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Conclusion du chapitre

Section 2.1 Le rôle du médecin en matière de prévention : influence sur les comportements et action dans la politique publique

2.1.2 Le médecin, acteur des politiques publiques de prévention : justifications et potentialités

2.1.2.2 Quel potentiel du médecin pour favoriser la prévention ?

2.1.2.2.2 Le médecin, vecteur d information crédible

L’imperfection de l’information des individus est une source d’inefficacité de marché indéniable en matière de prévention. La réponse logique et évidente de l’intervention publique consiste en la mise en œuvre de campagnes d’information du grand public. L’examen de la littérature a montré que les campagnes médiatiques pouvaient être d’une efficacité limitée et qu’il était souhaitable d’agir à un niveau plus fin. La personnalisation de l’information et la proximité du porteur du message permettent des modifications de comportements dans le cas où l’information générale est inefficace (Etilé [2004, 2006], Lundborg et Andersson [2008]). La perception de l’information est également déterminante. Seule une information crédible influence les comportements (Serror et al. [2009]).

Le médecin est particulièrement apte pour personnaliser et crédibiliser l’information. Par son statut, ses connaissances scientifiques et techniques, son savoir médical, il rend l’information crédible pour le patient. Le colloque singulier lui permet de mieux connaître le récepteur du message, son histoire sanitaire et ses facteurs de risques (Toussaint [2006]), et de personnaliser l’information selon les besoins de prévention du patient. Il peut également identifier des manques dans l’information du patient et ajuster le message aux circonstances spécifiques afin de combler ces lacunes.

Il n’existe pas d’outils ou d’études qui permettent de comparer l’action du médecin à d’autres politiques publiques de prévention, à l’exception du travail sur l’obésité présenté plus tôt. En revanche, des travaux montrent que lorsque le médecin intervient, il a un impact significatif.

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A l’inverse, il ne semble pas pertinent de vouloir utiliser toutes les stratégies possibles quel qu’en soit le prix. L’utilisation de ratios coût-avantage à une période donnée sur une thématique de prévention donnée est alors utile pour aider à la décision et sélectionner la ou les politiques les plus efficientes.

Les conseils des médecins pourraient alors conduire les individus à modifier les comportements, mieux que ne le feraient les campagnes d’information, en suggérant des stratégies préventives plus efficaces ou en permettant aux personnes d’effectuer leur choix sur une base d’information plus solide. L’examen de l’influence des conseils médicaux sur les comportements liés à la santé fait l’objet d’une littérature fournie. De nombreux essais cliniques portant sur divers aspects de la prévention (tabac, alcool, exercice physique) confirment l’impact positif des recommandations des médecins. Ainsi, Mundt et al. [2005] trouvent que les interventions brèves réduisent la consommation d’alcool chez les personnes âgées de 65 ans et plus. En comparaison au groupe témoin où il n’y a pas de recommandation, les recommandations du médecin ont pour effet de diminuer à la fois la consommation totale et la fréquence des consommations excessives dans le groupe d’intervention. La revue de littérature réalisée par Whitlock et al. [2004] confirme ce résultat. Les auteurs synthétisent les résultats de plusieurs études portant sur l’impact des conseils délivrés en médecine générale et concluent que l’intervention du médecin réduit la consommation hebdomadaire d’alcool de 13 à 34%. L’efficacité des conseils du médecin est également avérée dans le domaine de l’activité physique, ce que montre notamment les résultats de l’essai clinique d’Elley et al. [2003]. Enfin, les essais cliniques relèvent un effet important des recommandations du corps médical sur la consommation de tabac. La méta-analyse de Stead et al. [2008] identifie 41 essais cliniques menés entre 1972 et 2007 pour évaluer l’efficacité des conseils des praticiens sur l’arrêt du tabac. Les auteurs trouvent que les conseils (intervention brève) améliorent significativement les chances d’arrêter de fumer, le rapport de côtes relativement à l’absence de conseil s’élevant à 1,66. Ils notent également que les interventions plus intensives améliorent encore davantage les taux de cessation du tabac (rapport de côtes à 1,86). Les résultats des essais cliniques indiquent donc relativement clairement l’efficacité du médecin dans la transmission d’information et la modification des comportements liés à la prévention.

L’essai clinique, plus généralement l’essai contrôlé, est considéré comme la méthode d’analyse de référence pour étudier l’impact d’un facteur d’intérêt en contrôlant les éventuels facteurs de confusion. Cette stratégie d’étude permet d’évaluer si l’intervention du médecin fonctionne dans des conditions contrôlées. Elle autorise à la fois un contrôle de l’environnement et du contenu informationnel du message du médecin. Mais cette force peut aussi être une faiblesse pour analyser l’effet des conseils médicaux dans la pratique quotidienne. Les conseils médicaux fournis dans la pratique quotidienne sont bien moins protocolisés et peuvent différer de ceux réalisés dans les essais cliniques, à tel point que

l’efficacité démontrée dans les essais peut ne pas se traduire nécessairement par une efficacité dans l’exercice quotidien. Il peut alors être intéressant d’examiner l’influence des conseils des médecins tels qu’ils sont fournis dans leur exercice habituel.

Pour évaluer l’efficacité de la transmission d’information par le médecin sur données non expérimentales, il est nécessaire de se préoccuper de l’endogénéité potentielle des conseils du praticien dans les comportements de prévention. Plus précisément, les individus qui sont plus soucieux de leur santé ont une probabilité plus grande que la moyenne de chercher conseil auprès de leur médecin et d’adopter un comportement plus sain (Kenkel et Terza [2001]). Symétriquement, le médecin peut être incité à donner de l’information à des patients qu’il sait plus préoccupés par leur santé. Les auteurs des différentes études contrôlent (Loureiro et Nayga [2006]) ou corrigent (Kenkel et Terza [2001], Terza et al. [2008]) ce problème et concluent que les conseils médicaux améliorent les comportements de prévention.

Loureiro et Nayga [2006] examinent la relation entre, d’une part les conseils de perte et de contrôle de poids donnés par le médecin, et d’autre part les comportements adoptés par les individus pour perdre du poids, par l’alimentation et l’activité physique. Les auteurs mobilisent des données déclaratives issues d’une enquête américaine, le Behavioral Risk

Factor Surveillance System des années 2001 à 2003. Ils contrôlent l’existence du problème

d’endogénéité précédemment évoqué à l’aide d’un probit bivarié et concluent à son absence dans leurs données. Les estimations sont réalisées séparément pour chacune des actions visant à contrôler le poids. Elles montrent que les conseils médicaux influencent positivement la probabilité d’adopter une alimentation plus équilibrée, que ce soit pour l’ensemble de l’échantillon ou pour les sous-groupes de personnes en surpoids et souffrant d’obésité. L’influence positive est également relevée pour l’activité physique, à l’exception des personnes obèses.

Kenkel et Terza [2001] étudient le rôle des conseils du médecin dans la prévention des problèmes liés à l’alcool. Les données utilisées sont également de nature déclarative, issues du National Health Survey de 1990, et portent sur les patients ayant eu des problèmes d’hypertension. Les auteurs développent un modèle pour corriger le problème d’endogénéité souligné précédemment. Kenkel et Terza [2001] montrent en effet que les modèles conventionnels qui ne rectifient pas ce problème aboutissent à des résultats surprenants, et erronés, selon lesquels les conseils du médecin augmenteraient la consommation d’alcool. Lorsque l’endogénéité est prise en compte dans la modélisation, les conseils médicaux conduisent à une réduction significative de la demande d’alcool. Les auteurs estiment une

réduction médiane d’environ 4 verres et demi sur deux semaines, soit une baisse de près de 72% (Kenkel et Terza [2001], p.177). Sur une population d’enquête différente, les femmes enceintes, Terza et al. [2008] montrent, également en corrigeant le problème d’endogénéité, que les conseils des médecins permettent de réduire la consommation d’alcool durant la grossesse et d’en prévenir les problèmes associés.

Les résultats des travaux sur données non expérimentales suggèrent que l’efficacité des conseils des médecins démontrée dans les essais cliniques se maintient dans la pratique quotidienne des professionnels de santé. Bien entendu, ces analyses fondées sur données déclaratives ont aussi des limites, mais la convergence des résultats d’études utilisant des méthodologies variées indique clairement que le médecin est un vecteur d’information crédible capable d’encourager les comportements de prévention des patients.

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