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Modèle de demande de santé et variables d influence de la demande de prévention

Approches économiques de la prévention : d une analyse centrée sur la demande à une analyse de l offre de prévention

Section 1.1 Comportements individuels et demande de prévention

1.1.1 Modèles de capital humain et prévention

1.1.1.2 Modèle de demande de santé et variables d influence de la demande de prévention

La contribution du modèle de demande de santé ne se limite pas à préciser la demande de prévention en plus de la seule demande de soins médicaux. Il participe notamment à définir des variables qui influencent les comportements préventifs. Que ce soit dans le modèle initial ou dans ses extensions, l’influence de l’éducation, de l’âge, du stock initial de santé et de la préférence pour le présent est interrogée.

Le lien entre l’éducation et la santé a été très tôt questionné, en raison sans doute de la filiation du modèle initial de Grossman avec les modèles de capital humain. Si la corrélation entre ces deux variables semble indéniable, le sens de causalité qui les unit est sujet à débat. Celle-ci peut aller de l’éducation vers la santé par l’amélioration des connaissances individuelles. C’est l’hypothèse faite dans le travail pionnier de 1972, où le stock de capital humain, améliore l’efficience de la production de santé du ménage. L’éducation améliorerait l’efficacité allocative de la production de santé, car les individus disposant de plus d’information réalisent des choix d’inputs de santé plus adaptés. Inversement, une meilleure santé peut faciliter l’accès au système éducatif et à la formation. Enfin, la causalité simple peut être remise en cause par l’existence d’une variable médiatrice cachée.

i E

Grossman [2004] souligne que les résultats théoriques et empiriques vont plutôt dans le sens d’une causalité de l’éducation vers la santé. Nous ne présentons ici que les résultats qui concernent la prévention. Les différents travaux indiquent que les individus plus éduqués adoptent des comportements plus sains. Kenkel [1991] trouve que l’éducation réduit la consommation de tabac et d’alcool, et augmente l’exercice physique. Pour les comportements de soins préventifs, Kenkel [1994] note que l’éducation est un déterminant important de la

demande de dépistage des cancers du sein et du col de l’utérus. Genier et Jacobzone [1998] trouvent une relation croissante entre le niveau d’éducation et la prévention sur données françaises de l’enquête Santé de l’INSEE 1991-1992 en contrôlant l’effet revenu. Mullahy [1999] rapporte que l’éducation est associée à une propension plus élevée à se faire vacciner contre la grippe, en particulier pour les individus de plus de 65 ans. Park et Kang [2008] s’intéressent à l’éducation, en considérant l’enseignement secondaire, et à la prévention par les comportements de santé. Ils trouvent une influence positive de l’éducation sur l’activité physique, mais pas sur la consommation de tabac et d’alcool12.

Toutefois, l’influence d’une troisième variable dans la relation éducation-santé demeure pertinente. La relation entre l’éducation et la santé est effectivement vérifiée par le biais des connaissances sur la santé, mais l’effet de l’éducation persiste même lorsque les différences de connaissances sont contrôlées (Kenkel [2000]). L’influence de la variable cachée dans la relation éducation-santé trouve éventuellement sa source dans l’hétérogénéité inobservée entre les individus, selon leurs caractéristiques physiques, comme leur stock initial de santé, ou selon leurs caractéristiques psychiques, telles que leur préférence pour le présent.

Cropper [1977] analyse la première l’influence du stock initial de santé sur les décisions d’investissement. Les individus avec un faible stock vont construire leur capital santé par des investissements en début et milieu de vie, puis le laisser décliner alors que ceux avec un fort stock vont d’abord le laisser se réduire en début de vie, puis investir jusqu'à un pic, et laisser décliner leur capital jusqu’en fin de vie. Alors que Cropper [1977] recourait à des comparaisons d’équilibres statiques, Ehrlich et Chuma [1990] développent un modèle dynamique de demande de santé dans lequel les choix individuels dépendent de la dotation initiale en santé des individus. L’intuition des auteurs repose sur le constat d’un écart d’espérance de vie entre hommes et femmes sur une période allant de 1901 à 1982 aux États- Unis. L’espérance de vie des femmes à la naissance est en effet supérieure à celle des hommes, et le différentiel de longévité s’accroît avec l’âge. Ehrlich et Chuma [1990] expliquent ces écarts de la manière suivante : un stock de capital de santé plus élevé augmente la valeur accordée à ce capital et accroît la demande de prévention. À stock de capital santé plus élevé, l’investissement en santé est plus productif (Ehrlich et Chuma [1990], p.776). Ainsi, les femmes, disposant d’un stock de capital santé plus élevé, investiraient davantage dans leur

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Notons que la thématique du lien entre santé et éducation est d’une grande actualité en économie, comme le montrent les travaux de Albouy et Lequien [2009] et Silles [2009]. Ces derniers travaux ne traitent cependant pas de la prévention.

santé que les hommes. Si le stock initial de santé parait déterminant, l’âge des individus ne doit pas être oublié.

Dans la théorie du capital humain, l’âge a une influence importante sur les décisions d’investissement car les individus ont des incitations à investir différentes en fonction de la période où ils se situent dans leur cycle de vie. Au même titre que les autres formes de capital humain, l’âge oriente les choix d’investissement en capital santé, et plus spécifiquement a un rôle différent quant aux demandes de soins et de prévention. Kenkel [2000] compare à ce titre les modèles de Grossman [1972] et de Cropper [1977]. Dans le modèle initial de Grossman, le taux de dépréciation du capital santé augmente avec l’âge. Il en résulte que si l’élasticité prix de la demande de santé est inférieure à un, l’investissement en santé s’accroît avec l’âge, et les soins médicaux sont demandés pour rétablir le stock de capital santé souhaité. En revanche, Cropper [1977] montre que l’investissement en santé, vu comme une demande de prévention, varie dans le sens inverse de l’âge lorsque la durée de vie est exogène. Son modèle introduit une incertitude sur l’occurrence de la maladie, et établit que l’investissement en santé décroît à mesure que l’âge avance et que le bénéfice marginal de l’investissement se réduit. En effet, les individus plus âgés étant plus proches de la mort, le retour sur investissement a lieu sur une période plus courte. Le recours à la prévention se réduit donc avec l’âge.

Cropper souligne que la différence de résultat avec le modèle de Grossman s’explique par la conception de l’investissement en santé retenue : alors que Grossman considère un investissement en santé en partie régénérateur (i.e. curatif), Cropper considère uniquement cet investissement comme une mesure préventive, limitant la probabilité de maladie. De plus, ces résultats de Cropper sont obtenus sous l’hypothèse forte d’une durée de vie exogène, sur laquelle l’évolution du capital santé n’a pas d’influence. Lorsque le taux de dépréciation du capital augmente avec l’âge et que la durée de vie est endogène, l’auteur obtient des résultats similaires à ceux de Grossman. L’investissement régénérateur prend le pas sur l’investissement préventif.

Ces résultats sont corroborés empiriquement par Kenkel [1994]. Son étude montre une diminution avec l’âge du recours aux dépistages des cancers du sein et du col de l’utérus. Cette conclusion est cohérente avec une baisse de prévention imputable à une période de retour sur investissement plus courte. Mais l’auteur reconnaît que cette explication n’est pas la seule possible, et qu’elle est spécifique aux mesures de prévention concernées dans l’étude de Kenkel, à savoir les dépistages. Deux effets sur la demande de prévention sont distingués : l’effet du cycle de vie, qui tend à réduire le recours aux services préventifs, et l’effet du risque

de santé, qui tend à augmenter ces recours car les risques augmentent avec l’âge. L’effet du cycle de vie se combine avec celui du risque de santé et c’est l’importance relative de chacun de ces effets qui détermine si la prévention augmente ou diminue avec l’âge. Si la demande de prévention se réduit avec l’âge pour le dépistage, des interventions de prévention primaire pourraient être influencées par l’âge de manière différente. Par exemple, les bénéfices de santé sont obtenus plus rapidement chez les personnes âgées dans le cas de l’exercice physique (Kenkel [2000]). Cette mesure aurait un taux de dépréciation plus faible chez ces personnes que chez des individus plus jeunes, ce qui réduirait l’effet imputable au cycle de vie. Une dernière extension du modèle porte sur le lien entre préférence pour le présent et santé.

Le rôle déterminant de la préférence pour le présent apparaît dans de nombreux travaux. Fuchs [1982] et Farrell et Fuchs [1982] sont parmi les premiers travaux à suggérer ce point. Pour ces auteurs, les individus avec une faible préférence pour le présent investissent plus dans l’éducation et dans la santé, en adoptant notamment des comportements de prévention. La relation entre éducation et santé serait biaisée par cette variable. Ces premiers travaux n’ont cependant pas été en mesure d’identifier l’effet propre à la préférence pour le présent en raison de la difficulté à mesurer cette variable. Un ensemble de travaux subséquent ont porté sur la validation ou la critique de cette hypothèse (Becker et Murphy [1988], Ehrlich et Chuma [1990], Becker et Mulligan [1997]).

Le modèle d’Ehrlich et Chuma [1990] présenté plus avant montre notamment qu’un taux de préférence pour le présent plus faible augmente tant la demande de longévité que l’investissement en santé optimal. La préférence pour le présent joue un rôle similaire dans le modèle d’addiction rationnelle de Becker et Murphy [1988]. Deux types de biens sont considérés, les biens sains et les biens nuisibles, dont les conséquences futures d’une consommation actuelle sont prises en compte par des individus rationnels. Les auteurs montrent qu’une augmentation de la préférence pour le présent accroît la demande de biens nuisibles et réduit celle de biens sains. Ils en tirent des conséquences en termes de comportements préventifs, notamment que les individus adoptant des comportements à risques sont plus orientés vers le présent, alors que ceux adoptant des comportements de prévention sont davantage orientés vers le futur. Becker et Mulligan [1997] émettent l’hypothèse alternative d’une causalité inverse entre préférence pour le présent et santé. Ils développent un modèle de préférence endogène pour le présent et expliquent que ce sont les différences en santé qui provoquent les différences de préférences pour le présent : en réduisant le risque de mortalité, une meilleure santé augmente les niveaux d’utilité futurs et

diminue la préférence pour le présent. Que ce soit l’hypothèse initiale ou son alternative, le lien entre la préférence pour le présent et la santé n’a pas encore fait l’objet de validation empirique13. Quoi qu’il en soit, ces travaux ont mis en avant l’importance d’un ensemble de paramètres sur la demande de santé14.

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L’approche du capital santé considère la demande de prévention comme un élément de la demande de santé. La prévention a pour objet d’entretenir et d’accroître le capital santé. Malgré ses apports, l’approche du capital humain en santé omet un élément un important de la gestion du capital santé, à savoir la présence du risque et la possibilité de l’assurer. C’est ce qu’une autre catégorie de modèles de comportement, inspirée de la théorie des assurances, se propose d’analyser.

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