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Le risque moral ex-ante peut-il être éliminé par l assurance ?

Approches économiques de la prévention : d une analyse centrée sur la demande à une analyse de l offre de prévention

Section 1.2 Inefficacités de marché et conséquences sur les comportements de prévention

1.2.2 Risque moral et prévention

1.2.2.1 Le risque moral ex-ante peut-il être éliminé par l assurance ?

Le risque moral ex-ante signifie que l’assurance réduit les comportements de prévention des assurés relativement à une situation sans assurance. En présence d’un tel risque moral, l’assureur voit le risque supporté s’aggraver et ses coûts s’accroître, et l’assuré verra en retour le prix de l’assurance augmenter17. L’assureur cherche en conséquence à réduire le phénomène d’aléa moral.

Les solutions initialement mises en avant par les économistes pour lutter contre le risque moral consistent soit à proposer une couverture partielle des risques, soit à observer les comportements des assurés (Shavell [1979]). Dans le premier cas, il s’agit de responsabiliser financièrement l’assuré en le laissant exposé en partie au risque financier. Puisqu’il devra supporter une partie des coûts, l’assuré sera incité à davantage de prévention. Dans le second cas, l’assureur sera en mesure de répercuter la prise de risque de l’individu sur la prime d’assurance s’il observe les comportements individuels avant l’établissement du contrat, ou sur la compensation offerte après la réalisation du risque dans le cas d’une observation postérieure. Il n’y a alors plus d’intérêt pour l’assuré à réduire ses efforts d’autoprotection. Bien que cette seconde éventualité soit analysée dès le modèle théorique proposé par Shavell [1979], elle semble peu réaliste. On voit en effet assez mal comment un tiers pourrait observer parfaitement les comportements de prévention, par exemple la consommation d’alcool ou l’alimentation, pour l’intégrer dans le montant de la prime ou moduler le remboursement une fois le risque avéré. L’inobservabilité des comportements est une caractéristique centrale qui crée les conditions favorables à l’apparition du risque moral ex-ante. C’est donc la première solution, l’assurance partielle, qui a marqué la théorie des assurances.

Toutefois, ce résultat ne porte que sur le risque financier. Lorsqu’on s’intéresse aux risques médicaux, le risque moral ex-ante n’agit plus seulement sur le revenu des assurés (cf.

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Dans le cas d’un système d’assurance privé, cela se traduit directement par la prime versée par l’assurée. Dans le cas d’une assurance publique, le raisonnement demeure valide, l’augmentation du prix de l’assurance passe par les cotisations sociales ou l’impôt.

section 1121) mais également sur leur état de santé. La rétribution financière de l’assurance ne peut à elle seule compenser les pertes liées à la dégradation de la santé. Si la couverture du risque financier généré par la maladie permet d’accéder à des traitements coûteux, rien ne garantit que ces traitements permettront un rétablissement complet de l’état de santé du malade. De plus, la dégradation de la santé est associée à divers coûts non monétaires (douleur, stress…) qui ne peuvent être assurés. Formellement, il faut alors considérer une fonction d’utilité bidimensionnelle du genre de celle proposée par Eeckhoudt et al. [1998], où l’individu maximise une espérance d’utilité qui dépend de son revenu et de son état de santé. L’importance de l’aléa moral ex-ante et les solutions à ce problème sont alors différentes.

Bardey et Lesur [2004] considèrent un modèle d’utilité bidimensionnelle additivement séparable, où la fonction d’utilité v est telle que v w h( , )=u w( )+ , avec w la richesse et h h

l’état de santé de l’agent. Une telle fonction permet de prendre en compte l’impact positif de la prévention sur l’état de santé, la prévention ayant également pour effet de réduire le différentiel d’état entre la pleine santé et la maladie. Un premier résultat important de ce travail est de montrer que même dans le cas d’une fonction intégrant la spécificité des risques médicaux, le problème du risque moral ex-ante persiste. En effet, les auteurs prouvent qu’en situation d’information imparfaite et à l’équilibre, les assurés choisissent une couverture assurantielle complète et effectuent un effort de prévention moindre par rapport à l’effort optimal en information parfaite. Toutefois, ils montrent contrairement à Shavell [1979] que l’effort de prévention n’est jamais nul, et ce dès lors que la variation d’état de santé est suffisamment importante. Ainsi si le risque moral ex-ante ne disparaît pas en assurance maladie, il est moins marqué lorsqu’on considère l’influence de la prévention sur l’état de santé.

Bardey et Lesur [2004] remettent également en question un des résultats de Shavell [1979] selon lequel il serait optimal d’introduire une franchise dans le contrat d’assurance en présence d’aléa moral. Ils montrent que si une franchise reste optimale pour des pathologies entraînant des variations d’état de santé faibles, elle ne l’est plus du tout pour des pathologies plus lourdes, pour lesquelles une incitation naturelle à la prévention existe afin d’éviter une dégradation trop marquée de l’état de santé. Pour ce type de pathologie, la franchise n’est non seulement plus optimale et réduit le bien-être des assurés, mais elle augmente le coût des efforts de prévention pour ces derniers. Au final, dans le cas des risques médicaux, il devient plus délicat d’atteindre l’optimum en présence de risque moral.

recherche de Bien [2004] qui spécifie trois types de risques maladie, bénin, malin non sévère et malin sévère définis comme suit : le risque est dit bénin lorsque l’individu récupère totalement son état de santé initial, contrairement à un risque malin ; un risque est considéré comme malin sévère quand la dégradation de l’état de santé est forte. L’autre apport du travail de Bien [2004] est de considérer une fonction d’utilité non restrictive, pour laquelle la richesse et l’état de santé ne sont pas indépendants. L’hypothèse d’indépendance, retenue notamment par Bardey et Lesur [2004], est en effet critiquable dans la mesure où la perception du risque financier dépend de l’état de santé (Viscusi et Evans [1990]).

L’hypothèse d’une fonction d’utilité restrictive ne semble que peu préjudiciable puisque Bien [2004] obtient des résultats similaires à Bardey et Lesur [2004]. Ainsi, il confirme dans un premier temps qu’en information imparfaite et pour un risque maladie malin, une couverture assurantielle complète n’incite pas nécessairement au risque moral ex-ante. Cependant, caractériser deux types de risques malins et considérer que l’utilité marginale de la richesse dépend de l’état de santé de l’individu permet à l’auteur d’apporter un éclairage nouveau, notamment en s’intéressant à l’aversion au risque financier. L’auteur étudie alors les conditions d’équilibre en présence de risque moral ex-ante. Il montre qu’une couverture complète est optimale pour un risque malin non sévère si l’assuré est suffisamment averse au risque financier. Par ailleurs, pour un risque malin sévère et un agent peu averse au risque financier, seule une couverture nulle est optimale.

Deux conclusions peuvent être dégagées de ces résultats. La première est que seule une solution extrême, l’absence d’assurance, est optimale pour un risque maladie lourd dans certains cas. La réponse au problème parait paradoxale puisque pour maintenir l’optimalité face au problème de l’aléa moral ex-ante, phénomène qui apparaît en présence d’assurance rappelons-le, la solution consisterait à ne plus proposer d’assurance ! La seconde conclusion, plus fondamentale, est qu’en présence d’aléa moral ex-ante, seule la connaissance par l’assurance du degré d’aversion au risque financier des agents permet d’atteindre l’optimum. Si l’on admet qu’il est très difficile, voire impossible, pour l’assureur d’observer les comportements des agents - ce qui est à la base du raisonnement en information imparfaite et du risque moral - il est malaisé d’imaginer que l’assureur puisse observer l’aversion au risque financier de ses assurés et recourir au contrat adapté. Dans ces conditions, l’optimum ne semble pouvoir être atteint en présence d’aléa moral ex-ante en recourant uniquement à des mécanismes assurantiels.

Les modèles théoriques nous enseignent que le risque moral ex-ante persiste en assurance maladie, même si c’est de façon moins importante que dans d’autres types d’assurance. De plus, en présence d’aléa moral ex-ante, lorsque la nature du risque médical est prise en compte, l’optimum ne peut être atteint par les mécanismes mis en place par l’assurance sur le marché. Au vu des conséquences théoriques, il est essentiel d’évaluer empiriquement l’importance du risque moral ex-ante.

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