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Schémas de rémunération et prévention : résultats empiriques

Inciter l offre de prévention : incitations monétaires, non monétaires et motivations du médecin

Section 3.1 Incitations des principaux modes de rémunération des médecins

3.1.2 Modalités de rémunération et prévention

3.1.2.3 Schémas de rémunération et prévention : résultats empiriques

Les études empiriques de l’impact des modalités de rémunération sur la prévention sont particulièrement rares, contrairement à l’abondante littérature dédiée à d’autres aspects de l’activité médicale. Les quelques études existantes semblent confirmer que les médecins réagissent aux incitations y compris pour leur activité de prévention et dans le sens attendu par la théorie.

Dans le contexte américain, Balkrishnan et al. [2002] comparent les pratiques de prévention de médecins rémunérés à la capitation avec celles de médecins payés sur un autre mode (essentiellement le paiement à l’acte). Un échantillon représentatif d’environ 1200 médecins est interrogé dans le cadre de l’enquête National Ambulatory Medical Care Survey (NAMCS), pour près de 46000 consultations ambulatoires. Les médecins sont généralistes ou spécialistes. Deux aspects de la prévention sont considérés séparément, le counselling (nutrition, activité physique, santé mentale, etc.) d’une part, et la prévention secondaire d’autre part (dépistage de cancer de la prostate, du sein, de l’utérus, etc.).

Les résultats montrent que les médecins payés à la capitation effectuent 17% de plus de services de conseil de santé que ceux rémunérés par d’autres modes. Ils montrent aussi que la capitation est associée à une offre supérieure de prévention secondaire, mais dans une proportion moindre, avec 3% supplémentaire. L’étude ne donnant pas avec précision le type de rémunération des médecins non payés à la capitation, il n’est malheureusement pas possible de détailler davantage l’impact de la capitation. De plus, les auteurs ne contrôlent pas un possible biais de sélection des médecins, qui peuvent choisir de s’engager dans des plans d’assurance selon le type de paiement. On ne peut donc pas établir un lien de causalité. Cependant, les résultats soulignent que la capitation est le mode de rémunération qui est le plus fortement associé aux actions préventives, ce qui corrobore les résultats des modèles théoriques.

Toujours aux États-Unis, DeLaet et al. [2002] s’intéressent aux services préventifs reçus par les minorités hispaniques et afro-américaines assurées dans le privé selon leur rattachement à une organisation de gestion intégrée des soins (managed care) ou à des plans qui rémunèrent les offreurs à l’acte. Les services préventifs étudiés relèvent de la prévention secondaire. Ils montrent que parmi les patients hispaniques, ceux inscrits auprès d’organisation de managed care déclarent bénéficier de davantage de services de prévention,

entre 5 et 19% de plus selon l’acte préventif considéré, par rapport à ceux où le paiement est à l’acte. Ce résultat est retrouvé pour la population blanche et dans une moindre mesure pour les afro-américains.

Les médecins participant aux organisations de managed care sont majoritairement rémunérés à la capitation. Toutefois, le résultat de DeLaet et al. [2002] ne peut être interprété comme un effet pur du mode de rémunération : d’une part, la différence entre les organisations de gestion intégrée des soins et celles où les offreurs sont payés à l’acte ne se limite pas au mode de paiement (système d’information, suivi du patient, existence de contrôles qualité, etc.) ; d’autre part, il n’y a aucun contrôle des biais de sélection des offreurs dans les plans d’assurance. La possibilité qu’une partie de la différence de prévention soit expliquée par des facteurs extérieurs aux modes de paiement ne peut donc être totalement écartée. Cependant, il n’en demeure pas moins que c’est avec le paiement à l’acte que les actions de prévention sont les moins fréquemment déclarées.

Les autres études empiriques sont plus anciennes. Elles ont été recensées dans les revues de littérature de Gosden et al. [1999] et de Dudley et al. [1998], dont nous exposons les conclusions.

Dudley et al. [1998] recensent la littérature portant sur l’impact du paiement à l’acte et de différents Health Maintenance Organizations (HMO) sur la qualité des pratiques. La qualité est approchée par les mesures préventives dans beaucoup d’études, ce qui amène les auteurs à l’étudier spécifiquement. Dudley et al. [1998] reconnaissent que peu d’informations sont données sur les caractéristiques des HMO dans les études recensées, si ce n’est qu’ils fonctionnent avec un paiement prospectif des offreurs, à la capitation. Parmi les six études correspondant aux critères d’inclusion, quatre relèvent une plus forte offre de prévention avec les HMO et deux ne trouvent pas de différence. Ce résultat est cohérent avec celui obtenu par DeLaet et al. [2002], mais les mêmes critiques s’appliquent, notamment l’impossibilité de conclure à un effet unique de la capitation.

La revue de littérature de Gosden et al. [1999] mentionnée plus avant porte sur l’impact du salariat, et notamment son influence sur les pratiques de prévention. Les auteurs recensent cinq études examinant l’effet du salariat sur l’offre de services préventifs. Le salariat est comparé au paiement à l’acte. Quatre études sur cinq, toutes menées au Canada, concluent que les médecins salariés réalisent plus d’actes de prévention que les praticiens payés à l’acte. Là encore, seules des corrélations entre schéma de paiement et prévention sont estimées. On

retrouve cependant un des résultats du modèle théorique de Franc et Lesur [2004] selon lequel le salariat est plus incitatif à la prévention que ne l’est le paiement à l’acte.

Le petit nombre et la faiblesse méthodologique des études empiriques ne permettent pas de confirmer avec rigueur les résultats issus des modèles théoriques pour la prévention. Aussi imparfaits soient-ils, les résultats empiriques donnent des indices qui corroborent les attendus théoriques. Il semble en effet que le paiement à la capitation soit le plus incitatif à la prévention, suivi par le salariat et enfin par la rémunération à l’acte. Pour appuyer un peu plus ce résultat, rappelons que l’étude plus générale de la littérature sur les modes de rémunération présentés plus tôt a montré que le paiement à l’acte amenait un arbitrage en faveur de la quantité au détriment de la qualité des soins, dont la prévention fait partie. Cette même littérature a également souligné que le salariat avait un impact positif sur la durée des consultations, durée à laquelle les actions de prévention sont positivement corrélées (Wilson et Childs [2002]). La convergence de ces résultats soutient le classement des vertus incitatives à la prévention de chacun des principaux modes de rémunération des médecins.

Il nous faut rappeler que les propriétés incitatives étudiées dans les modèles théoriques sont celles des systèmes purs de rémunération et peuvent donc être différentes, tempérées dans la réalité et selon les combinaisons institutionnelles en vigueur. Mais il est intéressant de souligner qu’en France, le paiement à l’acte reste très largement dominant dans la rémunération des praticiens exerçant en ambulatoire (Fréchou et Guillaumat-Tailliet [2008]). Il ne fait pas l’objet de modulation à l’échelle collective sous forme d’enveloppe globale ou de quota pour la médecine ambulatoire qui viendrait modifier ses propriétés incitatives96. L’idéal-type du paiement à l’acte correspond fortement à celui effectivement appliqué en médecine de ville française. Or, c’est précisément le paiement à l’acte dans sa forme pure qui est le moins incitatif à la prévention, et crée même une désincitation à la prévention en faveur des actes curatifs.

L’incitation du mode de rémunération des médecins français ne vient nullement compenser l’inadaptation institutionnelle à la prévention, mais au contraire l’aggrave. Ainsi, les médecins français sont clairement désincités aux actions de prévention. Il faut alors soit modifier leur mode de rémunération principal, soit trouver des schémas de rémunération

96

En revanche, le Contrat d’amélioration des pratiques individuelles introduit depuis peu une rémunération complémentaire sous la forme d’un paiement à la performance. Nous l’examinerons au cours de la prochaine section.

complémentaires qui permettent d’inciter spécifiquement aux actions de prévention. La première solution est peu réaliste. Les médecins français sont très attachés au paiement à l’acte, qui est un des piliers de la médecine libérale (Barnay et al. [2007]). C’est donc la deuxième solution qui va maintenant être examinée, à savoir l’introduction d’un paiement complémentaire à la performance.

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