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Résultats empiriques sur l impact des modalités de rémunération des médecins

Inciter l offre de prévention : incitations monétaires, non monétaires et motivations du médecin

Section 3.1 Incitations des principaux modes de rémunération des médecins

3.1.1 Modalités de rémunération et activité médicale

3.1.1.2 Résultats empiriques sur l impact des modalités de rémunération des médecins

Les résultats empiriques confirment dans l’ensemble que les médecins sont sensibles aux incitations du mode de rémunération : ils semblent réagir dans le sens attendu par la théorie. Les confirmations empiriques sont toutefois rendues difficiles puisque c’est à des formes complexes, et non pures, de système de paiement que nous avons à faire dans les systèmes de

santé91. Les études les plus pertinentes sont celles qui profitent de la coexistence de plusieurs modalités de rémunération dans un même système ou d’un changement de modalité de paiement des médecins.

Premier constat global, les pays où le paiement à l’acte est dominant dans la rémunération des médecins ont des dépenses de santé plus élevées que ceux où les deux autres modes sont majoritaires (Fujisawa et Lafortune [2008], Albouy et Déprez [2009]). Le paiement à l’acte serait donc bien inflationniste. Il faut bien sur interpréter ce résultat avec précaution, le mode de rémunération des médecins n’étant pas le seul facteur explicatif des dépenses de santé. Ce mode de rémunération est d’ailleurs lié à l’environnement institutionnel : le paiement à l’acte est plus volontiers retenu dans les systèmes bismarckiens, plus dépensiers, alors que les paiements prospectifs sont utilisés dans les systèmes beveridgiens, où les dépenses de santé sont contenues.

Les travaux comparant l’impact du paiement à l’acte relativement à d’autres modes de rémunération soulignent néanmoins que ce schéma de rémunération incite à la multiplication des actes. Avec ce mode de paiement, les médecins passent moins de temps par patient et ajustent leur activité quand ils sont confrontés à un choc tarifaire ce qui confirme une induction de la demande en paiement à l’acte. Nous nous concentrons ici autant que possible sur les études les plus récentes.

La rémunération à l’acte est associée à un nombre de consultation par patient plus important. Sørensen et Grytten [2003] estiment cet effet en Norvège relativement au salariat. Les médecins généralistes y sont soit salariés du gouvernement local, soit sous contrat avec le gouvernement et payés majoritairement à l’acte. Les auteurs contrôlent l’effet de sélection dans un de ces deux contrats et estiment que les médecins généralistes rémunérés à l’acte réalisent une production de service entre 23 et 40% supérieure aux médecins salariés. La différence s’explique à la fois par davantage d’heures de travail et une meilleure productivité horaire. Devlin et Sarma [2008] comparent la production des médecins généralistes au Canada selon différents schémas de paiement : paiement à l’acte, salariat et diverses combinaisons. Les médecins sont libres de choisir la rémunération qu’ils préfèrent92 et les

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En conséquence, toutes les études empiriques ne relèvent pas un lien très fort entre le mode de rémunération et l’activité des médecins. C’est notamment le cas de Carlsen et al. [2003] en Norvège, de Hurley et Labelle [1995] au Canada et de Keeler [1996] aux Etats-Unis.

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Pour être exact, les modes de rémunération sont associés à diverses organisations. Par exemple au Québec, les médecins travaillant en centres locaux de services communautaires (CLSC) sont salariés alors qu’ils sont payés à

auteurs contrôlent l’effet de sélection pour estimer un effet incitatif relatif pur du paiement à l’acte. Selon le mode de rémunération auquel il est comparé, le paiement à l’acte accroît le nombre de consultations entre 35 et 58%. Avec une méthodologie similaire et en se limitant à l’Ontario, Sarma et al. [2009] obtiennent des résultats proches et estiment l’accroissement entre 27% et 31%. Le paiement à l’acte encourage donc bien fortement les médecins généralistes à multiplier leurs actes.

Cet accroissement de la productivité peut être un avantage du paiement à l’acte. Mais on voit cependant se confirmer les inconvénients attendus : une diminution du temps par patient et une demande induite.

La question du temps passé par service est abordée par Dumont et al. [2008] sur données québécoises. Les auteurs profitent d’une réforme de la rémunération des spécialistes : d’un paiement essentiellement à l’acte les spécialistes ont, depuis 1999, la possibilité de passer à un paiement mixte, qui combine un salaire et une rémunération à l’acte. Dans le paiement mixte, le montant des actes est réduit relativement au schéma à l’acte classique. Ce changement conduit les médecins à augmenter le temps passé par service auprès de chaque patient d’environ 4%. Ce résultat suggère l’existence d’un arbitrage qualité – quantité avec le paiement à l’acte : ce système peut conduire les médecins à voir trop de patients et à réduire la qualité appréciée par la durée des consultations.

L’induction de la demande est un phénomène pour lequel les mesures empiriques sont d’une grande difficulté et les résultats controversés (cf. partie I, section 21123). Nassiri et Rochaix [2006] montrent que les médecins payés à l’acte réallouent leur activité vers les actes les plus rémunérateurs. Les auteurs analysent les réactions de médecins généralistes québécois face à des chocs tarifaires, l’introduction et le retrait de plafonnement du nombre d’actes au- delà duquel le montant de l’acte est très fortement réduit. Sur les cinquante procédures les plus fréquentes, ils montrent que pour défendre leur revenu face à un plafonnement, les médecins augmentent le nombre de procédures techniques et plus lucratives, et qu’ils augmentent leur activité globale de près de 8% lorsque le plafond est levé. Une partie de l’augmentation de l’activité inhérente au paiement à l’acte peut donc correspondre à une induction de la demande, non nécessairement justifiée par des critères médicaux.

Les paiements prospectifs incitent également les comportements des médecins dans le sens attendu par la théorie. Avec la capitation, le taux d’adressage vers d’autres professionnels

de santé augmente. En salariat, les praticiens accordent plus de temps à chaque patient mais sont moins productifs.

L’effet du paiement à la capitation sur les décisions de renvoi à d’autres structures médicales a fait l’objet d’une étude norvégienne (Iversen et Luras [2000]). Les auteurs profitent d’une expérience naturelle de modification de rémunération de certains médecins norvégiens. Quatre villes ont réduit le paiement à l’acte et introduit une rémunération à la capitation. Les taux d’adressage de ces médecins sont comparés à ceux des médecins qui demeurent payés à l’acte. Le renvoi vers les spécialistes est accru chez les médecins partiellement rémunérés à la capitation. Une étude plus ancienne trouve un résultat similaire au Danemark (Krasnik et al. [1990]). La modification de rémunération va dans ce cas du paiement à la capitation vers la rémunération à l’acte. Pour être exact, les médecins de la ville de Copenhague sont payés sur un mélange de capitation et d’acte, alors que les autres médecins restent rémunérés en capitation. Les médecins de Copenhague adressent moins de patients à des spécialistes et à l’hôpital que ceux rémunérés uniquement à la capitation, ce qui confirme l’effet de ce mode de rémunération sur les taux d’adressage.

Il n’existe pas à notre connaissance d’étude empirique qui vérifie l’effet de la capitation sur l’écrémage des risques. Ce constat est partagé par Gosden et al. [2006] dans leur revue de littérature sur l’impact des principaux modes de rémunération des généralistes. En revanche, les médecins se comportent comme le prédit la théorie lorsque le forfait de la capitation intègre un budget pour l’ensemble des soins fournis aux patients, ce que confirment Dusheiko

et al. [2006]. En Grande-Bretagne, la réforme du GP Fundholder de 1991 confie au médecin

la responsabilité de l’ensemble des soins prescrits aux patients. Ce mécanisme de rémunération est abandonné en 1999. Les auteurs étudient l’effet de la réforme sur les chirurgies programmées auprès d’un large panel de généralistes anglais et montrent que l’abolition du fundholding conduit à un accroissement de ces actes entre 3,5 et 5,1%, ce qui suggère une forme de rationnement des services.

Enfin, avec le salariat, les consultations sont plus longues, le nombre d’actes par patient et le nombre de patients par médecin sont réduits et le taux d’adressage est moindre. C’est en synthèse le résultat issu de la revue de la littérature sur les effets du salariat réalisée par Gosden et al. [1999]. L’effet sur la durée des consultations du salariat a été retrouvé dans l’étude de Dumont et al. [2008] citée plus haut. Ajoutons pour cette même étude que les auteurs confirment l’effet positif sur les activités non cliniques (enseignement, recherche, administration) qui augmentent de 8% avec une rémunération combinant salaire et paiement à

l’acte relativement à un paiement à l’acte pur. Le temps de travail consacré aux patients est en revanche réduit de 2,5%. Combiné à l’augmentation de la durée de chaque acte, ce résultat indique que le salariat diminue la productivité du médecin pour les actes médicaux. Il s’agit là d’un résultat retrouvé dans l’essentiel de la littérature, hormis par l’étude de Gosden et al. [2003].

Pour conclure sur les résultats empiriques, il est intéressant de mentionner les résultats particulièrement originaux de Hennig-Schmidt et al. [2009] qui étudient les propriétés des modalités de rémunération à l’aide de l’économie expérimentale. Dans le cadre d’une expérience en laboratoire auprès d’étudiants en médecine, ils comparent l’impact de deux schémas de paiement purs, le paiement à l’acte et la capitation, sur la quantité de services médicaux fournis. Ils confirment que le nombre d’actes produits par les médecins rémunérés à l’acte est supérieur à celui en capitation. Ils montrent de plus que relativement aux quantités optimales de soins attendues d’après leur modèle théorique, le paiement à l’acte incite à produire des quantités supérieures et la capitation un nombre inférieur. Si la faiblesse de l’étude tient à ce que les médecins ne pratiquent pas d’actes réels et qu’ils soient encore étudiants en médecine, son intérêt est de confirmer les principaux résultats empiriques précédents dans un environnement strictement contrôlé.

Les médecins sont sensibles aux incitations monétaires créées par leur mode de rémunération et semblent réagir dans le sens attendu par la théorie économique. Le schéma de paiement peut alors être un outil pertinent pour orienter les comportements des médecins vers la prévention. Il nous faut donc examiner la nature des incitations véhiculées par chaque schéma de rémunération pour la prévention.

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