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Conclusion du chapitre

Section 2.2 Offre de prévention en France : un manque d intervention du médecin ? Analyse institutionnelle

2.2.2 Médecine libérale et prévention en France : état des lieu

2.2.2.3 Quels sont les facteurs de blocage institutionnels pour la prévention en médecine générale ?

2.2.2.3.1 Un déficit d organisation de la médecine générale

Il est souvent reproché au système de santé français son absence de véritables soins primaires (Bourgueil [2006]). En l’absence de définition universelle, des divergences existant selon les frontières conceptuelles retenues, les soins primaires sont généralement entendus comme des soins de premier recours, globaux, continus, intégrés et accessibles (Macinko et al. [2003], Bourgueil et al. [2009a]). Les médecins généralistes en sont des acteurs essentiels (Bourgueil et al. [2007], Bourgueil et al. [2009a]). Il ne s’agit pas de nier la disponibilité de l’offre de médecine générale en France, la densité médicale étant tout à fait satisfaisante au regard des comparaisons internationales. Il s’agit plutôt de relever l’absence d’une organisation réfléchie des services de médecine générale, et plus largement, de structuration de soins primaires. Pour comprendre cette caractéristique forte du système français, il convient de se pencher sur les principes de la médecine dite libérale qui gouvernent le secteur ambulatoire.

Les principes déterminants de l’organisation actuelle de la médecine ambulatoire sont inscrits dans la charte de la médecine libérale de 1927 : libre choix du médecin par le patient, liberté d’installation, respect du secret médical, paiement direct par l’assuré, liberté thérapeutique et de prescription (Barnay et al. [2007]). Ces principes de la médecine libérale s’opposent par définition à toute organisation territoriale ou populationnelle, toute forme de hiérarchisation ou de structuration de l’activité, et au final, à toute tentative de définition d’un projet de soins primaires. En effet, les professions libérales de santé sont à la fois les médecins généralistes et spécialistes, de telle sorte qu’il n’y a pas de réelle hiérarchisation

internationale sur le sujet montre des approches différentes selon les frontières conceptuelles retenues. Trois approches types sont relevées, selon que les soins primaires sont définis comme un niveau de soins (première ligne), selon un ensemble de fonctions ou selon les professionnels qui offrent les services (traditionnellement les généralistes) (Bourgueil et al. [2009a]). Elles ont pour point commun de définir les soins primaires comme un premier contact du patient avec le système de santé pour la prise en charge des problèmes de santé commun (par opposition aux problèmes spécifiques et spécialisés). En France, les soins primaires ou de première ligne font référence à la médecine générale ambulatoire.

dans l’accès au système. Les professionnels de santé libéraux sont inégalement répartis sur le territoire en vertu du principe de liberté d’installation. En conséquence, la coordination des soins repose sur le patient et sur les relations entre professionnels sans que soit pensée une organisation des soins primaires (Bourgueil [2006]). Une comparaison avec d’autres pays industrialisés souligne ce déficit de structuration.

Bourgueil et al. [2009a] conceptualisent trois idéaux-types de modèles d’organisation des soins primaires à partir de l’observation de la réalité de divers systèmes de santé. La France relève d’un modèle dans lequel l’offre de soins ambulatoires n’est pas construite en référence aux objectifs des soins primaires, et qualifié de modèle professionnel non hiérarchisé. En comparaison, les deux autres modèles types structurent le système de soins autour des soins primaires, directement par l’État ou par le biais des professionnels de santé. Dans le modèle normatif hiérarchisé, en Finlande ou en Suède par exemple, le système est explicitement organisé par l’État autour des soins primaires. Dans le modèle professionnel hiérarchisé, exemplifié par le Royaume-Uni, c’est le médecin généraliste gatekeeper, pivot et responsable de l’entrée dans le système de soins, qui est placé au centre de l’organisation. Relativement aux différents modèles en vigueur, la France se positionne alors dans la catégorie la moins favorable. Et bien qu’elle ne soit pas seule à appartenir au modèle professionnel non hiérarchisé, c’est par exemple aussi le cas de l’Allemagne, il semble que son déficit d’organisation soit particulièrement marqué au sein même de cette catégorie.

Dans un travail visant à mesurer l’impact qu’ont les services de soins de première ligne sur les résultats de santé, Macinko et al. [2003] construisent un indicateur d’intensité des soins primaires par pays. Cet indicateur prend la forme d’un score qui tient compte à la fois d’éléments structurels et de pratique des soins primaires. A titre d’exemple, nous pouvons citer dans les éléments de structure l’existence de politique de régulation géographique à l’installation des médecins et l’accessibilité financière, mesurée par l’existence et l’importance des co-paiements pour les patients. Pour les éléments de pratique, citons les concepts de premier contact, mesuré par l’existence d’un système de gatekeeping, et de complétude des soins. Le score final obtenu en France illustre la faiblesse des soins primaires avec un résultat de 2 sur 20, alors que les pays les mieux placés, le Royaume-Uni et le Danemark, ont un score respectif de 19 et 18. Ces résultats portent sur la fin des années 1990, et sont à apprécier avec précaution en raison des modifications entraînées par la réforme de 2004, en particulier en raison du dispositif du médecin traitant et son corollaire en constitution

de liste de patients83. Ils fournissent néanmoins une indication de la relative faiblesse des soins primaires, en tant que système institué et rationalisé en France.

Ces résultats soulèvent les contradictions existantes entre le déficit d’organisation patent des soins primaires d’une part, et la volonté nouvelle de mettre en œuvre des politiques publiques de prévention par le biais des médecins généralistes d’autre part. La déclaration de l’importance des médecins généralistes, leur reconnaissance en tant qu’acteur de santé publique dans la loi de réforme de l’Assurance Maladie de 2004, sont certes des avancées nécessaires à l’amélioration de la prévention, mais ne sont en aucun cas des conditions suffisantes en l’absence d’organisation réfléchie et structurée des missions plus globales de la médecine générale. La loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires (HPST) de juillet 2009 prévoit quelques avancées en la matière. Elle définit pour la première fois des soins de premier recours et prévoit la mise en œuvre de Schémas régionaux d’organisation sanitaires (SROS) ambulatoires. Cependant, les SROS demeurent non opposables et les soins de premier recours sont définis dans les grandes lignes et pas de manière opérationnelle. Ces modifications futures semblent s’inscrire dans la continuité des précédentes réformes, c’est-à-dire des modifications marginales et parcellaires. Les expérimentations des réseaux de santé, mis officiellement en place en 1996 afin d’améliorer la coordination des soins, leur impossible généralisation et la persistance d’un financement sur la base de fonds d’innovation84, montrent à quel point il est difficile de créer un système de soins primaires organisé sur la base d’un héritage historique de médecine libérale indépendante, même s’il est vrai que les principes de la médecine libérale tels qu’ils étaient initialement édictés ne sont plus totalement d’actualité (Barnay et al. [2007]). Ainsi, bien qu’il ne pose pas de problème uniquement pour la prévention, le manque d’organisation de la médecine générale explique la difficulté à attribuer des objectifs précis à la profession et de lui donner les moyens de les atteindre, au-delà des déclarations d’intentions.

83

En appliquant les critères utilisés pour la construction de l’indicateur au système français après la réforme de 2004, le score de la France est de 4 sur 20. Il demeure donc très faible.

84

Les réseaux de santé sont financés par des fonds d’innovation de l’Assurance Maladie, initialement le Fonds d’amélioration de la qualité des soins de ville (FAQSV) et la Dotation régionale de développement des réseaux (DRDR), fusionnés depuis 2007 au sein du Fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS).

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