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Approches économiques de la prévention : d une analyse centrée sur la demande à une analyse de l offre de prévention

Section 1.2 Inefficacités de marché et conséquences sur les comportements de prévention

1.2.4 Anomalies dans les choix intertemporels

L’approche du capital humain a souligné que les agents maximisent une fonction d’utilité intertemporelle, soit qu’ils font des arbitrages entre les coûts et les bénéfices arrivant à différentes périodes de temps. Or, bien que ce type d’approche des comportements soit largement dominant en économie, il est de plus en plus reconnu que les arbitrages intertemporels peuvent être sujet à des anomalies (Frederick et al. [2002]).

Tout comme Frederick et al. [2002], nous distinguerons dorénavant la préférence pour le présent (time preference) et le time discounting26. La préférence pour le présent définit la préférence pour une utilité immédiate à toute utilité retardée. De façon plus générale, le time

discounting regroupe l’ensemble des facteurs qui conduisent une sous-valorisation des

évenements futurs dans les choix intertemporels. Cette sous-valorisation est effectuée à un certain taux, le taux d’escompte (discount rate) supposé condenser l’ensemble des raisons du

time discounting. La formalisation retenue habituellement est celle du discount utility model

de Samuelson [1937] (in Frederick et al. [2002]).

Le time discounting n’est a priori pas source de stratégies individuelles sous-optimales : bien que le présent soit davantage valorisé que le futur, les individus maximisent leur utilité de telle sorte que celle-ci soit maximale sur l’ensemble de leur vie. Cependant, cette formalisation largement dominante des choix intertemporels fait l’objet de nombreuses objections, en raison notamment de son faible pouvoir descriptif, synthétisées dans la revue critique de Frederick et al. [2002]. Ces critiques font état d’anomalies, et ce sont ces anomalies qui peuvent amener des choix intertemporels sous-optimaux. Plusieurs sources sont

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Les auteurs soulignent la difficulté propre à ce que les concepts utilisés dans la littérature sur les choix intertemporels sont désignés sous des termes différents. Nous nous conformons aux définitions proposées par Frederick et al. [2002]. De plus, nous préférons conserver ici l’expression anglaise de time discounting en l’absence de traduction satisfaisante.

possibles pour ces anomalies. On peut citer notamment les préférences hyperboliques et les problème de contrôle de soi (impulsivité, impatience, influences « viscérales »). Les préférences hyperboliques signifient que les personnes ont un taux d’escompte qui décroît avec le temps. Cela se traduit en ce que les individus préfèrent une petite récompense à court terme à une grande récompense à long terme, et il peut donc y avoir un renversement des préférences. Les problèmes de contrôle de soi désignent quant à eux le fait que les individus peuvent établir un plan de consommation intertemporel cohérent mais ne pas le respecter en cédant à des désirs immédiats, ce qui crée un écart entre les choix qui maximisent l’utilité sur leur durée de vie et leur choix effectifs.

Bien que dans une perspective de formalisation légèrement différente, les modèles d’addiction rationnelle accordent une place essentielle au taux d’escompte. Rappelons que ces modèles considèrent que les individus effectuent des choix de consommation de produits sains et nuisibles en tenant compte des conséquences futures de ces décisions (Becker et Murphy [1988]) (cf. section 1112). Deux hypothèses sont centrales dans ces modèles : la variation interpersonnelle de préférence pour le présent et la stabilité du taux d’escompte. Bretteville-Jensen [1999] teste ces hypothèses dans le cadre de l’addiction aux drogues. Pour ce faire, trois groupes sont considérés en fonction de la consommation de narcotique : un groupe constitué d’individus n’ayant jamais consommé, un groupe de consommateurs actifs et un groupe d’anciens consommateurs. L’auteur confirme la variation interpersonnelle, avec une préférence pour le présent plus élevée chez les consommateurs que dans le groupe n’ayant jamais consommé. Plus important, ses résultats remettent en question la stabilité du taux d’escompte. La comparaison des estimations fait apparaître un taux d’escompte significativement plus élevé pour les consommateurs actifs que pour les anciens consommateurs. Avec un taux d’escompte instable, il n’est pas possible pour un individu de maximiser son utilité intertemporelle, ce qui conduit à des choix de consommation sous- optimaux. Gruber et Köszegi [2001] proposent d’intégrer les préférences hyperboliques dans un modèle d’addiction rationnelle. Ils montrent qu’un agent peut consommer une quantité de biens nocifs supérieure à la quantité optimale, i.e. celle qui vaut dans un modèle d’addiction rationnelle classique. Les mêmes auteurs appliquent leur modèle théorique à la consommation de cigarettes (Gruber et Köszegi [2004]). Ils montrent que le modèle avec préférences hyperboliques, en incohérence temporelle, explique mieux les consommations de tabac que ceux où les agents sont temporellement cohérents.

nombreux à s’intéresser aux conséquences des anomalies en matière de prévention secondaire à l’exception de Byrne et Thompson [2001]. Le taux d’escompte est supposé constant dans la formalisation standard des choix intertemporels et une des anomalies constatées est relative à l’inconstance du taux d’escompte (time inconsistency). Prenant acte de cette variabilité, dans le cas particulier d’une forme de myopie temporelle, Byrne et Thompson [2001] traitent des décisions de dépistage. Dans un modèle à deux périodes, le recours à la prévention s’inscrit dans un schéma de type coût puis bénéfice : l’effort de prévention a un coût à la période actuelle dans l’attente d’un bénéfice à la période future. En présence d’anomalie sur le taux d’escompte, le présent est surévalué, et donc le coût de la prévention aussi, ce qui induit un effort préventif insuffisant. Ce résultat intuitif est généralisé dans le cas d’un modèle à quatre périodes. Dans ce cadre, l’agent représentatif peut effectuer un test de dépistage à la période 1 et s’engager dans des activités de soins à la période 2 indépendamment du résultat du test. A la période 3, l’individu est malade ou en bonne santé. Les auteurs arrivent à deux résultats importants. D’une part, ils prouvent que la préférence pour le présent en cas de time

inconsistency conduit à des comportements non optimaux ; d’autre part, ils concluent que la

situation optimale peut être rétablie par une politique publique de taxe ou de subvention des tests de dépistage.

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Les imperfections de rationalité que subissent les agents se conjuguent aux caractéristiques du marché de la prévention présentées tout au long de cette section. Elles renforcent les externalités, le risque moral et les problèmes d’information, et amènent indubitablement à des situations sous-optimales au sens de l’économie du bien-être. Toutes ces caractéristiques fournissent autant d’arguments pour une intervention de la puissance publique.

Section 1.3 Interventions publiques face aux échecs de marché :

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