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Approches économiques de la prévention : d une analyse centrée sur la demande à une analyse de l offre de prévention

Section 1.3 Interventions publiques face aux échecs de marché : apports et limites

1.3.1 L État et la prévention comme bien tutélaire

Le rôle de l’État dans l’analyse néoclassique est d’intervenir face aux échecs de marché, échecs identifiés dans l’approche microéconomique des comportements de prévention. Dans ce cas, l’État supplée au marché. Mais il a également pour mission de produire des biens qui ne peuvent être produits par le marché, les biens publics purs, ou du moins d’organiser la production de certains biens, les biens tutélaires. Or, la prévention présente certaines caractéristiques de ces biens.

En se remettant à la définition d’usage en économie, un bien public pur doit posséder la double caractéristique de non rivalité (la consommation du bien par un individu ne réduit pas la quantité disponible pour les autres) et de non exclusion (il n’est pas possible d’exclure un agent de la consommation du bien). La première propriété est également qualifiée d’indivisibilité (Guerrien [2002]). On peut noter ici la proximité existant entre les concepts de bien public et d’externalité. En effet, un bien public est un bien pour lequel il est impossible

Sunstein [2003]). Par exemple, la direction d’une société peut décider de retirer les plats riches en graisse du menu du restaurant d’entreprise pour limiter les risques d’obésité parmi ses employés. Mais dans le cas de la prévention, la combinaison d’externalités, d’information imparfaite et de risque moral amène à considérer la prévention comme un bien tutélaire et justifie que le paternalisme soit mis en place par l’État.

pour un agent privé d’exclure d’autres consommateurs, qui, en raison de l’indivisibilité, bénéficient d’une jouissance du produit identique. Il y a une forme d’externalité, le bien générant des bénéfices involontaires pour d’autres individus que celui qui le paye et sans contrepartie. Le raisonnement fonctionne également en négatif. Une sous-section consacrée a montré que la prévention est concernée par les externalités, positives comme négatives. Nous ne reviendrons donc pas sur ces arguments, mais ces externalités sont à même de légitimer la nature publique du bien « prévention ».

La question centrale est ici celle de la pureté du bien public. Un bien public est pur s’il possède simultanément les deux caractéristiques présentées plus haut. L’analyse peut aussi se concevoir selon qu’il y a ou non obligation d’usage (Guerrien [2002]) : s’il y a obligation, le bien public est pur, il n’est pas intéressant pour un agent privé de produire ce bien, car le niveau qu’il faut produire va dépasser son bénéfice privé. Le niveau de production ne permet pas dans ce cas de s’assurer un profit et le producteur se retirera du marché. De plus, s’il y a obligation d’usage, il n’est pas possible de faire payer la production du bien par les utilisateurs en fonction de l’importance que chaque agent lui accorde. En effet, même si chacun a individuellement intérêt à ce que le bien soit produit, il n’a également pas d’incitations à révéler ses préférences en la matière en raison des problèmes de passager clandestin. Seul le financement par l’impôt est possible (Guerrien [2002]).

Ainsi la prévention peut être considérée comme un bien public pur lorsqu’il y a obligation d’usage. Les campagnes de vaccination obligatoire donnent une illustration de cette obligation d’utilisation. Il est vrai en revanche que tous les vaccins ne sont pas soumis à une obligation, et que l’obligation résulte d’un choix des pouvoirs publics. Mais dans ce cas comment justifier la pureté supposée du bien ? On aboutit à un raisonnement où la réglementation se justifie parce que les vaccins sont considérés comme un bien public en raison d’externalités, ce qui est tout à fait cohérent, mais où les vaccins sont un bien collectif pur parce qu’il y a obligation d’usage, obligation parce qu’il y a réglementation, bien public qui devient pur en raison de l’intervention de l’État, alors que c’est justement la pureté du bien qui est censée justifier l’ingérence de l’État. En résumé, le processus de réflexion est très insatisfaisant, et la prévention ne paraît pas être un bien public pur.

Considérer la prévention comme un bien collectif pur s’avère tout aussi ardu si l’on s’en remet au critère d’indivisibilité. Plus exactement, tout dépend si l’on fait référence à la prévention à l’échelle individuelle ou collective. Au niveau individuel, les mesures de prévention médicale ne sont pas indivisibles. Les vaccins, les dépistages sont parfaitement

divisibles. Il n’y a pas de rivalité dans l’usage, une fois qu’un vaccin ou un dépistage est consommé, il n’est plus disponible pour les autres agents28. Mais on peut également raisonner à un niveau collectif, et considérer que les vaccinations et les dépistages ont pour objectif le contrôle des épidémies au niveau national, contrôle qui lui est indivisible, ou plus globalement encore, l’amélioration de la santé publique. Soit l’épidémie est contrôlée pour tous sur le territoire, soit elle ne l’est pour personne. La prévention est dans ce cas indivisible29. L’important est de bien séparer la nature des arguments.

Si l’on considère la prévention au niveau individuel, seuls les échecs de marché justifient la nécessité d’intervention de l’État. Le risque moral ne peut être éliminé par l’assurance privée, les externalités ne sont pas résorbables par les seuls choix individuels, et l’imperfection de l’information n’a pas de solution par le marché. Dans ce cas, la prévention est un bien tutélaire. Le rôle de l’État en la matière n’est absolument pas remis en cause. Mais si l’on analyse la prévention au niveau collectif, alors l’indivisibilité, certes partielle, légitime la prévention en tant que bien public et une intervention plus marquée encore de l’État. La différence résulte, non de l’intervention, mais du degré d’intervention, l’ingérence étant plus marquée pour un bien public que tutélaire. Une série d’arguments peut alors justifier une responsabilité plus grande de l’État en termes de prévention.

D’une part, une partie de la prévention ne sera clairement pas produite par le marché. C’est le cas pour les produits néfastes pour la santé, où la prévention consiste justement à ne pas consommer les biens. La prévention est dans cette optique un bien « en creux », définit par opposition à la consommation nocive, un bien virtuel qui ne peut être proposé sur un marché. Le marché ne peut en effet fonctionner, exister, et c’est une évidence, que si un entrepreneur privé dégage un profit de sa production. Dans le cas contraire, le bien ne sera purement et simplement pas produit. Car comment produire un bien qui ne peut être vendu ? L’État dispose, et nous le montrerons au cours de cette section, de moyens pour limiter la consommation de bien nocifs, ou dit autrement, la non-prévention. Le raisonnement tient à ce que la prévention augmente lorsque la consommation nocive diminue. Mais ces instruments ne sont d’aucune aide si l’on cherche à produire ce type de prévention, que l’on peut assimiler à de l’éducation pour la santé. Le rôle de l’État est alors d’intervenir directement en effectuant

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Il en va de même pour la consommation de cigarette ou d’alcool, même si ces produits sont plutôt de la non- prévention.

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Dans une approche lancastérienne, on peut faire l’hypothèse que le contrôle de la maladie est un attribut de la prévention.

sa production, par des campagnes de promotion de la santé par exemple.

D’autre part, si les modèles de comportement présentés au cours de la section 112 reconnaissent le caractère aléatoire de l’occurrence des risques, ils considèrent que les individus ajustent leur comportement en présence de situations à risque. Plus précisément, le risque est maîtrisable, et les individus ont le choix d’éviter ou de contrôler le risque, par le recours à la prévention, ou bien de courir le risque. La décision de fumer ou non, de se faire vacciner ou pas, relève de processus décisionnels individuels, influencés par diverses caractéristiques propres à l’individu (âge, genre, éducation, etc.) ou à l’environnement (assurance ou non, prix des soins…), mais font l’impasse sur l’occurrence de risques incontrôlables ou collectifs. Ils ignorent un large spectre de risques collectifs que l’individu ne peut choisir de maîtriser ou de courir, mais qu’il subit. Les exemples de ces risques collectifs ne manquent pas, qu’il s’agisse des catastrophes naturelles ou du réchauffement climatique, et plus particulièrement en termes sanitaires, des problèmes de l’amiante, de l’affaire du sang contaminé ou de la vache folle ayant marqué l’histoire récente en France. Ces risques subis et incontrôlables sont du seul ressort de la puissance publique. Pour ces risques spécifiques, la prévention est un bien public.

Au final, la prévention peut être considérée comme un bien public plus ou moins impur, plus probablement un bien tutélaire. Car si le caractère pur du bien collectif est variable et discutable, la prévention est incontestablement un bien tutélaire à placer sous le paternalisme de l’État. Nous allons désormais examiner les moyens d’intervention de l’État en matière de prévention, en commençant par les instruments financiers.

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