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Une présentation synthétique de la thèse de la demande induite

Conclusion du chapitre

Section 2.1 Le rôle du médecin en matière de prévention : influence sur les comportements et action dans la politique publique

2.1.1 Le rôle du médecin dans l élaboration de la demande de prévention

2.1.1.2 Induction de la demande

2.1.1.2.1 Une présentation synthétique de la thèse de la demande induite

La thèse de la demande induite fait l’objet de vifs débats dans la littérature économique en santé. Les nombreuses synthèses (notamment Béjean [1994], Rochaix et Jacobzone [1997a], Trinquard [2006]) nous dispensent d’un exposé détaillé. En revanche, il est nécessaire de présenter les grands traits de cette thèse pour en saisir les implications quant à la demande de prévention.

Il convient dans un premier temps de bien distinguer le mécanisme de la demande induite

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On pourrait objecter que cette incertitude sur le résultat de l’action vaut aussi pour l’avocat, où rien ne garantit que son action amènera nécessairement à gagner un procès. Cependant, c’est la combinaison de l’incertitude avec la nature très personnelle du résultat de l’action qui rend la relation médicale si particulière et confère au médecin un grand pouvoir discrétionnaire.

de celui de la demande révélée. Le concept de la demande révélée désigne une situation où l’offre permet à une demande préexistante de s’exprimer en ouvrant un nouveau marché. Comme le souligne Béjean [1994], les cas de demande révélée recouvrent une grande variété de situations : installation d’un nouvel hôpital, découverte de nouvelles techniques, mise à disposition de nouveaux équipements ou arrivée de nouveaux médecins dans une zone déficitaire sont autant d’exemples de situations pouvant conduire à révéler la demande. En présence de demande révélée, il n’y a pas de problème à l’application du paradigme standard de marché. Une demande non satisfaite en l’absence d’offre peut l’être, les quantités et les prix s’équilibrent par le jeu du marché, l’indépendance entre offre et demande est sauvegardée… ce qui n’est plus du tout le cas avec la demande induite.

La demande induite s’applique elle, non pas à un nouveau marché, mais à un marché déjà existant. La demande induite désigne la capacité de l’offre à modifier, voire à créer, la demande. Demande et offre ne sont pas indépendantes, puisque l’utilisation du pouvoir discrétionnaire par le médecin l’autorise à modifier les perceptions du patient sur son propre service. L’incitation à induire la demande résulte du double rôle du médecin, à la fois expert conseiller du patient et producteur du service. Il modifie dans un premier temps les perceptions du patient, pour en bénéficier dans son offre de service dans un second temps. De par l’asymétrie, source du pouvoir discrétionnaire, le médecin peut prescrire un niveau de service différent de ce que ferait le patient s’il avait le même niveau information que le praticien (De Jaegher et Jegers [2000]). Dans une interprétation en termes de théorie du capital humain, le médecin peut induire le patient à croire que la valeur de la santé et/ou de la productivité de l’investissement en services médicaux est plus élevée qu’elle ne l’est réellement (Culyer [1990] in Béjean [1994]) 45 . Deux types d’induction sont traditionnellement distingués : par les quantités et par les prix. Le pouvoir discrétionnaire permet au médecin d’induire le patient à croire qu’il a besoin de plus de services médicaux ou que la valeur des services qu’il propose est plus élevée. Plus qu’une remise en cause de l’indépendance entre l’offre et la demande, la thèse de la demande induite retire toute autonomie au patient. En réponse à une variation exogène de l’offre de services médicaux, le

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Notons également que Bardey [2002] donne une interprétation originale de la demande induite en la considérant en tant que phénomène de sélection adverse. Il considère à juste titre que le médecin n’a initialement aucun pouvoir sur l’apparition des pathologies qui entraînent les consultations. L’induction n’est finalement qu’une manipulation de l’information privée obtenue par le médecin lors du diagnostic, soit un phénomène de sélection adverse.

médecin peut faire varier la demande pour conserver son revenu.

Le pouvoir d’induction est mobilisé selon les tenants de la thèse de la demande induite en cas de choc exogène, qui concerne principalement une hausse de la densité médicale (Evans [1974]). Alors que l’accroissement de la densité médicale conduit à une réduction des honoraires en réponse à une réduction de la part de marché des médecins dans les modèles de marché concurrentiel, il incite les médecins installés à recourir à leur pouvoir discrétionnaire pour contrer l’effet de la diminution de la part de marché sur le revenu selon les tenants de la demande induite. Un même phénomène a des implications radicalement différentes selon le cadre théorique d’analyse retenu. Au-delà de ces deux mécanismes basiques, les médecins peuvent aussi agir à un niveau plus fin pour induire la demande, en modifiant la répartition de leurs actes, en substituant des actes techniques plus rémunérateurs aux actes plus simples et moins lucratifs (Rochaix et Jacobzone [1997a], Nassiri et Rochaix [2006]).

Bien entendu, la possibilité de recours à l’induction de la demande par le médecin dépend fondamentalement des paramètres institutionnels du système de santé. En France, la médecine ambulatoire est organisée en deux secteurs46, le secteur 1 à honoraires fixes et le secteur 2 à honoraires administrés. Dans le secteur 1, seule une induction par les quantités est possible alors que dans le secteur 2, les médecins peuvent répondre à une hausse de la densité médicale par les prix et par les quantités. Dans les deux secteurs, les médecins peuvent agir sur la structure d’activité. Si l’on se réfère au travail originel (Evans [1974]), l’induction de la demande ne concerne que les réponses à une modification de la densité médicale. Mais le médecin peut tout à fait mobiliser son pouvoir discrétionnaire en réponse à toutes modifications des caractéristiques institutionnelles susceptibles de grever son revenu, comme une baisse des honoraires administrés ou un gel de ces tarifs, ce que soulignent les travaux de Lise Rochaix (Rochaix [1993], Nassiri et Rochaix [2006]).

La thèse de la demande induite est néanmoins très critiquée et la critique principale peut être formulée comme telle : si le médecin dispose d’un pouvoir discrétionnaire absolu et qu’il peut l’utiliser pour répondre à des chocs exogènes, pourquoi ne l’utilise-t-il pas directement pour augmenter son revenu ?

Deux types de modèles sont proposés pour répondre à cette critique. Le premier consiste à introduire de nouveaux arguments dans la fonction d’utilité que le médecin maximise,

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Précisons qu’il existe un autre secteur, celui des médecins non conventionnés par l’Assurance Maladie. Il représente un effectif très marginal en France qui peut être négligé.

arguments qui fournissent une limite endogène à l’utilisation du pouvoir discrétionnaire. Citons notamment le coût psychologique de l’utilisation du pouvoir discrétionnaire par le médecin (Evans [1974]), source de désutilité. Citons également des arguments qui procurent une utilité au médecin à ne pas abuser du pouvoir discrétionnaire, à savoir le respect de l’éthique professionnelle (Zweifel [1981]) et l’altruisme, entendu comme la prise en compte des préférences des patients (De Jaegher et Jegers [2000]). Néanmoins, ce groupe de modèle est critiqué pour le caractère ad hoc de la démarche.

Le second type de modèle modifie l’hypothèse comportementale de maximisation pour la transformer en recherche d’un revenu cible (Evans [1974]). L’hypothèse de revenu cible postule que le médecin recherche un certain niveau de revenu et d’activité. C’est l’écart entre les niveaux réels de revenu et d’activité et leurs niveaux cible qui dicte l’utilisation du pouvoir discrétionnaire, dans la limite de l’atteinte des niveaux désirés. Le modèle de revenu cible est pour sa part critiqué en raison de l’indétermination de la cible. Il est difficile d’expliquer tant le choix de la cible par un médecin que les différences de cibles au sein de la profession, ce qui ôte toute valeur prédictive au modèle (Rochaix [1997])47.

Cette présentation succincte de la thèse de la demande induite et de ses limites nous a permis d’évoquer les controverses que cette approche suscite. Voyons maintenant ce qu’implique son application à la prévention.

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