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Le travail d’encadrement des professionnels RH est en particulier marqué par trois spécificités déterminantes pour leur activité.

La multiplicité des missions de la fonction.

Nous l’avons souligné supra (voir section 2.4) les professionnels RH sont susceptibles de gérer une diversité de missions, dont la mise en congruence n’est pas évidente. Si tous les encadrants – voire tous les travailleurs – doivent gérer des injonctions contradictoires, la multiplication des missions peut mécaniquement exacerber le phénomène et conduire à une « balkanisation » de la fonction RH (Tyson, 1987).

Le positionnement de « marginal sécant »

Corollaire de l’éclatement des missions, le professionnel RH a souvent un positionnement de « marginal sécant » dans l’entreprise (Barès et Cornolti, 2006, pp. 47‑49 ; Daniellou, 2010, p. 25). C’est un acteur qui est « partie prenante dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres et qui peut, de ce fait, jouer le rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’actions différentes voire contradictoires » (Crozier et Friedberg, 2014 [1977], p. 86).

La pluralité des missions et l’objet même de certaines missions, comme la gestion des relations sociales, conduisent effectivement les professionnels à travailler en interface avec une grande diversité d’acteurs.

Autrement dit, les acteurs avec lesquels les professionnels RH interagissent, les acteurs qu’ils encadrent et qui les encadrent, évoluent en fonction du système dans lequel ils travaillent.

Pour les professionnels RH, à la multiplicité des objets du travail, s’ajoute donc une multiplicité des acteurs sources et destinataires de prescriptions et de ressources. Mais son positionnement peut lui permettre de jouer les traducteurs entre les différentes fonctions de l’entreprise.

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Un acteur « réticulaire stratégique »

Si, dans notre définition (voir section 2.1), nous avons relevé le caractère stratégique de la gestion des ressources humaines, le rôle stratégique des professionnels RH dans les entreprises n’apparaît pas toujours de façon évidente et n’est pas toujours reconnu par les autres acteurs. Pour Abord de Châtillon et Desmarais (2017 [2015]), il y a un décalage important entre la représentation que les professionnels RH se font de leur rôle stratégique ou de ce qu’il devrait être et la réalité de leur travail.

Barès et Cornolti (2006) font un bilan analogue en mettant en lumière le manque d’influence des directeurs RH dans des processus de décision stratégique qui relèvent pourtant de la GRH1.

Les mêmes auteurs proposent néanmoins d’envisager le professionnel RH comme un acteur « réticulaire stratégique », c’est-à-dire « comme un agent tirant profit de sa situation d’interface et de son expertise pour affirmer, voire améliorer son pouvoir dans les organisations » (ibid., p. 47).

Barès et Cornolti soulignent ainsi que les acteurs RH peuvent tirer avantage de leur positionnement de marginal sécant pour avoir un impact dans les processus de décisions stratégiques.

Point d’étape du chapitre 2

2.8.

Notre objectif était avant tout de donner un cadre à la terminologie relative aux « ressources humaines », que nous allons utiliser tout au long de cette thèse : gestion, fonction, missions, métiers, professionnel, encadrement. Mais la dernière partie de ce chapitre nous a aussi permis de cerner certains enjeux et caractéristiques du monde RH.

Un premier élément marquant réside dans la multiplicité des missions attenantes à la fonction RH. Les acteurs RH interviennent sur de nombreux objets, qui nécessitent de nombreux savoirs et savoir-faire, qui peuvent être partagés avec d’autres fonctions et dont la mise en congruence n’est pas évidente. Ils sont parties prenantes de plusieurs systèmes, ce qui est susceptible d’exacerber la contradiction des injonctions. En somme, les acteurs RH font face à un risque de « balkanisation » de leur fonction (Tyson, 1987).

Un deuxième élément marquant se situe dans la difficulté que peuvent éprouver les professionnels RH à participer aux processus de décision stratégique (Abord de Châtillon et Desmarais, 2017 [2015] ; Barès et Cornolti, 2006). Pour impacter ces processus, les professionnels RH, « réticulaires stratégiques », jouent de leur position de « marginal sécant » pour développer leur pouvoir d’agir.

Point d’étape du chapitre 2

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Dans le chapitre 4, nous intégrerons ces deux éléments dans nos hypothèses de recherches. Avant cela, dans le chapitre 3, nous allons nous intéresser plus amplement à la façon dont les enjeux SST interviennent dans la gestion des ressources humaines et dans l’industrie chimique.

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Chapitre 3

Les enjeux de la santé et de la sécurité au sein

de la fonction RH et dans l’industrie chimique

Dans ce chapitre, nous proposons de mettre en exergue l’intrication entre les enjeux de GRH, les enjeux de production dans l’industrie chimique et les enjeux de santé et sécurité au travail.

Dans un premier temps, nous présenterons les principales approches en matière de santé au travail et les principaux modèles de prévention actuels. Dans un deuxième temps, nous proposerons de caractériser les enjeux de SST susceptibles d’affecter la fonction RH. Nous évoquerons ensuite la façon dont les ergonomes et les professionnels RH peuvent se présenter comme des ressources réciproques. Enfin, nous conclurons ce chapitre en mettant en lumière les enjeux spécifiques de l’industrie chimique en matière de GRH et de SST.

Santé et sécurité au travail : des enjeux

3.1.

complexes

Si la « sécurité au travail » peut simplement se définir comme « la prévention des risques d’accident dans le cadre d’un exercice professionnel », les modèles pour atteindre cette sécurité sont nombreux. Par ailleurs, définir la « santé au travail » n’est pas chose simple. Comme le souligne Caroly (2010, p. 141), la notion de santé a beaucoup évolué au cours du XXe siècle – et est encore l’objet de nombreuses

discussions. Elle a « mille définitions » selon un titre de Perrin (1991).

Nous proposons toutefois ici d’apporter quelques éclairages, d’une part sur les principales approches concernant la santé au travail et d’autre part sur les principaux modèles de prévention des risques.

3.1.1. La santé au travail : différentes approches

Éclairons d’abord la notion de « santé » en laissant de côte le « travail ». Laville et Volkoff (1993, cités par Falzon, 2015 [1996], p. 209) notent que la santé est souvent définie par l’absence de pathologie, de déficience, de restriction de la vie sociale et de misère économique. Mais cette définition « négative » (Dejours, 1995, p. 2) de la santé a été remise en question en médecine et dans les sciences humaines et sociales.

Santé et sécurité au travail : des enjeux complexes

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L’OMS1 a donné une définition qui permet de dépasser cette conception de la santé

comme une absence : « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (OMS, 2006 [1946], p. 1). S’il est généralement admis que la santé ne se définit pas seulement par l’absence de pathologie, mais aussi par la notion de « bien-être », sa définition comme « état » a souvent été critiquée (Doppler, 2004, p. 75). Falzon (2015 [1996], p. 209), souligne en effet que la santé est de plus en plus « vue plutôt comme le résultat d’un processus de construction ». Pour Caroly (2010, p. 143), la santé « n’est ni un état, ni un but, mais davantage un processus ». Pour Dejours (1995, pp. 2‑3), la santé « n’est pas un don de la nature » mais quelque chose qui se conquiert, qui se construit.

Dejours (1995, p. 6) conçoit par ailleurs la santé comme éminemment sociale, car « tributaire d’une dynamique intersubjective » entre l’individu et un tiers, nécessaire à la « construction de la normalité »2.

Le travail pathogénique, salutogénique, développemental

Comme le souligne Richard (2012, p. 15), « le travail a, par nature, des effets ambivalents sur le bien-être des salariés ». Il peut être à la fois « pathogénique » et « salutogénique », dans la mesure où il peut être vecteur de pathologie, de mal-être, de malaise, mais être aussi un opérateur de santé, permettre à l’opérateur de construire sa santé.

L’approche salutogénique (Antonovsky, 1996) du travail est notamment présente chez Clot (2013, 2015 [2010]) pour qui pouvoir « bien faire » son travail, pouvoir discuter des critères de qualité, avoir un travail intense sans être intensif, qui donne du pouvoir d’agir au travailleur, est vecteur de santé. Clot (2012) avance ainsi l’idée que plutôt que de « soigner le travailleur », il est nécessaire de soigner le travail, de permettre au travailleur de soigner son travail.

En ergonomie, l’approche « développementale » ou « constructive » s’inscrit aussi dans une conception salutogénique du travail. Dans cette approche, l’enjeu pour l’ergonome est de « développer le potentiel capacitant des organisations afin qu’elles contribuent simultanément et de manière pérenne à l’amélioration du bien-être des salariés, au développement des compétences et à l’amélioration de la performance » (Falzon, 2013b, p. 2). Le concept d’environnement capacitant, fondé sur les travaux de Sen (2012 [2009]), est défini comme un environnement qui offre à l’individu la possibilité de réellement mettre en œuvre ses capacités disponibles (savoir, savoir- faire). Cet environnement a un caractère préventif dans la mesure où il permet la

1 Organisation mondiale de la santé

2 Si elle lui reconnaît un caractère social, en identifiant notamment une réciprocité entre santé de

l’individu et santé de l’organisation, Caroly (2010, pp. 144‑145) considère néanmoins que la santé est « avant tout individuelle » et que l’ergonomie a le plus souvent considérer la santé « du côté du sujet et non pas du groupe ».

75 préservation des capacités d’agir, un caractère universel dans la mesure où il permet de prendre en compte les différences interindividuelles, et un caractère développemental, dans la mesure où il permet à l’individu et au collectif de mettre en œuvre leurs capacités – il les rend capables – et d’en développer de nouvelles (Falzon, 2013b, pp. 3‑4).

L’approche « pathogénique » du travail reste cependant la plus répandue en GRH (Chakor et al., 2015, pp. 136‑144 ; Richard, 2012, p. 30), et elle est encore très présente en ergonomie. Le travail est en effet le plus souvent perçu comme source de stress, de souffrance, d’usure, d’absentéisme, de restriction d’aptitude, de handicap, de suicide, d’accident, de pénibilité, de maladie professionnelle, de risques psychosociaux (RPS) ou de troubles musculo-squelettiques (TMS). Plus rarement comme source de bien-être, d’accomplissement, de construction psychique et sociale, ou de développement personnel.