeur d’usine.

La plupart de ces entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement et d’une retranscription.

Nous pouvons les définir comme des entretiens de type « compréhensif » (Kaufmann, 1996), visant une « explicitation » de l’activité (Vermersch, 2014 [1994]).

La démarche compréhensive implique notamment de mener les entretiens en visant un rapport d’égalité entre l’enquêteur et l’enquêté, tout en les laissant chacun dans leur rôle. Il s’agit de « rompre la hiérarchie », en cherchant un ton « plus proche de celui de la conversation entre deux individus égaux que du questionnement administré d’en haut », sans pour autant déstructurer l’entretien et tomber dans une véritable conversation (Kaufmann, 1996, pp. 47‑48). Nous avons dû, pour cela, définir une grille d’entretien souple, nous permettant de guider les échanges pour les

1 Voir en particulier les sections 4.2.6 et 4.4 dans cette thèse.

2 Durant les réunions, le travail des encadrants peut néanmoins s’inscrire dans une activité

Notre méthodologie

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rattacher à notre objet de recherche tout en nous saisissant des propos de notre interlocuteur pour alimenter nos relances. Et nous avons toujours tâché de prêter une oreille attentive et empathique pour que l’interviewé se sente écouté, prenne plaisir à parler, et pour établir un rapport de confiance avec lui.

L’objectif de l’entretien d’explicitation (Vermersch, 2014 [1994]) est d’amener l’interviewé à verbaliser son activité réelle – et non le prescrit de son travail ou son opinion. Toutefois, comme le souligne Vermersch, la « verbalisation de l’action est loin d’être spontanée » (ibid., emp. 530-531). Cousin (2008, emp. 191-203) fait un constat similaire à propos du travail des cadres. Il est alors « important de canaliser le sujet vers ce domaine de verbalisation particulier qu’est l’action » (Vermersch, 2014 [1994], emp. 587-588), en l’aiguillant par des relances. Pour parvenir à cette explicitation, il est nécessaire de situer l’action, de ramener la verbalisation à une « occurrence particulière de la situation ou de la tâche » et non à « une classe d’actions en référence à une classe de tâches » (Vermersch, 1997, p. 65). Pour initier et confronter les verbalisations, l’intervieweur peut prendre appui sur les traces et les observables de l’activité qu’il aura pu collecter en amont. Dans le cadre de nos entretiens, nous nous sommes par exemple servis de courriels, d’une chronique d’activité et d’observations lors de réunions pour amener des RRHL à verbaliser leurs activités.

Durant nos quatre années d’intervention-recherche, la grille que nous avons utilisée pour nos échanges a progressivement évolué. Néanmoins, certaines thématiques ont toujours été reconduites pour nos entretiens avec les professionnels RH :

- le parcours professionnel de l’interviewé, ce qui l’a attiré vers la gestion des ressources humaines ;

- la place des questions de SST dans son travail, ses pratiques en la matière, son approche, ses représentations, les problèmes rencontrés pour réaliser son travail et les ressources développées ;

- ses rapports avec les acteurs centraux, en particulier avec les acteurs de la direction RH et les dirigeants de sa business unit (BU) – lorsque l’entretien était avec un acteur local ;

- ses rapports avec les acteurs locaux – lorsque l’entretien était avec un acteur RH central ;

- ses rapports avec les autres fonctions, au niveau local (salariés, représentants syndicaux, directeur d’usine, responsable HSE, médecin du travail, etc.) et au niveau central (direction HSE, médecin coordinateur, BU, direction technique, autres pôles RH) ;

- l’organisation, en particulier temporelle, de son propre travail ; - le travail à domicile, le soir et le weekend ;

- les espaces de discussion sur le travail auxquels il participe, sa possibilité de faire remonter ses difficultés, de débattre sur ses règles ;

175 - le rapport à son travail, ses satisfactions, ses mobiles, ses frustrations ;

- sa pratique du terrain.

Soulignons cependant pour conclure que le formalisme des entretiens peut être limitant dans le type d’information obtenu (Dugué, 2005, pp. 96‑97). Malgré la confiance que nous avons toujours cherché à établir avec les interviewés, le dictaphone peut décourager la verbalisation d’activités peu « valorisables et valorisantes » ou l’expression d’opinions relatives à d’autres acteurs. Il est donc nécessaire de compléter le recueil de la parole par des entretiens informels.