• Aucun résultat trouvé

Conclusion du chapitre

Section 2.1 Le rôle du médecin en matière de prévention : influence sur les comportements et action dans la politique publique

2.1.2 Le médecin, acteur des politiques publiques de prévention : justifications et potentialités

2.1.2.2 Quel potentiel du médecin pour favoriser la prévention ?

2.1.2.2.3 Le médecin généraliste et la prévention

L’intervention du médecin dans la transmission d’information aux patients a été particulièrement étudiée et montre la pertinence de politiques qui mobilisent cet acteur pour fournir une information validée aux individus et amener à des changements de comportements. Le potentiel du médecin ne se limite pas à cet aspect de sa pratique. Les mesures de prévention relèvent également d’une activité technique, une offre de service qui dépasse la simple transmission d’information, avec les vaccins, les dépistages ou la prophylaxie.

Le médecin, en particulier le médecin généraliste, est un acteur qui est en relation fréquente et suivie avec la population. Ainsi en France, 85% de la population a eu recours à un médecin généraliste dans l’année d’après l’Enquête Santé décennale 2002-2003 de l’INSEE63 (Lanoë et Makdessi-Raynaud [2005]). Le nombre moyen de recours au généraliste est également important, bien que variable selon l’age et le genre, puisqu’il est en moyenne de 4 recours chez les hommes et de près de 5 pour les femmes64. Cette position particulière dans le système de soins lui assure une connaissance individuelle du patient, et donc de ses facteurs de risques et de son mode de vie. De plus, par son approche globale, le médecin généraliste

63

Le taux varie légèrement selon le genre, avec un plus fort recours chez les femmes : 81,5% des hommes et 87,1% des femmes ont consulté un médecin généraliste dans l’année.

64

Nos calculs, sur la base des moyennes par tranche d’âge de Lanoë et Makdessi-Raynaud [2005]. Précisément la moyenne va de 2,2 recours pour les hommes âgés de 18 à 29 ans à 7,3 pour les femmes de 75 ans et plus.

peut évaluer l’ensemble des besoins de prévention du patient alors que les spécialistes se concentrent davantage sur les besoins liés à leurs spécialités (Roetzheim et al. [2001]).

La médecine générale, qualifiée également de médecine de soins primaires ou de médecine de première ligne dans la littérature internationale (Bourgueil et al. [2007]), est souvent considérée comme la pierre angulaire des systèmes de santé. Plusieurs auteurs, en particulier Barbara Starfield, ont consacré de nombreux travaux à l’analyse de l’effet global des soins primaires sur la santé des populations. Dans une revue de littérature récente, Starfield et al. [2005] soulignent que des soins primaires plus importants sont associés à de meilleurs résultats de santé, qu’il s’agisse d’indicateurs objectifs (mortalité générale, mortalité évitable) ou subjectif (santé physique ou mentale auto-déclarée). Par exemple, Shi et Starfield [2000] utilisent une enquête américaine auprès de 58000 personnes et trouvent, après avoir contrôlé de nombreuses variables sociodémographiques, que les individus ont une probabilité plus forte de déclarer une bonne santé lorsqu’ils vivent dans des états où la densité de médecins généralistes est plus importante.

Macinko et al. [2003] comparent 18 pays de l’OCDE sur la période 1970-1998 pour évaluer la contribution des services de soins primaires aux résultats de santé nationaux. Ils développent une échelle de mesure d’intensité des soins primaires et concluent que les pays où les services de première ligne sont plus importants ont une mortalité générale plus faible. L’importance des soins primaires est également associée à une mortalité prématurée plus réduite. Or la mortalité prématurée, évitable, qui correspond à des années de vie potentielles perdues, est un indicateur indirect de la qualité de la prévention. La mortalité prématurée s’explique notamment par des mauvaises habitudes de vie (tabac et alcool en particulier) ou des détections tardives de maladie et pourrait être réduite par un meilleur recours à la prévention. La médecine générale permettrait d’améliorer l’état de santé des individus, et la prévention pourrait être un vecteur par lequel ce progrès est réalisé.

Ainsi, le médecin généraliste semble central dans les actions de prévention, à la fois par ses contacts fréquents avec les individus et par sa contribution à la santé des populations. Il peut offrir et une intervention pertinente en matière de prévention, pour maintenir ou améliorer la santé de sa patientèle, et une intervention plus ciblée que les instruments macroéconomiques de l’État.

En effet, l’étude des instruments financiers des pouvoirs publics a permis de montrer le caractère régressif des taxes et les éventuels effets pervers des politiques de subvention pour

une partie de la population, en particulier la plus fragile et pour laquelle la prévention est insuffisamment réalisée. Ainsi, l’hétérogénéité des caractéristiques et des comportements individuels limite l’efficacité des interventions étatiques globales. Or le médecin, précisément parce qu’il connaît la population, est en mesure d’identifier des facteurs d’hétérogénéité inobservables à l’échelon central et de mettre en œuvre les stratégies préventives adaptées. Ce faisant, il relaie l’action des politiques nationales et l’individualise. En France, la connaissance du patient par son médecin généraliste est favorisée par une relation de long terme, puisque 80% des personnes ont le même médecin depuis plus de 5 ans (Bourdillon et

al. [2008]). De plus, l’accessibilité des médecins permet d’atteindre les populations les plus

sensibles, qui posent le plus de difficultés aux politiques globales : accessibilité financière d’une part, puisque la majorité des médecins généralistes est en secteur 165, sans dépassement, et que la Couverture Maladie Universelle et la Couverture Maladie Universelle Complémentaire fournissent un accès aux services médicaux gratuit pour les personnes défavorisées ; accessibilité géographique d’autre part, par la densité satisfaisante et la présence des professionnels sur l’ensemble du territoire qui crée un maillage territorial de proximité66.

C’est aussi parce qu’il peut faire le lien entre les risques individuels et collectifs que le médecin généraliste peut intervenir de façon plus ciblée dans la prévention. Les risques auxquels sont confrontés les individus ne sont pas seulement individuels mais résultent aussi de l’environnement dans lequel ils s’inscrivent. Le médecin peut avoir connaissance des risques de nature plus collective qui marquent le bassin de population de sa patientèle, et sont susceptibles d’impacter les individus (Bourdillon et al. [2008]). Il peut s’agir de risques environnementaux (plomb, radon…), infectieux (VIH, tuberculose…) ou liés à une forte précarité (notamment dépression et risque suicidaire). Le médecin peut d’une part aider les individus à adopter des comportements plus adaptés à des risques collectifs subis dont ils n’ont pas forcément conscience. Il peut d’autre part adapter les stratégies préventives aux spécificités territoriales : par exemple, dans une zone où la prévalence des maladies sexuellement transmissible est plus forte, le médecin insiste davantage sur la prévention de ces maladies. De même sur un territoire plus touché par la grippe, il agit en vaccinant mieux

65

Ce sont 91% des omnipraticiens qui pratiquent en secteur 1 en 2007 (Eco-Santé France 2009)

66

Ces avantages sont cependant à modérer. Il faut en effet signaler que certains médecins refusent l’accès aux personnes couvertes par la CMU, même si ce sont peu fréquemment des omnipraticiens, et que la couverture territoriale demeure assez inégalitaire, en particulier dans les zones sensibles ou rurales.

les personnes fragiles67. Armé de cette connaissance fine du patient dans son environnement, le médecin généraliste peut intervenir efficacement en prévention.

Dans une synthèse dressant un état des lieux des expérimentations de dépistage organisé du cancer colorectal, Faivre et Dancourt [2002] notent qu’il est clair que la remise des tests de dépistage par les médecins est la meilleure stratégie pour obtenir un taux de participation de la population satisfaisant, et permettre une réduction de la mortalité de ce cancer. Les taux de participation aux expérimentations de dépistage en France sont illustratives. Alors que le taux de participation se situe à 20% lors d’un simple envoi postal du test, la fourchette de participation varie de 43 à 58% selon les départements lorsque le test est remis par les médecins généralistes ou les médecins du travail68. Les explications données par les médecins semblent déterminantes dans l’incitation des individus à participer au dépistage (Faivre et Dancourt [2002]). Toujours dans le cas du dépistage du cancer colorectal, Mahboubi et al. [2007] montrent en France que les patients suivis régulièrement par un médecin généraliste ont des maladies significativement moins avancées et moins de complications que les patients non suivis par un généraliste. Ces travaux sur données françaises montrent que le médecin généraliste permet à la fois d’accroître la participation au dépistage et de dépister plus tôt. Ces résultats sont confirmés dans la littérature internationale.

D’autres approches examinent quantitativement le lien entre le nombre de médecins généralistes disponibles et des indicateurs de prévention. Plusieurs études américaines ont montré une association positive entre l’offre de médecins généralistes et la détection précoce de divers cancers, que ce soit du col de l’utérus (Campbell et al. [2003]), du sein (Ferrante et

al. [2000]), de la peau (Roetzheim et al. [2000]) ou du colon (Roetzheim et al. [1999]). Les

mêmes auteurs vont même plus loin et montrent que davantage de médecins généralistes permettent de réduire l’incidence et la mortalité du cancer colorectal (Roetzheim et al. [2001]). Les auteurs examinent l’association entre la part d’offre de soins primaires (médecins de famille et généralistes) dans l’offre médicale totale et l’incidence et la mortalité du cancer

67 Il convient néanmoins de noter que la connaissance du médecin reste conditionnée par l’information

épidémiologique et territoriale. Idéalement, l’information permet de connaître la situation sanitaire du territoire, mais elle n’est pas systématiquement disponible en France. Le potentiel du médecin généraliste en termes de santé publique n’est pas pleinement exploité (Bourdillon et al. [2008]).

68

On constate que le taux de participation demeure cependant relativement modeste par rapport à une participation idéale de 100%. D’après les auteurs de cette étude, il est nécessaire d’atteindre un taux de participation d’au moins 50%, au maximum tous les 2 ans, pour permettre une réduction significative de la mortalité.

colorectal dans 67 comtés de Floride. Leurs résultats soulignent que les comtés où la part de soins primaires est plus importante ont une incidence et une mortalité par cancer colorectal plus faible. De l’aveu même des auteurs, ces conclusions sont à prendre avec plus de précaution que les résultats relatifs à la détection précoce des cancers.

L’influence du nombre de médecins généralistes est également analysée dans le domaine de l’obésité. Un indice de masse corporelle élevé est un facteur de risque de nombreuses maladies qui peut être réduit par des mesures de prévention. En Grande-Bretagne, la prévention de l’obésité a lieu principalement en soins primaires et Morris et Gravelle [2008] montrent que les individus qui vivent dans des zones où la densité de médecins généralistes est plus élevée ont un IMC plus faible. Les auteurs contrôlent un éventuel problème d’endogénéité qui pourrait biaiser l’estimation de l’impact de l’offre médicale sur l’IMC, en raison de facteurs inobservables susceptibles d’affecter à la fois la densité de généralistes et l’IMC des habitants69. Ils estiment qu’une hausse de 10% de l’offre de généraliste permettrait de réduire en moyenne l’IMC d’1 kg/m². Les mesures de prévention mises en œuvre par les généralistes britanniques conduiraient à contrôler l’obésité.

* * *

Les études présentées suggèrent, certes de façon indirecte en recourant à la densité de médecins dans les zones d’intérêt, que les médecins généralistes ont une influence positive sur la prévention. Bien entendu, d’autres recherches sont nécessaires pour comprendre les mécanismes par lesquels une plus grande disponibilité de l’offre de médecins généralistes permet d’obtenir ces résultats. Ces travaux corroborent néanmoins les résultats des études plus précises sur la détection précoce des cancers qu’effectuent les généralistes et des études traitant de l’impact global des soins primaires sur la santé. Il parait alors relativement clair que les médecins généralistes sont des acteurs capables d’intervenir efficacement dans les politiques de prévention.

Le médecin n’est cependant pas un agent parfait. Bien qu’il ait le potentiel pour mettre en œuvre des actions de prévention, les intérêts du médecin peuvent l’écarter de stratégies préventives adéquates aux besoins individuels de prévention et collectivement souhaitables. Selon les montages institutionnels mis en place par les pouvoirs publics, le médecin sera plus

69

Par exemple, les médecins généralistes pourraient préférer s’installer dans des zones plus « riches » qui les conduiraient à avoir une patientèle avec un IMC plus faible, sans pour autant que la densité de généralistes ait un effet réel sur l’IMC.

ou moins fortement encouragé à se comporter en agent parfait. Il convient alors d’examiner la situation institutionnelle du système de santé français en matière de prévention et de santé publique.

Section 2.2 Offre de prévention en France : un manque d intervention

Outline

Documents relatifs