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Chapitre 2. Cadre théorique et conceptuel : cadrage, cadres, mythes et idéologies

2.5. Propositions générales de recherche

2.5.2. Un affrontement entre métacadres nationalisant et globalisant

Ce sont ces imaginaires, ou « métacadres », qui nous semblent avoir contraint ou orienté l'interprétation de l'enjeu de l'intensification de l'enseignement de l'anglais en fonction de l'une ou l'autre de ces idéologies. Pour Steger, ces « imaginaires global et national » constituent les matrices de base à l'intérieur desquelles se déroule la vie sociale et politique. « Le national » imprègne de façon implicite, depuis plusieurs centaines d'années, l'imaginaire social moderne. Il agit comme toile de fond de l'expérience commune qui émerge dans l'hémisphère nord à la suite des révolutions américaine et française.

The national gave the modern social imaginary its distinct flavor in the form of various factual and normative assumptions that political communities, in order to count as ‘legitimate’, had to be nation-states. Thus, the ‘national imaginary’ refers to the taken- for-granted understanding in which the nation—plus its affiliated or to-be- affiliated state—serves the communal frame of the political (Steger, 2009, p. 9).

Depuis cette époque des révolutions, les élites politiques ont poursuivi leurs objectifs politiques sous le grand chapeau de cet imaginaire national :

Liberalism, conservatism, socialism, communism, and Nazism/fascism were all ‘nationalist’ in the sense of performing the same fundamental task of translating the overarching national imaginary into concrete political doctrines, agendas, and spatial arrangements. In so doing, ideologies normalized national territories; spoke in recognized national languages; appealed to national histories; told national legends and myths, or glorified a national ‘race’. They articulated the national imaginary according to a great variety of criteria that were said to constitute the defining essence of the community (p. 9).

Dans le cadre de cette thèse, nous parlerons du métacadre nationalisant pour décrire ce qui s'apparente à l'imaginaire national de Steger ou au métacadre ethno-nationaliste de Koenig (2005, p. 3). Nous choisissons cependant d'utiliser l'adjectif verbal « nationalisant » au lieu de l'adjectif « national », afin de mettre l'accent sur la part active et l'effet que produit le cadrage. À notre avis, les caractéristiques nationales du métacadre ne sont pas que de simples propriétés ou qualités, elles

agissent sur la définition et l'interprétation que se font les individus des enjeux. Par son action, le métacadre nationalisant oriente les différentes problématiques en fonction du principe structurant de la nation, entendue comme un regroupement d'individus basé sur une solidarité historique et ethnique. En quelque sorte, il « nationalise » les problématiques, c'est-à-dire qu'il dirige l'attention et oriente le raisonnement vers l'idéologie nationaliste, participant ainsi à la normalisation de ce système cohérent de croyances et d'idées politiques à propos de la nation.

En contrepartie, le métacadre globalisant « dénationaliserait » les différents enjeux et problématiques en les plaçant dans le contexte d'un monde sans frontières, favorisant ainsi leur interprétation à l'aune des idéologies globalistes. Selon Steger, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles idées, théories et pratiques induisent dans la conscience populaire un sens de rupture similaire à celui s'étant produit au temps de la Révolution française. Le développement des nouvelles technologies facilitant les communications, la mobilité des idées comme celle des individus contribue à l'avènement d'un nouvel « imaginaire global » qui se met à infiltrer l'imaginaire national :

The multiple inscriptions and incomplete projections of the global on what has been historically constructed as the national have become most visible in the proliferation and reconfiguration of what counts as community and who should be included. For this reason, one of globalisation’s most profound dynamics has been the messy and incomplete superimposition of the global village on the conventional nation-state and its associated conceptual framework centered on such ideas as ‘citizenship’, ‘sovereignty’, ‘territoriality’, ‘borders’, and ‘political belonging’ (Steger, 2009, p. 10).

La résultante de ces changements, affirme Steger, est qu'aujourd'hui, ce nouvel imaginaire global déstabilise le cadre commun de référence que constitue le national.

Mentionnons toutefois que cette proposition que nous faisons d'un antagonisme entre ces deux grands métacadres ne signifie pas qu'ils soient totalement incompatibles ; non plus qu'elle suppose que les acteurs nationalistes mettent systématiquement de l'avant le métacadre nationalisant, tandis que les partisans du globalisme opteraient en toutes circonstances pour le métacadre globalisant. Dans son ouvrage Globalization and Nationalism : The Cases of Georgia and the Basque Country, Natalie Sabanadze (2010) suggère notamment que, malgré leur opposition, les forces globalisantes et nationalisantes coexistent et se complémentent à travers un enchevêtrement de liens complexes qui permettent à certains acteurs nationalistes d'embrasser, voire de promouvoir la globalisation à des fins nationalistes (p. 169). Dans un sens similaire, certaines études sur le nationalisme québécois, dont celle de Grégoire, Montigny et Rivest (2016), suggèrent une évolution des thèmes et enjeux que les Québécois associent au nationalisme. Les auteurs montrent notamment que le rayonnement de leurs compatriotes (artistes et entreprises) à l'étranger constitue aujourd'hui l'un des éléments principaux de

fierté nationale : « Le cœur québécois se réjouit du rayonnement international du Québec. Les Québécois aiment également exister à la face du monde et démontrer qu'il leur est possible de jouer dans la cour des plus grands » (p. 192). Par conséquent, du fait de cet enchevêtrement des échelles globales et nationales, nous nous attendons à ce que, dans les discours des différents acteurs, l'un et l'autre des métacadres se rejoignent et se superposent à de multiples occasions et à des degrés divers. Néanmoins, nous chercherons à mettre au jour les tensions qui existent entre ces différentes manières de cadrer l'enjeu.

Précisons enfin que notre objectif n'est pas d'étudier les idéologies globaliste et nationaliste en elles- mêmes, c'est-à-dire l'évolution de leurs doctrines et les diverses formes qu'elles peuvent prendre. Il s'agit plutôt d'observer dans les discours des traces de stratégies de cadrage qui orientent l'interprétation des enjeux en fonction de l'une ou l'autre de ces idéologies. Il nous semble toutefois que cette analyse de cadrage est susceptible d'éclairer la manière dont les acteurs sociaux s'approprient ces idéologies et de témoigner ainsi de l'évolution de cette appropriation au fil du temps.

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