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Quelle place pour la santé publique dans les institutions françaises ?

Conclusion du chapitre

Section 2.2 Offre de prévention en France : un manque d intervention du médecin ? Analyse institutionnelle

2.2.1 La prévention et la santé publique en France : aspects institutionnels macroéconomiques

2.2.1.2 Quelle place pour la santé publique dans les institutions françaises ?

Pour mieux comprendre cette situation, un retour historique est nécessaire, en faisant un bref rappel de l’héritage institutionnel de la fondation du système de protection sociale français. Cet héritage a contribué à attribuer un rôle secondaire à la santé publique relativement aux services curatifs, même s’il faut noter des évolutions favorables ces dernières années. Il explique en partie la multiplication des structures dédiées à la santé publique et l’enchevêtrement institutionnel persistant.

Le système de santé français est hérité du modèle « bismarckien », financé par cotisations sociales (Polton [2005]), avec à l’origine une assurance maladie conçue comme assurance du revenu professionnel. Dans cette logique, les acteurs initiaux que sont les partenaires sociaux, représentants des employeurs et des salariés, ne se préoccupent pas de la santé publique. L’objectif du système est de protéger les travailleurs d’un risque financier, la perte de revenu, et non de s’assurer de leur bien-être ou de la santé publique. A cette époque, les caisses d’assurance maladie ont la responsabilité d’organiser le système de soins alors que l’État a la charge de la santé publique.

Le modèle bismarckien est souvent opposé au modèle de protection sociale anglais dit « beveridgien », opposition qui permet de mieux comprendre la différence de philosophie. Dans la conception beveridgienne, la protection sociale et sanitaire a pour finalité, non pas de compenser les pertes de salaire, mais de lutter contre la pauvreté et d’assurer le bien-être de la population. En vertu du principe d’universalité, tous les citoyens bénéficient des prestations. Appliqué au domaine sanitaire, la protection sociale a pour but de maintenir et d’améliorer la santé de la population. Ceci résulte en une organisation différente du système de santé, où les systèmes de soins et de la santé publique sont totalement intégrés.

Le système de protection sociale français n’est à l’évidence plus aujourd’hui celui d’une assurance de salaire, mais le maintien d’un financement essentiellement sur la base de cotisations sociales assises sur les revenus a fait perdurer l’idée selon laquelle les caisses d’assurance maladie n’avaient pas à s’occuper de la santé publique (Pellet [2003], Bourgueil [2006]). Ce découpage originel a sans doute marqué durablement la politique de santé publique, la reléguant au second rang. Il a contribué à axer davantage le système de santé sur le curatif. Il aura en effet fallu attendre 1988, soit plus de 40 ans après la fondation de la protection sociale, pour voir inscrit dans le code de la Sécurité Sociale la mission de

prévention de l’Assurance Maladie (Pellet [2003]).

Les années plus récentes ont vu s’affirmer une politique de santé publique et un élargissement des prérogatives de l’Assurance Maladie en termes de prévention. Deux dates sont importantes et caractéristiques de ce mouvement récent. La loi du 4 mars 2002, dite relative au droit des malades et à la qualité du système de santé, a apporté une définition assez précise du contenu d’une politique de prévention. Certains aspects de cette loi concernent directement l’Assurance Maladie puisque sont notamment cités des actions d’identification des facteurs de risque, d’éducation thérapeutique, de vaccinations et de dépistages (Pellet [2003]). La loi a également proposé une nouvelle organisation du système de santé qui n’a toutefois pas été appliquée (Chambaud et Massé [2004]). L’année 2004 a vu de façon concomitante la promulgation de deux lois décisives : la loi relative à la politique de santé publique et la loi de réforme de l’Assurance Maladie71. Ces deux lois poursuivent la tendance d’un rééquilibrage progressif du système de santé vers une plus grande intégration de la santé publique initiée par la loi de 2002.

Bien qu’il ne s’agisse pas de l’objectif principal de la réforme, visant principalement une modification en profondeur de la gouvernance du système pour d’évidentes raisons de contrôle des dépenses, la loi relative à l’Assurance Maladie a contribué à renforcer les prérogatives de santé publique des caisses d’assurance. En parallèle, la loi de santé publique a créé un cadre législatif jusqu’alors inexistant pour la santé publique (Direction Générale de la Santé [2004a]). Elle a instauré des plans stratégiques ou des programmes nationaux de santé publique. Cinq plans prévus dans l’annexe de la loi de santé publique sont ainsi en cours de réalisation (plan cancer, maladies chroniques, maladies rares…) (Direction Générale de la Santé [2004b]). Elle a également prescrit les mesures nécessaires à l’atteinte de cent objectifs qu’elle s’est assignée (Direction Générale de la Santé [2004c]).

Si ces réformes conduisent à recentrer la politique de santé vers des activités préventives, elles ne résolvent pas le problème d’atomisation des structures, qui nuit à la visibilité et l’efficacité de la politique globale de santé publique. La complexité institutionnelle est la conséquence plus ou moins directe de l’héritage historique de la protection sociale, qui complexifie l’atteinte d’objectifs de santé publique (Pellet [2003]). Elle résulte d’une politique qui a cherché à atteindre des objectifs beveridgiens avec les moyens bismarckiens

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Loi 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, JO du 11 août 2004. Loi 2004-809 du 13 août 2004 relative à l’Assurance Maladie, JO du 17 août 2004.

(Palier et Bonoli [1995]). Le système n’étant pas initialement conçu pour d’autres fins que d’assurer les revenus professionnels, c’est par des ajustements à la marge, par la création de structures diverses, qu’a pu s’exprimer la réponse politique.

Le mouvement de multiplication des organes, conseils ou comités qui ont vocation ou prétention à s’impliquer dans les politiques de santé publique n’a pas été infléchi par les dernières réformes72. Si la diversité n’est pas nuisible a priori, elle peut permettre par exemple de faire émerger des initiatives innovantes, c’est l’accumulation de structures superposées, les nouvelles structures administratives s’ajoutant aux anciennes, qui est dommageable (de Forges [2003]). Un rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales a également souligné ce problème (Bastianelli et al. [2003]). La superposition des structures, le recoupement des domaines d’intervention, le flou dans les compétences attendues de la part des organes et de leurs acteurs desservent l’atteinte d’objectifs de santé publique. Cette situation limite la coordination des actions et la cohérence d’ensemble du système, ainsi que les performances globales de santé publique. Or elle se pérennise, car l’accent mis sur la coordination dans les dernières réformes se traduit dans les faits par la création de nouvelles structures plutôt que par une réattribution des rôles et missions de chacun (de Forges [2003]).

On peut ajouter que la dernière réforme, suite à la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de juillet 2009 cherche à s’attaquer au problème de cloisonnement et de multiplication des structures en regroupant les différentes compétences et les différents organes aux seins de pôles unifiés sur une dimension territoriale. Elle s’appuie notamment sur la création des Agences Régionales de Santé (ARS) pour décloisonner et mettre en cohérence les multiples intervenants. Cependant, rien n’est dit pour les nombreuses structures de niveau central alors que la balkanisation y opère à plein73. Quoi qu’il en soit, il est encore trop tôt pour présager de l’effet de cette réforme, tous les textes d’application de la loi n’étant pas encore parus.

* * *

La combinaison d’un financement modeste et de l’enchevêtrement institutionnel nuit à

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Sans prétendre à l’exhaustivité, citons la Direction Générale de la Santé du Ministère de la santé, le Haut Conseil de Santé Publique, la Conférence Nationale de Santé, la Haute Autorité de Santé, l’Institut National de Veille Sanitaire, l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé ou encore le Comité national de santé publique.

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Notons que cette loi définit par ailleurs dans un titre consacré (titre 3) des axes de santé publique centrés sur l’éducation thérapeutique et l’encadrement de la vente de tabac et d’alcool aux jeunes.

l’efficacité de la politique de santé publique et contribue, du moins en partie, à la faible performance globale de santé publique. Ces éléments macroéconomiques sont de nature à orienter l’activité du médecin. Ils compromettent la visibilité de la prévention et de la santé publique pour ce professionnel de santé. Ils peuvent brouiller la perception qu’ont les médecins de l’importance de la prévention dans le système. En effet, comment attendre une participation du médecin à des programmes de prévention dans un système qui paraît essentiellement tourné vers une approche curative ? Pourtant, dans ce contexte d’insuffisances en matière de prévention, la participation des médecins est un enjeu primordial.

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