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Conclusion du chapitre

Section 2.2 Offre de prévention en France : un manque d intervention du médecin ? Analyse institutionnelle

2.2.2 Médecine libérale et prévention en France : état des lieu

2.2.2.2 mais des résultats encore insuffisants

Les réformes sont récentes et nous manquons encore de recul pour en évaluer l’efficacité. Cette sous-section ne prétend pas évaluer le succès des différentes réformes, ce qui nécessiterait des méthodes économétriques particulières dédiées à l’évaluation des politiques publiques. Elle prétend davantage donner des éléments de cadrage pour mieux saisir ce que représente l’activité de prévention. Une difficulté entache ce type d’exercice, à savoir la disponibilité des données. Il y a en effet assez peu d’information disponible pour mesurer la prévention réalisée en médecine libérale. Certaines informations proviennent d’enquête sur une base déclarative. Elles permettent d’évaluer globalement l’activité de prévention du médecin. D’autres proviennent de données administratives. Elles font écho aux objectifs individualisés mentionnés dans la section précédente. Ces dernières données sont très récentes mais ne sont malheureusement pas exhaustivement disponibles. Nous présentons dans cette section les principaux résultats des études qui mobilisent ces deux types de sources de données.

Les quelques enquêtes menées sur le thème de la pratique préventive du médecin généraliste indiquent une insuffisance globale de la prévention. Ainsi, dans une enquête menée auprès d’un panel représentatif d’une centaine de médecins généralistes bretons, 61% des répondants déclarent que la prévention occupe une place insuffisante ou très insuffisante dans leur pratique quotidienne (Levasseur et al. [2004]). De la même manière, Aulagnier et al. [2007a] relèvent dans une enquête auprès d’un panel de près de 600 médecins généralistes représentatifs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur que 56% des répondants déclaraient devoir s’impliquer davantage dans les actions de prévention. Du propre aveu des professionnels, la prévention représente donc une activité qui demeure trop peu réalisée.

Une étude menée en Rhône-Alpes montre que les pratiques de prévention sont déficientes

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L’aboutissement de cette logique est trouvée dans le Contrat d’amélioration des pratiques individuelles instauré mi-2009 et qui fixe des objectifs quantifiés, notamment de santé publique, aux médecins traitants et les assortit d’une rémunération. Ce contrat sera présenté en détail dans le prochain chapitre.

sur plusieurs aspects. Fantino et al. [2004] examinent les pratiques de prévention de 80 omnipraticiens avec une méthodologie particulière. Les auteurs recueillent l’information sur une demi-semaine d’activité et les médecins répondants indiquent pour chaque patient rencontré la prévention réalisée ou non au cas par cas. Cette approche évite les biais de mémoire qui pourraient entacher les réponses aux enquêtes. Un score de prévention est construit par thématique, selon qu’une action de prévention relevant du thème a été réalisée ou non par le médecin80. Dans l’ensemble, les scores sont particulièrement bas. Le score concernant le tabac est inférieur ou égal à 2 sur 5 neuf fois sur dix ; c’est le cas deux fois sur trois dans le cas de l’alcool. Le score de prévention est inférieur ou égal à 1 sur 4 dans 80% des cas pour la toxicomanie et pour la couverture vaccinale, et dans 90% des cas pour la prévention chez les personnes âgées. Enfin, le score dit d’activité préventive générale est inférieur ou égal à 1 dans deux tiers des cas. Les patients rencontrés dans ce cadre ont globalement des caractéristiques semblables à celles de l’ensemble des patients de la région. Cependant, cette étude porte sur un effectif réduit et une singularité des praticiens participants ne peut être exclue81. Elle montre que les actions de prévention sont insuffisantes dans leur ensemble, alors qu’Aulagnier et al. [2007a] aboutissent à une conclusion légèrement différente.

Aulagnier et al. [2007a] ne remettent pas en cause la faiblesse constatée des pratiques préventives. Cependant, ils relèvent que l’insuffisance touche les différentes pratiques préventives de façon bien plus variable. Les auteurs construisent également des scores de prévention, mais cette fois sur la base des déclarations des médecins répondants quant à la fréquence à laquelle ils effectuent une activité préventive donnée. Certaines activités sont plutôt bien réalisées puisque 80% des praticiens déclarent effectuer souvent à très souvent les actes suivants : proposer un dépistage du cancer du sein, repérer les problèmes de poids chez l’enfant et proposer une aide au sevrage tabagique. D’autres sont moins fréquemment

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Cinq thématiques sont retenues : tabac et alcool, toxicomanie, couverture vaccinale, prévention chez les personnes âgées, et un thème dit « activité préventive générale ». A l’exception du score pour le thème tabac- alcool, qui va de 0 à 5, les scores vont de 0 à 4. Un point est attribué pour la réalisation d’une action par thématique. Par exemple pour la prévention chez les personnes âgées, les quatre items sont : prévention de l’ostéoporose, examen sensoriel de la vision, de l’audition et réalisation d’un bilan cognitif.

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Signalons également une autre limite de l’étude : il n’y a pas de précision sur la construction du score. Nous ne pouvons pas savoir s’il est construit en rapport avec l’ensemble des patients, ou si le score est rapporté aux patients qui ont un besoin de prévention. Si c’est la première définition qui est retenue, il est normal que la prévention chez la personne âgée paraisse aussi faible et ne soit pas faite dans 70% des cas.

effectuées. Seuls 59% des médecins proposent fréquemment un test de dépistage du cancer du colon. Les carnets alimentaires pour les personnes obèses et la consultation annuelle de prévention sont très rarement offerts, par seulement 28% et 18% des médecins respectivement. Les écarts entre les diverses actions de prévention sont marqués, mais sans que des tendances puissent être dégagées. En effet, on constate que deux dépistages, relevant d’une même logique de prévention secondaire, ne sont pas proposés à des fréquences comparables.

Pelletier-Fleury et al. [2007a] retiennent une définition plus large de l’activité de prévention que celle habituellement utilisée. Les actions préventives sont catégorisées en prévention primaire et secondaire, et il est demandé à 75 médecins généralistes de la région parisienne de déclarer sur une échelle allant de 1 à 5 la quantité de prévention qu’ils réalisent auprès de chaque patient selon différentes conditions morbides. Les résultats montrent que la prévention secondaire est dans l’ensemble mieux réalisée que la prévention primaire. Le score moyen est assez faible pour la prévention primaire, égal à 2,3 sur 5. De plus, plus de la moitié des médecins déclarent effectuer très peu voire pas de prévention primaire. Pour la prévention secondaire, le bilan est moins négatif, le score moyen étant de 3,2 sur 5. C’est donc tout particulièrement la prévention primaire qui est lacunaire en médecine générale.

Certains actes de prévention semblent beaucoup plus réalisés que ce que les résultats de Fantino et al. [2004] ne laissaient entendre. Cependant, il faut garder à l’esprit la nature autodéclarative du niveau de prestation de la prévention dans les travaux d’Aulagnier et al. [2007a] et de Pelletier-Fleury et al. [2007a]. Un biais de désirabilité sociale, qui peut amener les médecins à surestimer leur offre de prévention ne peut être écarté, ce que confirment plusieurs études (Provost et Drouin [2005]). Par exemple, Cohen et al. [1994] montrent que les niveaux de prévention déclarés par les médecins sont plus élevés que ce que leurs patients indiquent. Les résultats d’Aulagnier et al. [2007a] et de Pelletier-Fleury et al. [2007] doivent donc être davantage vus comme représentant une fourchette haute, une image positive, sans doute surestimée, des pratiques effectives des médecins généralistes français, et montrent malgré tout une prévention offerte assez modestement.

Les travaux présentés ne permettent pas d’évaluer la « qualité » de la prévention, c’est-à- dire son adéquation au regard des recommandations de bonne pratique. Or Bachimont et al. [2006] soulignent, dans le cas de la prise en charge du diabète, que les recommandations de bonne pratique ne sont pas correctement appliquées par les médecins français. C’est pourtant la prestation de pratique préventive fondée sur des preuves scientifiques qui est souhaitable pour la santé publique. Il n’existe pas à notre connaissance d’étude qui permette d’évaluer

cette qualité. Il est en revanche possible de tenter d’appréhender la qualité de la prévention selon l’efficacité perçue par les médecins. Dans ce cas, la qualité est évaluée non en référence aux guides de pratique, mais selon que les professionnels de santé estiment que leur action de prévention atteint son but, en anticipant ou en contrôlant les risques sur la santé.

Les médecins généralistes se sentent généralement peu efficaces dans les activités à forte dimension éducative (addictions, alimentation, exercice physique) (Buttet et Fournier [2003], Fantino et al. [2004], Aulagnier et al. [2007a]). Par exemple, Buttet et Fournier [2003] montrent qu’ils ne sont que 30% à se sentir efficace dans le domaine de l’usage de drogue et 38% dans celui des problèmes liés à l’alcool. Aulagnier et al. [2007a] notent que ces proportions sont respectivement égales à 21% et 23%. Le sentiment d’efficacité est en revanche bien plus important dans les activités préventives à plus fortes dimensions techniques, plus proches de leur pratique quotidienne traditionnellement curative. A titre d’illustration, ils sont entre 90% et 96% à se sentir efficace pour les dépistages des cancers (Buttet et Fournier [2003], Aulagnier et al. [2007a]). Ces résultats sont en cohérence avec la plus grande faiblesse constatée pour la prévention primaire, notamment par Pelletier-Fleury et

al. [2007a]. En effet, hormis la vaccination, la prévention primaire relève essentiellement de

pratiques éducatives pour lesquelles les médecins se sentent peu efficaces. Il semble raisonnable que les médecins mettent moins facilement en œuvre des actions pour lesquelles ils ne sont pas convaincus de l’efficacité, ou réciproquement, que les pratiques soient peu efficaces parce que pas réalisées.

Les conclusions des enquêtes soulignent les faiblesses globales de l’activité de prévention, faiblesse confirmée par les données administratives. Cette seconde source d’information issue des systèmes de facturation des dépenses de soins permet d’identifier certaines actions préventives directement imputables aux médecins, et fait écho aux objectifs de la loi de santé publique de 2004, présents dans les conventions médicales. Par rapport aux taux attendus de 75% de vaccination contre la grippe chez les 65 ans et plus et de 80% de dépistage du cancer du sein dans la population féminine concernée, les taux atteints sont respectivement de 63% et 65% en juin 2009 (CNAMTS [2009b]). Surtout, les sources de données administratives montrent l’existence d’une forte hétérogénéité dans les pratiques. Or cette forte hétérogénéité concerne les activités préventives qui semblaient les mieux réalisées, relevant de la prévention secondaire.

Ce point peut être illustré par le dépistage du cancer du sein. Rappelons qu’en France, le dépistage de ce cancer fait l’objet d’une campagne organisée, mais que de nombreux

dépistages continuent d’être effectués de façon spontanée. Il convient donc de retenir ces deux types de dépistage pour évaluer la réalisation de ces actions, bien que certains auteurs soutiennent que seuls les dépistages organisés sont susceptibles de garantir une amélioration des taux de mortalité des cancers concernés (Faivre et Dancourt [2002], Berchi [2004]). En 2008, d’importantes variations entre les taux de dépistage sont constatées, puisque 23% des médecins ont un taux d’au moins 80% de femmes dépistées dans leur patientèle, alors que 10% des praticiens ont à peine la moitié de leurs patientes dépistées. La répartition précise des taux par médecins est donnée à la figure 4.

Figure 4 : Dispersion des taux de dépistage du cancer du sein par médecin généraliste

Légende : DO : dépistage organisé Source : CNAMTS [2009a], p.9

Nous avons tenté ici de dresser un portrait de la situation de la prévention en médecine générale ambulatoire. Cette approche est évidemment limitée par la disponibilité des données et ne fournit qu’une image partielle de l’activité préventive effectuée par le médecin. Cependant, elle donne des indications très utiles et permet de tirer quelques conclusions. Premièrement, la prévention est globalement offerte de manière modeste par le professionnel de santé. C’est sans doute le résultat le plus franc, le moins discutable, dans la mesure où les données d’enquête et administratives convergent sur ce point : tous les médecins sont loin de déclarer effectuer fréquemment des actions de prévention et les objectifs fixés par les autorités

sanitaires ne sont pas atteints. Deuxièmement, les diverses actions de prévention sont réalisées de manière inégale. Il semble que la prévention primaire, en particulier à forte dimension éducative, soit la plus lacunaire. Les médecins se sentent peu efficace en la matière. Enfin troisièmement, les résultats de prévention secondaire sont très disparates, malgré une offre plus fréquente et un fort sentiment d’efficacité des professionnels. Les lacunes en termes de prévention offerte en médecine ambulatoire paraissent donc nombreuses.

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Les pouvoirs publics, avec l’Assurance Maladie, ont pour objectif de mobiliser plus activement le médecin dans la politique de prévention. Des réformes allant dans ce sens ont été présentées au cours de la section précédente. Au-delà de cette récente reconnaissance de l’importance de la dimension préventive de l’activité médicale, la participation du médecin n’est pas acquise en raison d’un environnement institutionnel inadapté : d’une part, on ne peut écarter le paradoxe qui peut résulter d’une confrontation entre des objectifs de prévention déclarés de la part de l’Assurance Maladie et des règles institutionnelles d’ordre macroéconomique qui relèguent implicitement la prévention au second plan ; d’autre part, et peut-être surtout, c’est à un niveau « méso » de l’environnement institutionnel du médecin qu’existent des blocages. Les médecins traitants sont dans leur immense majorité des médecins généralistes. Or, la médecine générale souffre en France d’un manque d’organisation réfléchie en comparaison à d’autres pays industrialisés. La formation des médecins est très lacunaire en matière de santé publique et centrée sur le curatif : une explication de ce phénomène vient de l’attention quasi-exclusive à la formation de spécialistes hospitaliers avec pour corollaire une médecine générale dévalorisée. Ces phénomènes agissent de concert en défaveur de la prévention.

2.2.2.3 Quels sont les facteurs de blocage institutionnels pour la prévention

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