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Dans le cadre de l’accompagnement de la DDRHCI dans la mise en œuvre de l’accord sur la prévention de la pénibilité, notre rôle a souvent été celui d’un gestionnaire de projet.

Notre travail a en effet plus souvent consisté à jouer un rôle d’articulation entre les acteurs locaux, centraux et externes, à planifier et suivre l’avancée des démarches, qu’à analyser des situations de travail dans les usines et les centres de recherche. Nous avons certainement passé moins de temps dans les ateliers que dans des réunions centrales et locales pour se coordonner, pour discuter, parfois débattre, avec les acteurs de la DDRHCI, les responsables RH locaux, les membres des GTPP et de la CCPP, les directeurs d’usines, etc.

165 En plus des GTPP et de la CCPP, nous avons participé à plusieurs réunions périodiques pour jouer ce rôle d’articulation :

- les séminaires RH, réunions le plus souvent organisées au siège, qui rassemblaient environ une fois par trimestre des acteurs RH centraux et les responsables RH locaux pour aborder un grand nombre de sujets relatifs à leur fonction ;

- les réunions des directeurs d’usine, elles aussi trimestrielles, dans lesquelles nous intervenions occasionnellement pour aborder des sujets relatifs à la mise en œuvre de l’accord sur la prévention de la pénibilité ;

- les conférences téléphoniques hebdomadaires, qui se tenaient chaque vendredi, à laquelle participent la plupart des responsables RH locaux, et des responsables de direction sociale (directeur des relations sociales, responsables des relations sociales France, juristes sociaux, etc.) et qui servent essentiellement à faire un point sur la situation des sites en termes de relations sociales, et à évoquer les principaux évènements du calendrier social central, les négociations en cours, les nouvelles politiques en matière de relations sociales, les nouveaux accords signés ou à venir, etc. ;

- la commission « sécurité, environnement » du comité central d’entreprise, assimilable à un CHSCT central, qui se réunissait chaque semestre pour aborder les démarches mises en œuvre dans le groupe en matière de SST, faire un bilan des accidents de travail, discuter de la politique de sécurité du groupe.

D’autres missions en parallèle de

5.3.

l’accompagnement du déploiement de

l’accord

En marge de notre accompagnement du déploiement de l’accord sur la prévention de la pénibilité, nous avons réalisé d’autres missions en local et en central. Nous ne présenterons en détail qu’une seule de ces missions, les autres étant éloignées de l’objet de cette thèse. Retenons simplement que la majorité de ces missions ont consisté, d’une part, en des réaménagements de postes de salariés en situation de handicap ou de restriction d’aptitude. D’autre part, elles ont consisté à accompagner le service central des achats du groupe dans la rédaction d’un cahier des charges pour le mobilier de bureau, et à rédiger une plaquette de préconisations pour la conception des espaces de bureau, commandée par le médecin coordinateur.

Notre intervention sur l’accueil d’une usine

Dans les premiers mois de notre intervention dans l’Entreprise A, nous avons réalisé un « stage découverte » d’une semaine afin de mieux connaître le fonctionnement d’une usine. Ce stage a été l’occasion de faire connaissance avec la

D’autres missions en parallèle de l’accompagnement du déploiement de l’accord

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responsable RH locale, qui nous a sollicité peu de temps après pour réaliser une intervention dans son établissement.

Cette intervention concernait le service du « bureau commercial usine » (BCU), qui assurait l’accueil et le contrôle des visiteurs et des transporteurs, et gérait toute la documentation nécessaire au transport (douanes, fiche de sécurité matières dangereuses, lettre de voiture, etc.). La demande d’intervention avait été motivée par :

- un problème de sûreté : des membres du service avaient été menacés verbalement et insultés par des conducteurs de camion et le chef de service avait lui-même été agressé physiquement par un chauffeur ;

- un problème de fluidité du service, en particulier en matière de gestion des flux d’entrées et sorties des marchandises et des chauffeurs ;

- des risques psychosociaux (RPS) élevés qui s’étaient matérialisés par de nombreuses plaintes de membres du service et par un long arrêt maladie. Après avoir réalisé des analyses de terrain à partir d’entretiens et d’observations, et après avoir organisé des groupes de travail avec les acteurs du service, notre intervention avait principalement abouti :

- à la formalisation d’un cahier des charges et d’un croquis pour transformer l’espace d’accueil et l’espace extérieur afin de fluidifier le fonctionnement du service et sécuriser l’espace de travail

- et à la définition de nouveaux espaces de discussion au sein du service pour améliorer les processus d’encadrement.

Nous avons réalisé une restitution de cette intervention auprès de « l’observatoire du stress » de l’usine – un groupe de travail sur la prévention des RPS – et auprès du CHSCT. Par la suite, le service technique de l’usine a fait réaliser un devis par une entreprise extérieure à partir du cahier des charges et du croquis que nous avions élaboré avec les acteurs du service. Mais, jusqu’à notre départ de l’Entreprise A, l’intervention n’a finalement débouché que sur des transformations mineures, sans véritable reconception de l’accueil.

Pour nous, il était important d’évoquer cette intervention, car elle est révélatrice de l’état des marges de manœuvre des professionnels RH. En effet, c’est la responsable RH de l’usine qui était à l’initiative de cette intervention et qui a appuyé le projet de transformation.

Dans le chapitre 7, nous évoquerons cette intervention dans le cadre de la monographie que nous avons réalisée sur le travail de la RRHL de l’usine.

Dans le point suivant, nous allons aborder les enjeux que soulève notre travail de recherche sur le plan épistémologique et méthodologique.

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Enjeux épistémologiques et

5.4.

méthodologiques de notre recherche

5.4.1. Fondements épistémologiques

Une recherche inscrite dans un paradigme constructiviste

Notre recherche s’inscrit dans un paradigme constructiviste. Selon ce paradigme, « il n’existe pas une réalité qu’il serait possible d’appréhender, même de manière imparfaite, mais des réalités multiples, qui sont le produit de constructions mentales individuelles ou collectives et qui sont susceptibles d’évoluer au cours du temps » (Ben Aissa, 2001, p. 13). Dans cette approche, « les situations sont appréhendées au travers de ce que la personne sait déjà et de ce qu’elle apprend en action » (Poley, 2015, p. 136).

Le paradigme constructiviste se démarque en particulier du paradigme positiviste, dans lequel « le monde existe indépendamment de l’esprit » et « est abordable grâce à des instruments et des techniques perfectionnées qui permettent d’observer la réalité (Rychlak, 1968) » (Landry, 2008, p. 63). Dans l’approche positiviste, le chercheur peut donc observer la réalité en se plaçant à l’extérieur de celle-ci (Girod- Séville et Perret, 1999, p. 17 ; Poley, 2015, p. 135).

En d’autres termes, le projet constructiviste est de construire la réalité alors que le projet positiviste est de l’expliquer (Girod-Séville et Perret, 1999, p. 14).

Comme le souligne Poley (op. cit.), la généralisation des connaissances produites dans une approche positiviste passe par « l’isolement de certaines variables pour qu’il soit possible d’énoncer des lois scientifiques ». Elle implique une validation sur de grands échantillons et des expériences reproductibles. Les recherches en ergonomie de l’activité peuvent difficilement remplir ces conditions : elles se concentrent le plus souvent sur des cas particuliers non reproductibles, dans une approche systémique qui prend de nombreuses variables en compte.

Une approche complexe du travail et de son analyse

Notre travail de recherche est caractérisé par une pensée complexe. La « complexité » est ici entendue dans le sens latin de « complexus » évoqué par Morin (1990 [1982], p. 200), c’est-à-dire, « ce qui est tissé ». Cette complexité vise la « connaissance multidimensionnelle » ; son aspiration est de « rendre compte des articulations qui sont brisées par les coupures entre disciplines, entre catégories cognitives et entre types de connaissance » (ibid., p. 164). L’objectif de la pensée complexe n’est pas de « donner toutes informations sur un phénomène étudié mais de respecter ses diverses dimensions » (id.).

Enjeux épistémologiques et méthodologiques de notre recherche

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Comme le souligne Leplat (2015 [1996], p. 52), cette complexité n’est pas intrinsèque à l’objet, mais elle provient « du modèle qu’on en fait »1. En ce sens, la complexité

est définie par l’éthique et l’exigence du chercheur. C’est son regard qui rend l’objet complexe.

Dans notre recherche, cette exigence de complexité caractérise deux objets : l’objet de notre analyse et le processus même d’analyse. D’une part, nous considérons le travail des professionnels RH et la contribution des ergonomes comme des objets complexes – multidimensionnels et dynamiques. D’autre part, pour rendre compte de cette complexité, notre processus de recherche se doit d’articuler plusieurs méthodologies et se doit de confronter et tisser plusieurs types de données.

Toutefois, comme le rappelle Wisner (1995 [1972], p. 97), « toute relation entre l'homme et son travail est si complexe qu'il ne saurait y en a avoir de description exhaustive ». L’ergonome-chercheur doit donc avoir le souci de définir un modèle opérant, lui permettant une analyse du travail « orientée pour aboutir à une action » (ibid., p. 98). Il faut que son modèle puisse être utile à l’analyse d’autres situations.

Finalement, notre méthodologie de recherche est donc sous-tendue par une exigence de complexité et d’opérabilité du modèle.

5.4.2. Positionnement d’intervenant-chercheur : enjeux