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Assurance et comportements de prévention : autoprotection et auto assurance

Approches économiques de la prévention : d une analyse centrée sur la demande à une analyse de l offre de prévention

Section 1.1 Comportements individuels et demande de prévention

1.1.2 Systèmes assurantiels et prévention

1.1.2.1 Assurance et comportements de prévention : autoprotection et auto assurance

limitent pas à des conséquences financières. Nous nous concentrerons sur les risques médicaux, notamment par les arbitrages entre soins préventifs et curatifs en présence d’assurance dans une seconde sous-section.

1.1.2.1 Assurance et comportements de prévention : autoprotection et auto-

assurance

Ehrlich et Becker [1972] développent une théorie de la demande d’assurance en incertitude classiquement fondée sur la théorie de l’utilité espérée. Le recours à l’assurance répond à un besoin de se prémunir contre un risque financier, une perte de revenu. L’assurance est achetée contre versement d’une prime qui couvre l’individu face aux pertes éventuelles liées à la réalisation de l’événement aléatoire néfaste. Les auteurs introduisent la possibilité pour les individus d’adopter des comportements de prévention face aux risques de deux types. Ils distinguent les comportements d’autoprotection (self-protection) et d’auto- assurance (self-insurance). L’autoprotection correspond aux actions entreprises pour réduire la probabilité d’occurrence de l’événement néfaste et l’auto-assurance désigne les actions dont l’objectif est de réduire le montant des dommages lorsque le sinistre survient. L’individu dispose alors de trois possibilités pour se prémunir contre le risque : acheter une police d’assurance, adopter des comportements d’auto-assurance ou d’autoprotection. Les auteurs étudient alors le choix entre assurance et auto-assurance, puis entre assurance et autoprotection.

Si cette définition de la prévention vise avant tout à caractériser les risques financiers, elle peut aisément être appliquée aux actions de prévention en santé. En effet, la prévention primaire relève de pratiques d’autoprotection alors que la prévention secondaire et la prévention tertiaire sont assimilables à des activités d’auto-assurance (Dervaux et Eeckhoudt [2004]). Bien que le modèle d’Ehrlich et Becker [1972] présente des limites quant à l’application directe à la santé, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, il permet de dégager un certain nombre de résultats intéressants.

des substituts. Deux états de la nature sont considérés dans le modèle, survenue ou non du sinistre. Ainsi, lorsqu’un individu adopte des comportements d’auto-assurance, il supporte un coût d’investissement dans chacun de ces deux états de la nature, qui réduira son revenu si l’événement néfaste ne se réalise pas, et qui limitera sa perte en cas de sinistre. L’espérance de la perte est plus élevée en moyenne en présence d’auto-assurance, mais la variance des pertes est réduite à la façon d’un contrat d’assurance. Assurance et auto-assurance réduisent le risque en redistribuant les revenus de façon similaire, des périodes sans sinistre vers les périodes avec sinistre. Signalons que l’individu valorise d’autant plus ces deux activités qu’il est plus risquophobe. Mais surtout, ces deux instruments sont substituables car lorsque la taille des pertes reste inchangée, une augmentation du prix de l’assurance entraîne à la fois une baisse de la demande d’assurance et une hausse similaire des activités d’auto-assurance.

Les auteurs analysent ensuite les choix entre autoprotection et assurance. Si assurance et auto-assurance répondent à un même objectif de redistribution du revenu, l’activité d’autoprotection, visant une réduction de la probabilité d’occurrence de la perte, laisse cette distribution du revenu inchangée. L’investissement en autoprotection modifie les probabilités des états de la nature mais ne réduit pas les pertes en cas de sinistre. Ehrlich et Becker [1972] expliquent également que les incitations à recourir à l’autoprotection ne dépendent pas de l’attitude des individus vis-à-vis des risques. Contrairement à l’interaction claire entre assurance et auto-assurance, l’assurance influence l’autoprotection dans deux directions opposées : d’un coté, elle réduit le gain marginal de l’autoprotection en diminuant l’écart entre les revenus dans les deux états de la nature ; d’un autre coté, elle encourage l’autoprotection si le prix de l’assurance diminue lorsque l’investissement en autoprotection augmente, autrement dit si la prime d’assurance est « juste » (fair price) et reflète fidèlement la probabilité d’occurrence des sinistres.

La littérature inscrite dans la filiation du modèle d’Ehrlich et Becker [1972] s’est concentrée sur les conséquences de l’attitude vis-à-vis du risque, et de l’impact de la prudence sur les comportements de prévention des risques financiers. Les travaux sur l’aversion au risque ont notamment confirmé la substituabilité entre assurance et auto-assurance (Chang et Ehrlich [1985]). Dans le cadre d’un modèle où les agents sont risquophobes, les auteurs montrent que lorsque le prix de l’assurance devient plus « juste », i.e. lorsqu’il reflète les efforts individuels en autoprotection, les individus substituent l’assurance de marché à l’auto- assurance. Dionne et Eeckhoudt [1985] et Briys et Schlesinger [1990] ajoutent qu’un individu plus averse au risque aura tendance à s’engager dans des activités d’auto-assurance mais pas

nécessairement d’autoprotection. Jullien et al. [1999] précisent l’effet attendu sur l’autoprotection et expliquent qu’une aversion plus grande au risque n’augmente le niveau optimal d’effort en autoprotection que si la probabilité initiale de perte est suffisamment faible. Les auteurs soulignent en effet que, pour une probabilité d’occurrence de l’événement néfaste élevée, il est préférable pour un agent de réduire la taille des pertes que de limiter le risque de pertes. Ils montrent alors que l’effort d’autoprotection augmente avec l’aversion au risque si et seulement si la probabilité de perte est inférieure à un niveau p*, niveau dépendant de l’espérance d’utilité d’un agent neutre au risque, de celle d’un agent risquophobe et du niveau optimal d’autoprotection. C’est donc uniquement sous certaines conditions spécifiques qu’il est possible d’identifier un effet clair sur l’autoprotection.

Une direction prise dernièrement par les modèles approfondissant le travail d’Ehrlich et Becker [1972] concerne l’impact de la prudence sur l’autoprotection. Depuis Kimball [1990], la prudence est définie en économie comme une mesure de la disposition à accumuler des richesses face à un risque sur les revenus futurs. Avec cette définition très précise et spécifique, un agent est prudent si la dérivée troisième de sa fonction d’utilité est positive. Eeckhoudt et Gollier [2005] traitent de l’influence de la prudence sur la prévention et trouvent, étonnement, que celle-ci tend à réduire les comportements d’autoprotection. La raison en est que la prudence amène les individus à accumuler des richesses face aux risques futurs, et ainsi à négliger les dépenses d’investissement en prévention. Qui plus est, les auteurs montrent qu’un agent prudent, qu’il soit risquophobe ou risquophile, réalisera moins d’effort d’autoprotection qu’un agent neutre vis-à-vis du risque. Autrement dit, Eeckhoudt et Gollier [2005] montrent que c’est davantage la prudence que l’aversion au risque qui détermine les décisions d’autoprotection.

Bien que le modèle séminal d’Ehrlich et Becker et ses développements aient permis d’effectuer une distinction fondamentale dans les types de prévention et d’enrichir la compréhension des décisions individuelles en présence d’assurance, ils présentent des limites en termes de nature des risques considérés, en particulier pour leur application à la santé.

Nous l’avons dit, il est tout à fait possible de rapprocher les concepts d’autoprotection et d’auto-assurance des trois types de prévention (primaire, secondaire, tertiaire) retenus en santé publique. Toutefois, sans aménagement, les décisions en santé sont interprétées sous l’angle unique et restrictif d’une protection face au risque financier. La fonction d’utilité est en effet unidimensionnelle dans les modèles présentés, le seul argument étant la richesse. L’agent adopte alors un comportement de prévention de la maladie uniquement pour se prémunir des

pertes de revenu liées à la cette dernière. Or le risque sanitaire diffère du risque financier, en particulier parce que la santé est un bien irremplaçable (irreplaceable commodity), au sens qu’il ne lui existe pas de substitut sur le marché (Cook et Graham [1977]).

De plus, Ehrlich et Becker considèrent uniquement l’assurance comme alternative à la prévention. Mais face au risque sanitaire, l’alternative à la prévention est assez logiquement le traitement de la maladie. L’éventail des actions possibles s’en trouve enrichi : pour se protéger des risques médicaux, l’individu a le choix entre assurance, soins médicaux, autoprotection et auto-assurance. Et ces actions peuvent être complémentaires ou substituables pour l’agent. Nous allons alors nous pencher plus particulièrement sur les modèles qui ont cherché à mieux caractériser le risque santé, et préciser la nature et les interactions entre actions possibles pour faire face aux risques sanitaires.

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